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mer cet enfant qu'ils ne croyoient. Il propofa même ce cas de confcience à un Religieux: Si un homme qui avoit contribué à la fuppreffion d'un enfant, n'avoit pas déchargé fa confcience en le reftituant au pere & à la mere, fans le leur faire connoître. Il y a apparence que ce Religieux dont on n'a pas fçu la décifion, ne calma pas la confcience de Baulieu. Il dit à un Elu de Moulins qui le félicitoit d'avoir un neveu que le Comte & la Dame fon épouse combloient de careffes, qu ils le pouvoient bien aimer, puifqu'il les touchoit de fort près.

Toutes ces paroles que la force de la vérité lui arrachoit, déterminerent les principaux auteurs du crime à fe défaire de cet indifcret. On l'empoifonna, parcequ'on crut que bien-tôt ne pouvant contenir fa langue, il découvriroit tout. Etant aux prifes avec la mort, il témoigna qu'il avoit grande envie de demander pardon au Comte & à la Comtefle de Saint Géran, fon bon maître & fa bonne maîtreffe d'un grand préjudice qu'il leur avoit caufé. On leur rapporta ce difcours. Comme ils n'étoient pas encore entrés dans les voies de la vérité, ils

porterent leurs vûes fur un autre objet: ils craignirent, qu'en preffant Baulieu de s'expliquer, ils ne lui fiffent de la peine, & n'avançaffent fa mort. Il expira peu de tems après, & leur laiffa le regret de n'avoir point éclairci leurs doutes, lorfqu'ils commencerent à s'elever. Baulieu mourut en 1648.

Cependant la tendreffe du pere & de la mere prenoit toujours de nouvelles forces. Ils procurerent à ce prétendu neveu de Baulieu, l'éducation d'un enfant de qualité, & travaillerent à lui former le cœur & l'efprit. Dès qu'il eut fept ans, ils lui donnerent des chauffes & un habit de Page de leur livrée, il les fervit dans cette qualité jufqu'à ce que le myftere de fa naiffance fut découvert.

Ordinairement il y a des murmureș fourds qui font les avantcoureurs de l'affreufe vérité, & qui l'annoncent long-tems avant qu'elle éclate. Tels étoient les bruits qui fe répandoient dans la province fur la confpiration qui avoit été tramée pour fupprimer l'enfant: ils vinrent jufqu'aux oreilles du pere & de la mere, & leur infpirerent le deffein de remonter à la fource & d'approfondir la chofe, en raffem

blant toutes les lueurs qu'ils pourroient trouver pour en faire un corps de lumiere.

Le Comte prenant les eaux de Vichi, la Comteffe qui y étoit avec lui, furprit la Marquife de Bouillé dans une converfation avec la Sage-Femme qui demeuroit dans cette Ville: elle les interrompit, & leur demanda le sujet de leur entretien : la Marquife ne pouvant fe défendre de répondre, dit, Dame Louise se loue de mon frere, parcequ'il ne lui a point fait un mauvais vifage. Pour qu'el fujet, reprit la Comteffe en s'adreffant à la Sage-Femme aviez vous lieu de craindre un mauvais accueil de mon mari? Cette femme prenant la parole, répondit : j'appréhendois, Madame, qu'il ne me fçut mauvais gré de ce qui s'eft paffé, lorfque nous croyions que vous alliez accoucher. L'obfcurité de ces paroles fe découvroit par le trouble de la Marquife & de la Sage-Femme. La Com-. teffe quoiqu'émue fe pofféda néanmoins, & ne pouffa pas plus loin la conversation.

La premiere réfolution qu'elle forma fut de faire arrêter la Sage-Femme: mais elle confidéra qu'après un fi long intervalle de tems, elle ne devoit

pas faire légerement cette démarche d'éclat. La Marquife qui fut frappée de l'indignation que la Comteffe avoit fait paroître fur fon vifage, & qui ne pouvoit plus foutenir à la vûe de fon frere & de fa belle-four les reproches de fa confcience, se retira à Lavoine, & ne les revit plus.

Après que le Comte & la Comteffe fe furent bien confultés avec la Maréchale, ils envoyerent querir fans aucun fcandale la Sage-Femme : elle fut menée à Saint Géran. Ils l'interrogerent fur plufieurs faits qui pouvoient leur faire connoîtte la vérité. Elle fe démentit, & fe contraria plufieurs fois dans les réponses, Elle témoigna fi peu de fermeté, qu'elle donna lieu de la foupçonner du grand crime qu'elle avoit commis ; & quoiqu'on n'en fut pas convaincu, on crut que fur de pareils foupçons il faloit la mettre entre les mains de la Juftice. On la congédia fans lui donner lieu de craindre qu'on la vouloit pourfuivre, parceque le Comte & la Comteffe compo ferent leur vifage, & lui déguiferent le vrai motif de leur curiofité.

Ils rendirent par devant le Vice-Sénéchal de Moulins leur plainte, fur la

Hiftoire du

Procès.

quelle la Sage-Femme fut arrêtée, & fubit l'Interrogatoire. Elle confeffa la vérité de l'accouchement; mais elle dit

que

la Comteffe avoit mis au monde une fille mort-née; qu'elle l'avoit enterrée fous un degré près de la grange de la baffe cour fous une pierre. Le Juge, accompagné d'un Medecin, & d'un Chirurgien, s'étant tranfporté fur les lieux, ne trouva ni la pierre, ni rien qui pût faire juger que la terre eût été remuée. On fouilla en vain en plufieurs endroits.

Le Comte fit fçavoir la déclaration de la Sage Femme à la Maréchale, qui lui tépondit que cette méchante femme étoit digne de mort: qu'il faloit lui faire fon procès.

On fuivit ce confeil. Le Lieutenant particulier dans l'absence du Lieutenant criminel fit la procédure. Dans un fecond Interrogatoire, l'Accufée dit, que la Comteffe n'étoit point accouchée; dans le troifieme, qu'elle étoit accouchée d'une mole; dans un quatrieme, qu'elle étoit accouchée d'un fils que Baulieu avoit enlevé, & mis dans une corbeille; dans un cinquieme, où elle répondit fur la fellette, elle foutint qu'elle avoit dit par force & par violence que la Comteffe étoit

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