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ans on a travaillé envain à lui deffiller les yeux. Cependant la grande opinion qu'on avoit de fa fageffe, & fon excufe, foutenue de l'exemple des fœurs de Martin Guerre, & de tant de perfonnes abufées de la même erreur; la reffemblance frappante de l'Impofteur avec celui qu'il repréfentoit; les indices qu'il donnoit, jufqu'à rapporter les circonftances les plus miftérieufes, les époques les plus précifes des évenemens qui n'avoient été confiés qu'au Dieu d'Hymen; la crainte qu'elle avoit de fe déshonorer fi elle pourfuivoit l'Impofteur, & de fuccomber dans l'accufation, n'étant pas certaine de fon erreur: toutes ces raifons, jointes à la regle qui veut que dans le doute l'innocence fe préfume, firent pencher la Cour en faveur de Bertrande de Rols.

Et a renvoyé & renvoie ledit du Tilh audit Juge de Rieux, pour faire mettre ce préfent Arrêt à exécution felon fa forme & teneur. M. Coras remarque qu'il étoit convenable de renvoyer l'exécution de l'Arrêt au Juge de Rieux, lequel avoit tout mis en ufage pour rechercher la vérité & rendre une bonne justice. Il ajoûte qu'il eft de la dignité des Cours Souveraines de main

tenir & conferver l'autorité des Juges inférieurs, & que le bien Public exige qu'elles les faffent révérer; que les Loix le leur commandent. Je dirai que leur propre intérêt les y engage; parceque les Juges fubalternes font l'image des Juges fupérieurs. Une autre raifon qui les oblige à renvoyer l'exécution des Jugemens pardevant les Juges inférieurs, c'eft que les crimes ayant été commis dans le reffort de ces derniers, il eft important pour le bien Public que l'exemple de la punition du crime fe faffe dans le lieu où il a été commis, afin d'y imprimer la crainte de la Juftice.

Pour mettre l'Arrêt en exécution, Arnaud du Tilh fut ramené à Artigues: il fut ouï dans la prifon par le Juge de Rieux: il confeffa fort au long fon impofture le 16. Septembre 1560. Il avoua qu'il s'étoit déterminé à commettre ce crime, parcequ'étant de retour du camp de Picardie, quelques amis intimes de Martin Guerre le prirent pour lui. Il s'informa d'eux de l'état de Martin Guerre, de ce qui concernoit fon pere, fa femme, fes fœurs, fon oncle & fes autres parens; de ce qu'il avoit fait avant qu'il quit

tât le pays. Ces nouvelles lumieres, fe réuniflant à celles qu'il avoit acquifes dans les conversations qu'il avoit eues avec Martin Guerre, le mirent parfaitement en état de faire face à tous ceux qui voulurent l'éprouver. Il nia de s'être fervi de charmes, d'enchantement, & d'aucune espece de magie. Il confeffa encore divers autres crimes; & il perfifta dans fa confeffion toutes les fois qu'il fut interrogé là-deffus. Etant au pied de la potence dreffée devant la maifon de Martin Guerre, il lui demanda pardon & à sa femme, il parut pénétré d'une vive douleur & d'un repentir amer & douloureux, & il implora toujours la miféricorde de Dieu par fon Fils JefusChrift, jufqu'à ce qu'il fût exécuté : fon corps enfuite fut brûlé (a)

(a) M. de Rocolle, qui prend la qualité d'Hiftoriographe de France, qui nous a donné les impofteurs infignes, a fait entrer dans fon histoire celle de Martin Guerre. Il a puifé dans la même fource que moi, c'est-à-dire, dans M. Coras. 11 dit que l'impofteur, avant que d'être exécuté, fit fon Teftament, où il inftitua Bertrande fa fille fon heritiere; qu'il lui donna des Tuteurs, & nomma des Exécuteurs de fon Teftament. Ce fait eft fuppofé: la Cour ayant difpofé des biens de l'impofteur en faveur de fa fille, on ne lui auroit pas permis de faire un Teftament.

J'ai rendu dans mon ftile les faits que j'ai employés, & les ai accompagnés de réflexions, fans

Monfieur Coras, qui nous a fourni les Mémoires de ce Procès fi curieux par la fingularité, étoit né à Toulouse. Après avoir enfeigné le Droit dans cette Ville, à Paris & à Padoue, & après avoir rempli une chaire de Profeffeur de cette Science à Ferrare & enfuite à Touloufe; Marguerite Reine de Navarre l'éleva à la dignité de fon Chancelier, & le Roi Henri II. l'honora d'une charge de Confeiller au Parlement de Toulouse. Cette Cour ne le difpenfa pas de fubir l'examen avant que d'être recû, quelque profond qu'il fût fur les Loix. Quand il paffa par cette épreuvé, il fe troubla. On l'auroit renvoyé fi on n'avoit pas été arrêté par la réputation: on lui donna le tems de fe remettre. Alors il fatisfit la Compagnie; mais il ne répondit pas dans cet examen à l'idée avantageufe qu'on avoit conçue de lui. On dit de même que M. Nicole, dans l'examen par lequel il paffa avant que d'être admis aux Ordres facrés,ne foutint pas fa réputation, & chercha, comme dit Boileau, son discours égaré fur fa langue.

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avoir vû l'Ouvrage de M. de Rocolle: quand je ne le dirois pas, on le devineroit auffi facilement, que l'on jugera qu'il n'étoit pas Jurifconfulte.

Après le maffacre de la S. Barthele= mi, M. Coras Calvinifte fut mis en prifon, où il fût maffacré quelques jours après, le 4. Octobre 1572. avec deux de les confreres de la même Re

ligion que lui: on les pendit enfuite avec leur robes rouges à l'Orme du Palais.

M. Coras a fait deux volumes infolio fur des queftions du droit : il a paflé pour un des plus Sçavans hommes du Royaume: il n'a pas été à l'abri de la critique. M. le Préfident Fabre dit qu'il a fait des fautes groffieres. Cela lui eft commun avec des hommes très-profonds: c'eft pourquoi on a eu raifon de dire que l'erreur eft l'apanage de l'humanité.

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