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grande idée, & que toutes les créatures s'efforcent de la produire en nous, rien n'oblige à croire qu'elle foit innée (a). Mais il ne faut point rejetter avec dédain l'opinion de quelques Philofophes, qui, vu l'étendue & la force de certaines idées, ont cru que le Créateur en avoit mis dans nos ames une espece de germe, qui fe développoit avec une aifance & une activité toute particuliere. S. I I.

D. Eft-il bien vrai que les Juifs eux-mêmes n'avoient point une idée convenable de Dieu, & qu'en particulier ils méconnoifloient fa fpiritualité & fon immenfité?

R. Les plus grandes idées, les fentiments les plus fublimes, les plus touchants de la Divinité se trouvent dans les Livres des Juifs; c'eft là que nos Poëtes & nos Orateurs les vont chercher. Son existence remplit le ciel & la terre; il est préfent à tout, il eft dans tout, & tout eft dans lui (b).

(a) Il eft certain que bien des affections, qu'on peut res garder comme des germes d'idées, se transmettent par la génération, & naiflent avec nous; pourquoi feroit-il abfurde de croire que le Créateur ait mis dans les ames quelques traces des idées les plus importantes, telle que celle de fon existence? Si les Malebranchiftes défendent cette opinion avec trop d'afflurance, c'eft un préjugé de systême; mais n'en est-ce pas un autre, de rejetter comme un conte ridicule, un fentiment auquel il ne manque peut-être que quelques degrés de plus dans la force de fes preuves pour gagner le fuffrage des Sages.

(b) Calum & terram ego impleo. Jerem. 23. Vivit Dominus in cujus confpedu fto. 3. Reg. 18. Si afcendero in cælum, tu illic es; fi defcenders in infernum, ades. Si fumpfero pennas meas diluculo, & habitavero in extremis maris, etenim illuc manus tua deducet me, &c. Pf. 138.

L'Ecriture eft remplie d'expreffions semblables, & il faut s'étourdir étrangement pour ne pas voir dans ces expreffions un Être fans matiere & fans étendue. Si Dieu a apparu aux Juifs fous quelque fymbole corporel, jamais ce Peuple n'a cru voir dans ce fymbole la nature de fon Dieu, qu'il favoit être invifible & inacceffible à tous les fens; car l'invifibilité eft une fuite néceffaire de l'immensité, fi clairement exprimée par les Auteurs Juifs. Jacob, en difant, je ne favois pas que le Seigneur fût en ce lieu, étoit perfuadé que le Seigneur ne se manifeftoit pas par une expreffion extraordinaire de fa puiffance dans les lieux où fon Nom n'étoit pas connu; il eft furpris qu'il lui apparoiffe au milieu du Pays de Chanaan, il s'écrie: Le Seigneur eft donc connu & adoré dans ce Pays-ci, & je ne le favois pas (a). On a mille fois répondu aux objections des incrédules fur cette matiere; & s'ils ont encore le courage de les répéter, nous n'avons pas celui de les difcuter plus au long.

S. III

D. Les Chrétiens ne femblent-ils pas refufer à Dieu la prefcience en établiffant le dogme de la liberté? car la prefcience fuppofe la certitude; la certitude entraîne la néceffité.

R. Cette obfervation que Bayle & Voltaire ont tant fait valoir n'eft dans le fond qu'une chicane. La

Calum & cali cælorum te non capiunt. 2. Par. 6.- In ipfo enim vivimus, movemur, & fumus. A&. 17.

(a) Vere Dominus eft in loco ifto, & ego nefciebam. Gen. 28. L'Ecriture emploie une expreffion semblable pour dire que Dieu n'avoit pas encore parlé à Samuël: Porrò Samuel needum fciebat Dominum, 1. Reg. 3.

raifon qu'ils apportent eft d'une fauffeté palpable. Il n'eft pas vrai que la certitude emporte la néceffité. Quand il n'y auroit aucune prescience, cette propofition, Pierre fera jufte, feroit encore très-certainement vraie ou fauffe, parce qu'il feroit encore très-certainement vrai que Pierre fera jufte, ou que Pierre ne fera pas jufte. Or, d'où viendroit en ce cas à Pierre la néceffité d'être juste, ou de ne l'être pas ? La prefcience envisage l'objet futur; mais elle n'y fait rien; elle n'y change rien; la chofe eft fuppofée devoir arriver, ou n'arriver pas, avant que Dieu n'emploie la prescience pour la connoître. Toutes les chofes font repréfentées dans fon intelligence, comme les objets visibles le font dans une glace: la glace préfuppofe l'existence des objets. L'intelligence divine préfuppofe la détermination libre d'une créature, dès-lors la liberté n'eft plus en danger. Pierre ne fera pas jufte parce que Dieu le prévoit; mais Dieu prévoit que Pierre fera jufte, parce qu'il le fera en effet.

D. Comment Dieu peut-il prévoir une chose qui n'existe encore dans aucune caufe déterminée, & fur laquelle il n'y a rien d'arrêté ?

R. 1. Lorfque deux vérités telles que cellesci: La fcience de Dieu eft infinie; l'homme eft li bre, font également démontrées, quel autre parti devons-nous prendre que celui de les croire? Il n'y a que l'ignorance où nous fommes du moyen terme par lequel elles font liées qui fait que notre efprit eft effrayé de l'oppofition qu'il croir appercevoir entre elles. « Il faut alors, dit admirable: ment M. Boffuet, tenir fortement les deux bouts » de la chaîne, quoiqu'on ne voit pas le milieu Hiv

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où l'enchaînement se continue (a). » 2.° II eft déraisonnable de prétendre expliquer l'ufage & l'étendue d'une fcience infinie qui embraffe tous les temps, pour laquelle le paffe fubfifte encore, & l'avenir eft déja. Nous ne concevons pas comment nous voyons nous-mêmes le préfent, comment nous nous fouvenons du passé, comment notre ame s'élance vers l'avenir; & nous entreprendrons d'expliquer comment Dieu prévoit des chofes qui doivent arriver dans des ames libres qu'il a créées, & dont il connoît toutes les fitua tions paffées, préfentes, futures & poffibles. Comment Dieu connoît - il les chofes paffées : Ces chofes n'exiftent pas plus aujourd'hui que celles qui arriveront dans cent mille ans; elles ne font ni plus réelles, ni plus préfentes, ni plus à portée d'être obfervées que fi elles étoient encore dans le fecret de l'avenir. M. de V. a lui-même Métaph. ch. 4. approuvé la fagefle de ces obfervations. « La liberté une fois établie, dit-il, ce n'eft pas à nous » à déterminer comment Dieu prévoit ce que nous ferons librement. Nous ne favons pas de quelle maniere Dieu voit ce qui fe paffe. Nous » n'avons aucune idée de fa façon de voir; pourquoi en aurions-nous de fa façon de prévoir? » Ce que nous favons, c'eft que le Créateur agit

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(a) Quand même les Incrédules oppoferoient à la Religion des difficultés abfolument infolubles; fes vérités, une fois démontrées, le feroient toujours: pour détruire l'erreur fous toutes les faces qu'elle peut prendre, il faudroit une science en quelque forte infinie. Mais il ne faut que le fimple bon fens pour faifir une vérité clairement prouvée. Le faux, dit très-bien M. Rouffeau, eft fufceptible d'une infinité de combinaifons; mais la vérité n'a qu'une maniere d'être.

fur le néant comme fur l'être, il appelle ce qui n'eft pas comme ce qui eft: il peut donc fe fifter l'avenir le plus libre comme le plus nécessaire. — Il eft remarquable que tandis que quelques Philofophes conteftent à Dieu la prefcience des actions libres, il s'en foit trouvé d'autres qui l'ont accordée aux hommes. Maupertuis affure qu'il eft auffi aifé de voir l'avenir que le paflé; que les prédictions font de même nature que la réminiscence; que tout le monde peut prophétifer; que cela ne dépend que d'un degré de plus d'activité dans l'efprit, & qu'il n'y a qu'à exalter fon ame. Voyez fes Lettres.

S. IV.

D. L'idée que toutes les Nations ont des attributs de Dieu, n'eft-elle pas contredite par les maux qui défolent la terre? L'impoffibilité de concilier ces deux chofes n'a-t-elle pas produit l'héréfie des deux principes?

R. Nous répondrons à cela par les termes mêmes d'un grand Partifan du Manichéisme, toujours acharné contre la Religion, mais point toujours conféquent dans fes fyftêmes. Si le systême des deux principes fe réalife quelque part, c'eft dans fes Ouvrages. « Les idées les plus fûres & Diat. hift. les plus claires de l'ordre, nous apprennent Manichéens. qu'un Être qui exifte par lui-même, qui eft né- Note (4). » ceffaire, qui eft éternel, doit être unique, infini,

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tout-puiffant & doué de toutes fortes de per»fections: ainfi, en confultant ces idées, on ne trouve rien de plus abfurde que l'hypothefe des deux principes.... Quand les Manichéens nous alléguent que, puifqu'on voit dans le monde plufieurs chofes qui font contraires les unes aux

& crit. Ar

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