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D. Les anciens Philofophes n'ont ils pas tous regardé la création comme impoffible?

R. 1. L'euffent-ils tous regardée comme telle, ce n'eft point par là qu'ils auroient démontré qu'il y avoit contradiction dans ces paroles: Un atome qui n'a pas été, eft. La création étoit pour bien des Philofophes Payens une de ces chofes qu'on n'affirmoit' & qu'on ne nioit pas, parce qu'on n'en examinoit ni la nature, ni la poffibilité; de même qu'on ne parloit pas du mouvement de la Terre & du repos du Soleil. L'axiome ex nihilo nihil fit, vrai dans toute fon étendue à l'égard des ouvrages humains, avoit gagné les efprits comme les yeux; on n'alloit pas au delà. La révélation perfectionnant les idées que la raison avoit ébauchées, découvrit, par des lumieres plus fûres & plus fortes, la liaifon intime, que la création avoit avec la nature de Dieu, & nous apprit qu'une matiere exiftante par elle-même, éternelle, indépendante, étoit abfurde (a). Ces notions font reftées jufqu'ici à couvert de toutes les attaques des Athées. Si le dogme de la création, tel que nous le croyons, avoit été propofé aux Philofophes du Paganifme, ils l'auroient affurément préféré aux hypothèses abfurdes qu'ils ont imaginées.

2. Les plus fages des anciens Philofophes & les plus conféquens dans l'idée qu'ils s'étoient faite de la Divinité, ont abfolument nié l'éternité de la matiere & reconnu un Dieu Créateur de toutes chofes, tel que nous le reconnoissons aujourd'hui. Pithagore, Platon, Thalès, Philolaus, Jamblicus, &c. ont été de ce nombre. Proclus ( inf

(a) Fide intelligimus aptata effe fæcula verbo Dei, ut ex invifibilibus vifibilia fierent. Heb.xj.

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titut. Theol. cap. 72.) dit que la matiere qui eft le fujet de toutes chofes, eft elle-même produite par l'Auteur de toutes chofes: il attribue le même sentiment à Platon, qui s'en explique lui-même fort clairement; & dans fon commentaire fur Timée, Proclus appelle Dieu l'Auteur ineffable de la ma tiere. Hieroclès, Platonicien célèbre, reproche à quelques Philofophes de n'avoir pas cru Dieu affez puiffant pour créer le monde, fans que la matiere incréée & par confèquent indépendante de lui, ait concourût à cette production; il obferve que « le bon ordre fe trouve affez dans un Être lorfqu'il exifte naturellement par lui-même & que par conféquent c'eût été en Dieu une application fuperflue d'avoir voulu avancer ce qu'il n'avoit pas fait .... « ne feroit-ce pas contre » la nature, dit-il, de vouloir ajouter à un Être » incréé & fubfistant par lui-même ? » Ce raisonnement judicieux mérite d'avoir place parmi ce qu'on a dit de mieux contre l'éternité de la matiere.

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D. Est-il bien évident que l'idée de Dieu bien conçue s'oppose à l'éternité de la matiere?

R. Si la matiere eft éternelle, elle exifte donc par elle-même, elle eft donc indépendante de Dieu; Dieu ne pourroit non plus l'anéantir qu'il n'a pu la créer. Un grain de fable fuffiroit donc pour faire échouer la toute-puiffance de Dieu; & l'exiftence de la matiere, & de toutes les parties de la matiere, feroit donc auffi nécessaire que l'exiftence de Dieu même.... Qu'est-ce que Dieu? Si nous réuniffons tout ce que la raifon la plus pure, la philofophie la plus éclairée, la révélation la plus fublime nous en apprennent, nous trouverons que tout ce qu'on peut concevoir & dire de fes gran

deurs, s'exprime par ce feul mot: l'Infini. Dieu eft l'Être infini, néceffairement infini, infini dans toutes les perfections. Il n'y a certainement ni Philofophe, ni Déifte, qui refufe d'admettre cette idée que nous donnons de Dieu. Or fi Dieu eft infini, fon exiftence, fa maniere d'être, fes lumieres, fa volonté, fa puiffance doivent être également infinies. Si fa puissance eft infinie, elle peut donc donner l'être, créer, faire que ce qui n'exiftoit pas, existe; c'eft là la plus grande preuve que cette puiflance eft véritablement infinie. S'i eft infini, il doit avoir une autorité abfolue fur tout ce qui exifte, en forte que rien n'existe & ne puiffe exifter que par fa volonté. Nier que Dieu puiffe créer, c'eft nier que fa puiffance foit infinie; & nier que fa puiflance foit infinie, c'est nier fon existence. Un Dieu infini, un Dieu Créateur, voilà la plus fublime idée que nous puiffions nous faire de l'Être fuprême; voilà ce que notre raison peut en concevoir de plus grand. Et quelle différence d'un Dieu qui ne feroit que l'ordon nateur d'une matiere préexiftente, & d'un Dieu créateur qui commande à la matiere d'exifter! L'idée d'une matiere éternelle ne peut donc pas s'accorder avec l'idée que nous avons de Dieu.

S. I I.

D. Malgré la démonftration que l'idée de Dieu forme contre l'éternité de la matiere, la création n'eft-elle pas toujours un chose incompréhensible?

R. Ne pas concevoir comment une chose a pu fe faire, ce n'eft pas une raifon fuffifante pour la rejetter. Il faudroit pour cela prouver qu'elle repugne, & qu'elle renferme quelque contradiction. Or nous défions tous les Philofophes de prouver

que l'idée de Création répugne, & qu'elle renferme quelque contradiction. Nous les défions de faire voir qu'il eft impoffible que Dieu foit Créateur. Ceux qui admettent l'idée de Dieu, & rejettent la création, parce qu'ils ne peuvent pas conce voir ce que c'est que fortir du néant, & commencer d'exifter, n'apperçoivent pas l'incohérence de leurs principes, car conçoivent-ils mieux mille autres chofes qu'ils ne peuvent pas s'empêcher d'admettre? conçoivent-ils mieux, comme on le leur a déja dit, ce que c'eft qu'une matiere éternellement exiftante, & éternellement inerte, qui attend pendant une éternité que Dieu lui donne l'activité ? conçoivent-ils mieux ce que c'eft que cette fécondité fi admirable, fi conftante, fi uniforme, donnée à la matiere par les germes; germes fans lefquels cette matiere eût été éternellement incapable de rien produire? La formation & la fécondité de ces germes qui renaiffent toujours de leur propre fein, qui donnent cette variété prefque infinie d'êtres & de productions, eft-elle plus facile à concevoir que la création? conçoivent-ils mieux la création des efprits, des fubftances fpirituelles, que celle de la matiere? Car il faut qu'ils difent, ou qu'il n'y a point de fubftances fpirituelles, ou qu'elles font créées, ou qu'elles font éternelles comme Dieu. Dire qu'il n'y a point de substance spirituelle, c'eft fe mettre au nombre de ceux que les Anciens comparoient à des pourceaux : Epicuri de grege porcus; on ne peut avoir ces fentiments que dans les moments des voluptés les plus groffieres, & les plus condamnées par la raifon. Dire qu'elles font éternelles, incréées, ce leroit dire en même temps qu'elles font indépendantes de Dieu; car quel pouvoir auroit Dieu

fur des fubftances éternelles comme lui, & qui pour exifter, penfet, vouloir, raifonner, n'auroient point eu befoin de lui? Dire qu'elles ont été créées, c'est se mettre dans la néceffité d'avouer la même chofe de la matiere.

ARTICLE I I I.

Éternité du Mouvement.

D. EN ACCORDANT aux Athées une matiere éternelle, leur fyftême feroit-il fort avancé dans fes preuves?

R. Il ne porteroit encore fur rien. A cette matiere il faut du mouvement, & les Athées ne connoiffent aucune caufe qui puiffe le donner.

D. Pourquoi la matiere ne feroit-elle pas en mouvement de toute éternité ?

R. L'inertie de la matiere eft une chofe qui a été reconnue par les plus grands Philofophes anciens & modernes. Parmi les anciens, perfonne n'en a mieux raisonné que Platon, & n'en a tiré des conféquences plus juftes & plus raifonnables. Pour ce qui eft des modernes, on obferve que parmi le grand nombre des Philofophes de la plus haute réputation, qui ont paru dans ces derniers fiécles, il n'en eft pas un qui ne fuppofe comme un principe, l'inertie de la matiere, & fon incapacité intrinféque à fe donner le mouvement. Copernic, Kepler, Defcartes, Gaflendi, Euler, Newton, Mallebranche, tous en conviennent unanimement; & fi, à l'autorité de ces grands noms, on joint encore le raifonnement, il n'y aura plus moyen de fe refufer à l'évidence du principe, D. Démocrite

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