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le mou!

D. Démocrite n'a-t-il pas enfeigné que vement de la matiere étoit éternel?

R. Il eft vrai que Démocrite, le maître d'Epicure, n'a pas penfé comme Platon, & comme les autres Philofophes (a), il fuppofe la matiere en mouvement: mais il eft vrai auffi que Démocrite imagine & ne raisonne pas, & qu'il ne peut rien répondre aux difficultés véritablement infolubles qu'on lui fait contre le mouvement intrinféque de la matiere. Il est également vrai que les Abdéritains ayant pitié de lui, eurent la charité de lui envoyer des Médecins pour guérir fon cerveau dérangé.

D. Comment prouvez-vous l'inertie de la matiere, & fon incapacité abfolue de fe donner du

mouvement?

R. Par une combinaifon de réflexions fimples, expofées avec beaucoup de clarté & de précision par un des plus fameux Philofophes modernes :

Je vois la matiere tantôt en mouvement, tan- J. J. R. tôt en repos, d'où j'infere que le repos ni le Emile. T. 3, » mouvement ne lui font pas eflentiels. Mais le 1762. » mouvement étant une action, il eft donc l'effet

d'une caufe, dont l'abfence eft le repos ? Quand » rien n'agit fur la matiere, elle ne fe meut point, & par cela même qu'elle eft indifférente au re »pos & au mouvement, fon état naturel eft d'être >> en repos. »

Après avoir diftingué avec beaucoup de jufteffe, de clarté & de précision le mouvement paffif & communiqué, d'avec le mouvement volontaire &

(a) Illa mentis deliria nemo præter unum Leucippum fomniavit, à quo Democritus eruditus hæreditatem ftultitiæ reliquit Epicuro. Lact. Inftit. L. 3, c. 17.

C

P. 43, édit.

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Ibid. p. 49.

que

de fpontanéité, il dit ces paroles remarquables. « Concevoir la matiere productrice du mouvement, c'eft clairement concevoir un effet fans cause, c'est ne concevoir absolument rien. » Et T. 3, p. 51. il ajoute : « N'eft-il clair pas fi le mouvement étoit effentiel à la matiere, il en feroit inféparable, il y feroit toujours en même degré, toujours le même dans chaque portion de matiere, il feroit incommunicable, il ne pourroit augmen ter ni diminuer, & l'on ne pourroit pas même concevoir la matiere en repos?

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Quand on me dit que le mouvement n'eft pas effentiel à la matiere, mais néceffaire, on veut me donner le change par des mots qui feroient plus aifés à réfuter s'ils avoient un peu plus de

fens. Car ou le mouvement de la matiere lui vient d'elle-même, & alors il lui eft effentiel; ou s'il lui vient d'une caufe étrangere, il n'eft néceffaire à la matiere, qu'autant que la caufe motrice agit fur elle: nous rentrons dans la pre30 miere difficulté.

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» Les idées générales & abftraites font la fource des plus grandes erreurs des hommes; jamais le jargon de la Métaphyfique n'a fait découvrir »une vérité, & il a rempli la Philofophie d'abfurdités, dont on a honte fitôt qu'on les dépouille de leurs grands mots. Dites-moi, mon ami, fi quand on vous parle d'une force aveugle, répandue dans toute la nature, on porte quelque véritable idée dans votre efprit? On croit dire quelque chofe par ces mots vagues, de force univerfelle, de mouvement nécessaire, » & l'on ne dit rien du tout.

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22

» L'idée du mouvement n'eft autre chose que » l'idée du transport d'un lieu à un autre; il n'y

a point de mouvement fans quelque direction; car un être individuel ne fauroit le mouvoir à» la fois dans tous les fens. Dans quel fens donc » la matiere fe meut-elle néceffairement?

Toute la matiere en corps a-t-elle un mouvement uniforme, ou chaque atome a til fon » mouvement propre ? Selon la premiere idée, » l'univers entier doit former une mafle folide & indivisible; felon la feconde, il ne doit former qu'un fluide épars & incohérent, fans qu'il foit jamais poffible que deux atomes le réuniffent.

Sur quelle direction fe fera ce mouvement > commun de toute la matiere? Sera-ce en ligne droite, en haut, en bas, à droite, ou à gauche? Si chaque molécule de matiere a fa direction particuliere, quelles feront les caufes » de toutes ces directions & de toutes ces diffé»rences? Si chaque atome ou molécule de matiere ne faifoit que tourner fur fon propre centre jamais rien ne fortiroit de fa place, & il » n'y auroit point de mouvement communiqué; » encore même faudroit-il que ce mouvement cir»culaire fût déterminé dans quelque fens. Donner à la matiere le mouvement par abftraction, c'eft » dire des mots qui ne fignifient rien ; & lui donner un mouvement déterminé, c'eft supposer une » cause qui le détermine. »

D. Puifque la matiere poffède des qualités qui nous font inconnues, n'eft-il pas téméraire de lui refufer le mouvement, & peut-on peut-on être trop ré-fervé à prononcer fur des chofes dont on ignore la nature ?

R. Il n'y a point de témérité à refufer à la matiere une qualité qui renferme contradiction, comme nous venons de le démontrer. Il faut

Infrà. L. 2, th. 16.

être réservé, on en convient; mais il faut égale ment être ferme & conféquent. Nous ne connoif fons la matiere que par fes qualités fenfibles, c'eftà-dire par fon étendue. fa divifibilité, fon inertie, par les impreffions qu'elle fait fur nos fens : nous favons qu'elle a été créée pour nos ufages & pour notre fervice. Ces connoiffances nous fuffifent; & bien loin de nous conduire à l'idée du mouvement effentiel, elles s'accordent parfaitement avec les preuves, qui nous perfuadent que ce mouvement eft abfurde.

La queftion de la fpiritualité de l'âme nous ramenera encore à ces preuves, & donnera lieu à une plus ample difcuffion.

ARTICLE IV.

Les Atomes.

S. I.

D. QUAND on accorderoit à la matiere un mouvement indépendant de Dieu, en pourroit-on conclure la formation de l'univers ?

R. Il faudroit encore montrer comment un mouvement fortuit a pu produire tant d'ordre, de beauté, d'utilité dans les différents êtres qui compofent l'univers, dans les rapports & le résultat de toutes les parties. Dans le monde il n'y a pas feulement du mouvement; il y a des beautés inimitables, les combinaisons les plus heureuses, une marche réguliere, conftante, invariable. Il faut autre chofe qu'un mouvement aveugle pour produire & affurer tout cela. Non feulement, un tel mouvement ne produit rien, mais il empêche néceflairement toute production,

Prémontval.

D. Ne peut-on pas établir la puiffance créatrice des atomes par le moyen des chances, de l'analyfe des forts, des compenfations par des compen-es phil. fations, des tentatives de millions de milliards de 7. 2, p.329. millions de fois réitérées, &c.? On dit deux que Académiciens ont merveilleusement réuffi dans 12. 21. cette maniere de prouver.

R. L'on ne peut croire que ces gens aient écrit férieufement de telles puérilités. Leur raifonnement, qui, à beaucoup d'égards, n'eft qu'un jargon inintelligible, peut fe réduire à ceci: le beau Poëme de l'Enéide peut être l'effet d'une infinité d'infinités de jets de caracteres d'Imprimerie; donc le monde peut-être auffi l'effet du concours fortuit des atomes agités de toute éternité. Grace aux lumieres de la Philofophie, l'on ne fera plus embarraffé à deviner les Auteurs de quelques. beaux Ouvrages de Littérature, d'Architecture, de Sculpture, que l'antiquité nous a tranfmis. L'on ne difputera plus fi les deux Bucéphales du mont Quitinal font effectivement de Phidias & de Praxitèles, cette difcuffion pourroit être embaraf fante; il fera plus fimple de dire que la matiere de toute éternité s'eft fait jetter par qui l'a bien voulu, dans une infinité de moules; & qu'enfin contente d'être devenue Bucéphale, elle s'en est. tenue là.

D. La combinaifon de lettres telle qu'elle eft dans l'Enéide, eft abfolument poffible; pourquoi donc ne réfulteroit-elle pas d'un mouvement for tuit dans une infinité d'épreuves?

R. 1. Il eft bon de fe fouvenir toujours que la matiere n'eft point éternelle, que le mouvement n'eft ni éternel, ni naturel à la matiere; qu'ainfi les deux Académiciens argumentent fuc

Diderot, Pensées phils

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