treprends de décrire. On fçait affez de quoi eft capable une Milice avide, mutine, & infolente, par le pouvoir qu'elle a ufurpé de créer, ou de profcrire fes Empereurs. Il n'y a rien de fi facré que l'amour de la nouveauté, ou des richeffes, ne lui faffe violer. Comme il n'est que trop connu par tous ceux qui ont lû ce qui s'eft paffé de plus remarquable les fiécles paffés dans l'Arabie, dans la Perfe, à la Chine, à Maroc, au Perou, & en plufieurs autres endroits que je veux paffer fous filence, pour venir plus promptement à mon fujet, qui eft un exemple bien frapant de ce que je viens d'avancer. Il y avoit déja quelque tems que le Sultan Achmet-Selim s'appercevoit que fon Armée étoit mécontente de fe voir obligée d'agir contre les Perfans: Un échec confidérable arrivé à l'Armée Turque aux environs de Tauris, où le Prince Thamas nouveau Sophi de Perfe, avoit eu tout l'avantage, acheva de faire murmurer hautement les Janiffaires. Dieu, difoientils, nous punit justement de l'horrible crime que nous faisons en combattant contre nos freres, qui ne demandent que des chofes juftes. Le Prophéte eft en colere, il nous donne par notre défaite un avertiffement de tourner nos armes contre les Chrétiens, & de porter la Loi chez les Infidelės, au lieu de cher cher à détruire un Païs où elle régné depuis long-temps. Le Sultan informé de ces murmures, & faifant attention aux plaintes qui lui revenoient de toutes parts, crut prévenir fon malheur en ordonnant des priéres publiques & folemnelles. Il s'imagina même qu'une proceffion, où les plus Grands de fon Empire s'humilieroient devant le Tout - puiffant, pourroit appaifer fa colere. Cette proceffion fe fit à la Mecque, aux environs de laquelle l'Armée Turque étoit campée; mais il y a ap parence que cette cérémonie fut plus fatale que favorable au Sultan, puifque quelque temps après il effuya la terrible difgrace que l'on va voir. J Ibrahim Bacha, gendre du Sultan Achmet, & fon favori, avoit gouverné l'Etat durant douze ans. Comme il connoiffoit la paffion du Sultan pour les richeffes, il n'avoit rien oublié pour en amaffer: mais le Kiaïa, & les perfonnes qu'il employoit pour cet effet, s'étant rendues infuportables par leur dureté & leur orgueil, leurs monopoles & leurs vexations; le Grand Vifir d'un autre côté, après avoir amufé long-temps les Peuples par des préparatifs de guerre contre les Chrétiens, ayant enfin affemblé une Armée près de Scutari, & mécontenté les Docteurs de la Loi & les troupes, qui en général n'approuvoient pas la guerre contre les Perfans, & fe défioient des réfolutions, chancelan-, tes & mystérieuses de ce Visir, toutes ces circonstances animérent un certain Janniffaire appellé vulgairement le Patron *, Albanois de nation, homme hardi, intrigant, & faifant le Prophéte, à entreprendre la révolution qui éclata le vingt-huit Septembre de l'année milfept cens trente. Il s'affocia pour cet effet d'un nommé EmirAli, & de fix autres hommes. Ce même jour ces huit perfonnes parurent fur la grande Place de Conftantinople, avec une ferme réfolution d'exécuter leur deffein. Ils attachérent au bout d'un bâton un morceau de vieux tafetas en guife de drapeau, & parcoururent toute la Place en criant à haute voix que tout bon Mufulman devoit fuivre leur Parti, & s'affembler dans la grande Place d'Aft-meïdan, pour y défendre le bien public, & faire exécuter les Loix. De-là ils fe rendirent au : 1 * Ce mutin étoit Fripier de profeffion. Grand Bazeftan, qui est une Place couverte d'un toit, & où il y a plus de mille Boutiques remplies de toutes fortes de marchandifes; ils ordonnérent à l'Infpecteur de cette Place de la fermer, & commandérent la même chofe aux Marchands, qui fur le champ fermé, rent leurs Boutiques, & fe retirérent chez eux. Cette entreprise fi hardie ne promettoit pas d'abord une heureuse iffuë. Les Habitans de Conftanti nople paroiffoient la favorifer plutôt par une connivence affectée, que par aucun fecours réel. Quelques autres Janiffaires voyant la hardieffe des Mécontens, en furent émûs, ils fe joignirent à eux avec quelques Giblis, ou Topigis, gens qui fervent pour l'Artillerie, & s'érant mis en corps, ils coururent tous au Marché aux Armes, où ils s'armérent; de-là ils allérent à la Maifon des Janiffaires, qui eft un grand bâtiment au milieu de la |