fçavoir au Deï qu'il avoit fur fon bord un Officier que le Grand Seigneur envoyoit pour prendre fa place. Le Dei frapé de cette nouvelle comme d'un coup de foudre, affembla promptement le Divan, & déclara que par refpect pour les ordres de Sa Hauteffe, il fe démettoit volontiers de fa Dignité, demandant pour toute faveur de pouvoir paffer en repos le refte de fes jours à Alger, ou dans le voifinage; mais tous les Confeillers du Divan refuférent tout d'une voix fa démiffion. Ils le nommérent tous leur Pere, leur Patron, & après lui avoir témoigné la fatisfaction qu'ils 'avoient de fon Gouvernement, de fes mœurs, & de fa conduite, ils déclarérent qu'ils ne recevroient jamais le Bacha qui fe préfentoit pour occuper fa place. Sur quoi on envoya ordre au Bâtiment qui portoit le Bacha, d'ôter fon pavillon, & de s'éloigner au plus vite du rivage, s'il ne vouloit en être chaffé à coups

de

de canon. On en tira même fur lui deux coups pour lui faire comprendre que c'étoit tout de bon. La Régence refufa auffi de recevoir à terre aucun de ceux qui étoient fur nos deux Vaiffeaux, & ne voulut pas permettre à aucun Habitant d'Alde les aller vifiter. Ce coup d'éclat fit grand bruit, & les plus prudens d'entre ces Barbares en appré hendoient fort les mauvaises fuites.

ger

Cette mauvaise réception ne mit pas le Chiaoux & le Bacha de bonne humeur. Après avoir tenu une efpece de Confeil entr'eux, & les principaux Officiers des Vaiffeaux, il fut réfolu de s'éloigner, & de continuer fa route vers les endroits où le Chiaoux avoit affaire. Nous employâmes quelque temps à toutes ces expéditions, enfin nous remîmes à la voile, & arrivâmes à la rade de Saffy, Ville diftante de Maroc de quelques journées.

Cid Hamet Talbe, Sécrétaire d'Etat du Roy, informé de notre

G

arrivée, fit, par ordre de fon Maltre, tout ce qui dépendoit de lui bien recevoir le Chiaoux, & les gens de fa fuite. Nous fumes tous logés au Château, & bien régalés à la maniére du Païs. Nous apprîmes là que dans les mois de May & de Juin de la même année il s'étoit donné dans ce Royaume trois batailles fanglantes, dans lef quelles le Roy de Maroc Muley Abdallah avoit toujours remporté la victoire.

La premiere, s'étoit donnée au commencement de May dans la pleine d'Azamor, près de la Riviere de Tuat, où fix mille hommes du parti du Bacha de Tanger, ennemi du Roy de Maroc, avoient été mis en déroute; que peu de jours après, l'Armée de ce Bacha, compofée de trente-cinq mille Blancs, avoit été attaquée, & défaite par les Troupes du Roy de Maroc, commandées par un brave Officier nommé Lotabi, dont

l'Armée étoit compofée de quinze mille Noirs, ayant à leur tête le Bacha Zémérani, & de dix mille Blancs, commandés par le Bacha Amcoutarit, Officier de grande réputation dans le Païs; on ajoûtoit que fi les Troupes du Bacha de Tanger avoient eu autant de bravoure que leur Chef, elles auroient remporté une victoire complete, puifque le Bacha avoit tué de fa propre main Zémérani son fils, & quatre autres Officiers Généraux de l'Armée de Lotabi; mais les Blancs ayant pris la fuite dès la feconde décharge, ce Bacha déja bleffé, fut obligé de fe fauver avec cinquante Cavaliers à Taradante, Ville Capitale du Royaume de Suz, fituée dans la chaîne de Montagnes qui forment le Mont Atlas & dont les approches font faciles à défendre, parce que les défilés de ces Montagnes font très étroits. Lotabi prit dans cette action fix Drapeaux, trois Parafols, douze

Chevaux de main & neuf Dromadaires. Six mille Blancs furent tués en fuyant; un des fils du Bacha de Tanger ayant été fait prifonnier, fut préfenté au Roy Muley Abdallah, qui après lui avoir fait un accueil des plus favorables, le renvoya à fa mere, quoique fon Enne

mie.

La troifiéme action s'étoit paffée au mois de Juin. Sapalazar Arrahax neveu du Bacha de Tanger, ayant ramaffé les débris de l'Armée de fon oncle, en compofà un corps de Troupes de quinze mille homnies, avec cette Armée il defcendit dans la Plaine; mais le Roy de Marcc l'y furprit, & l'obligea de prendre la fuite. Après ces trois Batailles, où ce Prince n'avoit perdu qu'environ huit cens hommes il venoit d'attaquer, quelque temps avant notre arrivée, la Ville de Fez, dont les Habitans, qui avoient proclamé Roy le Bacha de Tanger, furent passés au fil de l'épée.