Imágenes de páginas
PDF
EPUB

fait je les tourmenterai l'un et l'autre d'une étrange façon.

L'hôte est un homme assez simple, il fut ébranlé de ce discours; et l'hôtesse, encore plus faible que son mari, croyant déjà voir le revenant à ses trousses, consentit à ce mariage, qui se fit dès le jour suivant. Guillaume, peu de temps après, s'établit dans un autre quartier de la ville le sergent Quebrantador ne manqua pas de le visiter fréquemment; et le nouveau cabaretier, par reconnaissance, lui donna d'abord du vin à discrétion; ce qui plaisait si fort au grivois, qu'il menait tous ses amis à ce cabaret; il y faisait même ses enrôlements, et y enivrait la recrue.

Mais enfin l'hôte se lassa d'abreuver tant de gosiers altérés. Il dit sur cela sa pensée au soldat, qui, sans songer

[graphic][merged small][ocr errors]

pour traiter Guillaume de petit ingrat. Celui-ci répondit. l'autre répliqua, et la conversation finit par quelques coups de plat d'épée que le cabaretier reçut. Plusieurs passants voulurent prendre le parti du bourgeois; Quebrantador en blessa trois ou quatre, et n'en serait pas demeuré là si tout à coup il n'eût été assailli par une foule d'archers qui l'arrêtèrent comme un perturbateur du repos public. Ils le conduisirent en prison, où il a déclaré tout ce que je viens de vous dire; et, sur sa déposition, la justice s'est aussi einparée de Guillaume. Le beau-père demande que le mariage soit cassé; et le saint-office, informé que Guillaume a de bons effets, veut connaître de cette affaire.

Vive Dieu! dit don Cléophas, la sainte inquisition est bien alerte! Sitôt qu'elle voit le moindre jour à tirer quelque profit.... Doucement, interrompit le boiteux; gardezvous bien de vous lâcher contre ce tribunal, il a des espions partout: on lui rapporte jusqu'à des choses qui n'ont jamais été dites; je n'ose en parler moi-même qu'en tremblant.

Au-dessus de l'infortuné Guillaume, dans la première chambre à gauche, il y a deux hommes dignes de votre pitié; l'un est un jeune valet de chambre que la femme de son maître traitait en particulier comme un amant. Un jour le mari les surprit tous deux; la femme aussitôt se met à crier au secours, et dit que le valet de chambre lui a fait violence. On arrêta ce pauvre malheureux, qui, selon toutes les apparences, sera sacrifié à la réputation de sa maîtresse.

Le compagnon du valet de chambre, encore moins coupable que lui, est sur le point de perdre aussi la vie : il est écuyer d'une duchesse à qui l'on a volé un gros diamant; on l'accuse de l'avoir pris ; il aura demain la question, où il sera tourmenté jusqu'à ce qu'il confesse avoir fait

le vol; et toutefois la personne qui en est l'auteur est une femme de chambre favorite qu'on n'oserait soupçonner.

Ah! seigneur Asmodée, dit Leandro, rendez, je vous prie, service à cet écuyer: son innocence m'intéresse pour lui; dérobez-le, par votre pouvoir, aux injustes et cruels supplices qui le menacent: il mérite que.... Vous n'y pensez pas, seigneur écolier, interrompit le Diable: pouvezvous demander que je m'oppose à une action inique, et que j'empêche un innocent de périr? C'est prier un procureur de ne pas ruiner une veuve ou un orphelin.

Oh! s'il vous plaît, ajouta-t-il, n'exigez pas de moi que je fasse quelque chose qui soit contraire à mes intérêts, à moins que vous n'en tiriez un avantage considérable. D'ailleurs, quand je voudrais déliver ce prisonnier, le pourrais-je? Comment donc, répliqua Zambullo, est-ce que vous n'avez pas la puissance d'enlever un homme de la prison? Non certainement, repartit le boiteux. Si vous aviez lu l'Enchiridion, ou Albert-le-Grand, vous sauriez que je ne puis, non plus que mes confrères, mettre un prisonnier en liberté moi-même, si j'avais le malheur d'être entre les griffes de la justice, je ne pourrais m'en tirer qu'en finançant.

Dans la chambre prochaine, du même côté, loge un chirurgien convaincu d'avoir, par jalousie, fait à sa femme une saignée comme celle de Sénèque : il a eu aujourd'hui la question; et, après avoir confessé le crime dont on l'accusait, il a déclaré que depuis dix ans il s'est servi d'un moyen assez nouveau pour se faire des pratiques. Il blessait la nuit les passants avec une baïonnette, et se sauvait chez lui par une petite porte de derrière : cependant le blessé poussait des cris qui attiraient les voisins à son secours : le chirurgien y accourait lui-même comme les autres; et, trouvant un homme noyé dans son sang, il le faisait porter dans

sa boutique, où il le pansait de la même main dont il l'avait frappé.

Quoique ce chirurgien cruel ait fait cette déclaration, et qu'il mérite mille morts, il ne laisse pas de se flatter qu'on lui fera grâce; et c'est ce qui pourra fort bien arriver, parce qu'il est parent de madame la remueuse de l'infante : outre cela, je vous dirai qu'il a chez lui une eau merveilleuse que lui seul sait composer, une eau qui a la vertu de blanchir la peau, et de faire d'un visage décrépit une face enfantine; et cette eau incomparable sert de fontaine de Jouvence à trois dames du palais qui se sont jointes ensemble pour le sauver. Il compte si fort sur leur crédit, ou, si vous voulez, sur son eau, qu'il s'est endormi tranquillement, dans l'espérance qu'à son réveil il recevra l'agréable nouvelle de son élargissement.

J'aperçois sur un grabat, dans la même chambre, dit l'écolier, un autre homme qui dort, ce me semble, aussi d'un sommeil paisible; il faut que son affaire ne soit pas bien mauvaise. Elle est fort délicate, répondit le Démon. Ce cavalier est un gentilhomme biscayen qui s'est enrichi d'un coup d'escopette; et voici comment. Il y a quinze jours que, chassant dans une forêt avec son frère aîné, qui jouissait d'un revenu considérable, il le tua par malheur, en tirant sur des perdreaux. L'heureux quiproquo pour un cadet! s'écria don Cleophas en riant. Oui, reprit Asmodée; mais les collatéraux, qui voudraient bien s'approprier la succession du défunt, poursuivent en justice son meurtrier, qu'ils accusent d'avoir fait le coup pour devenir unique héritier de sa famille. Il s'est de lui-même constitué prisonnier; et il paraît si affligé de la mort de son frère, qu'on ne saurait s'imaginer qu'il ait eu intention de lui ôter la vie. Et n'at-il effectivement rien à se reprocher là-dessus que son peu d'adresse? répliqua Leandro. Non, repartit le boiteux, il

[ocr errors]

n'a pas eu une mauvaise volonté; mais lorsqu'un fils aîné possède tout le bien d'une maison, je ne lui conseille pas de chasser avec son cadet.

Examinez bien ces deux adolescents qui, dans un petit réduit auprès du gentilhomme de Biscaye, s'entretiennent aussi gaiement que s'ils étaient en liberté. Ce sont deux véritables picaros. Il y en a principalement un qui pourra donner quelque jour au public un détail de ses espiégleries : c'est un nouveau Guzman d'Alfarache; c'est celui qui a un pourpoint de velours brun, et un plumet à son chapeau.

Il n'y a pas trois mois qu'il était, dans cette ville, page du comte d'Onate, et il serait encore au service de ce seigneur, sans une fourberie qui est la cause de sa prison, et que je

veux vous conter.

Ce garçon, nommé Domingo, reçut un jour, chez le comte, cent coups de fouet, que l'écuyer de salle, autrement le gouverneur des pages, lui fit rudement appliquer, pour certain tour d'habileté qui le méritait. Il eut longtemps sur le cœur cette petite correction-là, et il résolut de s'en venger. Il avait remarqué plus d'une fois que le seigneur don Côme, c'est le nom de l'écuyer, se lavait les mains avec de l'eau de fleur d'orange, et se frottait le corps avec des pâtes d'œillet et de jasmin; qu'il avait plus de soin de sa personne qu'une vieille coquette, et qu'enfin c'était un de ces fats qui s'imaginent qu'une femme ne saurait les voir sans les aimer. Cette remarque lui fournit une idée de vengeance qu'il communiqua à une jeune soubrette de son voisinage, de laquelle il avait besoin pour l'exécution de son projet, et dont il était tellement ami, qu'il ne pouvait le devenir davantage.

Cette suivante, appelée Floretta, pour avoir la liberté de lui parler plus aisément, le faisait passer pour son cousin dans la maison de dona Luziana, sa maîtresse, dont le père

« AnteriorContinuar »