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trop duré, a été au désespoir de ce nouveau retardement; il est pourtant encore demeuré dans l'église. Le prédicateur paraît, et prêche contre l'usure. L'officier en est ravi; et, observant le visage de l'usurier, il dit en lui même : Si ce juif pouvait se laisser toucher; s'il me donnait seulement six cents ducats, je partirais content de lui. Enfin, le sermon fini, l'usurier sort. Le capitaine le joint, et lui dit : Hé bien, que pensez-vous de ce prédicateur? ne trouvezvous pas qu'il prèche avec beaucoup de force? pour moi, j'en suis tout ému. J'en porte même jugement que vous, répond l'usurier; il a parfaitement traité sa matière, c'est un savant homme il a fort bien fait son métier; allons nous-en faire le nôtre.

Hé! qui sont ces deux femmes qui sont couchées ensemble, et qui font de si grands éclats de rire? s'écria don Cleophas elles me paraissent bien gaillardes. Ce sont, répondit le Diable, deux sœurs qui ont fait enterrer leur père ce matin. C'était un homme bourru, et qui avait tant d'aversion pour le mariage, ou plutôt tant de répugnance à établir ses filles, qu'il n'a jamais voulu les marier, quelques partis avantageux qui se soient présentés pour elles. Le caractère du défunt était tout à l'heure le sujet de leur entretien. Il est mort enfin, disait l'aînée, il est mort, ce père dénaturé qui se faisait un plaisir barbare de nous voir filles; il ne s'opposera plus à nos voeux. Pour moi, ma sœur, a dit la cadette, j'aime le solide; je veux un homme riche, fût-il d'ailleurs une bête, et le gros don Blanco sera mon fait. Doucement, ma sœur, a répliqué l'aînée, nous aurons pour époux ceux qui nous sont destinés; car nos mariages sont écrits dans le ciel. Tans pis, vraiment, a reparti la cadette ; j'ai bien peur que mon père n'en déchire la feuille. L'aînée n'a pu s'empêcher de rire de cette saillie, et elles en rient encore toutes deux.

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Dans la maison qui suit celle des deux sœurs est logée en chambre garnie une aventurière aragonaise. Je la vois qui se mire dans une glace, au lieu de se coucher : elle félicite ses charmes sur une conquête importante qu'ils ont faite aujourd'hui elle étudie des mines, et elle en a découvert une nouvelle, qui fera demain un grand effet sur son amant. Elle ne peut trop s'appliquer à le ménager: c'est un sujet qui promet beaucoup aussi a-t-elle dit tantôt à un de ses créanciers qui lui est venu demander de l'argent : Attendez, mon ami; revenez dans quelques jours; je suis en termes d'accommodement avec un des principaux personnages de la douane.

Il n'est pas besoin, dit Leandro, que je vous demande ce qu'a fait certain cavalier qui se présente à ma vue; il faut qu'il ait passé la journée entière à écrire des lettres.

Quelle quantité j'en vois sur sa table! Ce qu'il y a de plaisant, répondit le Démon, c'est que toutes ces lettres ne contiennent que la même chose. Ce cavalier écrit à tous ses amis absents; il leur mande une aventure qui lui est arrivée cette après-midi. Il aime une veuve de trente ans, belle et prude; il lui rend des soins qu'elle ne dédaigne pas : il propose de l'épouser; elle accepte la proposition. Pendant qu'on fait les préparatifs des noces, il a la liberté de l'aller voir chez elle: il y a été cette après-dînée; et,

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comme par hasard il ne s'est trouvé personne pour l'annoncer, il est entré dans l'appartement de la dame, qu'il a

surprise dans un galant déshabillé, ou, pour mieux dire, presque nue, sur un lit de repos. Elle dormait d'un profond sommeil. Il s'approche doucement d'elle pour profiter de l'occasion; il lui dérobe un baiser; elle se réveille, et s'écrie en soupirant tendrement : « Encore! ah! je t'en prie, Ambroise, laisse-moi en repos. » Le cavalier, en galant homme, a pris son parti sur-le-champ : il a renoncé à la veuve; il est sorti de l'appartement; il a rencontré Ambroise à la porte: Ambroise, lui a-t-il dit, n'entrez pas; votre maîtresse vous prie de la laisser en repos.

A deux maisons au-delà de ce cavalier, je découvre dans un petit corps de logis un original de mari qui s'endort tranquillement aux reproches que sa femme lui fait d'avoir passé la journée entière hors de chez lui. Elle serait encore plus irritée si elle savait à quoi il s'est amusé. Il aura sans doute été occupé de quelque aventure galante? dit Zambullo. Vous y êtes, reprit Asmodée; je vais vous la détailler.

L'homme dont il s'agit est un bourgeois nommé Patrice; c'est un de ces maris libertins qui vivent sans souci, comme s'ils n'avaient ni femme ni enfants : il a pourtant une jeune épouse aimable et vertueuse, deux filles et un fils, tous trois encore dans leur enfance. Il est sorti ce matin de sa maison, sans s'informer s'il y avait du pain pour sa famille, qui en manque quelquefois. Il a passé par la grande place, où les apprêts du combat des taureaux qui s'est fait aujourd'hui l'ont arrêté : les échafauds étaient déjà dressés tout autour, et déjà les personnes les plus curieuses commençaient à s'y placer.

Pendant qu'il les considérait les uns et les autres, il aperçoit une dame bien faite et proprement vêtue qui laissait voir, en descendant d'un échafaud, une belle jambe bien tournée, couverte d'un bas de soie couleur de rose, avec une jarretière d'argent : il n'en a pas fallu davantage

pour mettre notre faible bourgeois hors de lui-même. Il s'est avancé vers la dame qu'accompagnait une autre qui faisait assez connaître, par son air, qu'elles étaient toutes deux des aventurières : Mesdames, leur a-t-il dit, si je puis vous être bon à quelque chose, vous n'avez qu'à parler, vous me trouverez disposé à vous servir. Seigneur cavalier, a répondu la nymphe aux bas couleur de rose, votre offre n'est pas à rejeter : nous avions déjà pris nos places, mais nous venons de les quitter pour aller déjeuner; nous avons eu l'imprudence de sortir ce matin de chez nous sans prendre notre chocolat puisque vous êtes assez galant pour nous offrir vos services, conduisez-nous, s'il vous plaît, à quelque endroit où nous puissions manger un morceau, mais que ce soit dans un lieu retiré : vous savez que les filles ne peuvent avoir trop de soin de leur réputation.

A ces mots, Patrice, devenant plus honnête et plus poli que la nécessité, mène ces princesses à la taverne du faubourg, où il demande à déjeuner. Que voulez-vous? lui dit l'hôte; j'ai, de reste d'un grand festin qui s'est donné hier chez moi, des poulets de grain, des perdreaux de Léon, des pigeonneaux de la Castille vieille, et plus de la moitié d'un jambon d'Estramadure. En voilà plus qu'il ne nous en faut, dit le conducteur des vestales. Mesdames, vous n'avez qu'à choisir que souhaitez-vous? Ce qu'il vous plaira, répondent-elles; nous n'avons pas d'autre goût que le vôtre. Là-dessus le bourgeois commande qu'on serve deux perdreaux et deux poulets froids, et qu'on lui donne une chambre particulière, attendu qu'il est avec des dames très-délicates sur les bienséances.

On le fait entrer, lui et sa compagnie, dans un cabinet écarté, où, un moment après, on leur apporte le plat ordonné, avec du pain et du vin. Nos Lucrèces, comme dames de haut appétit, se jettent avidement sur les viandes, tandis

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