Imágenes de páginas
PDF
EPUB

seul avec elle, et la regardant avec des yeux étincelants de fureur, il lui dit : Malheureuse! qui, malgré la noblesse de ton sang, n'as pas de honte de commettre des actions infâmes, prépare-toi à souffrir un juste châtiment. Ce fer, ajouta-t-il en tirant de son sein un poignard, ce fer va

[graphic][subsumed]

t'ôter la vie, si tu ne confesses la vérité : nomme-moi l'audacieux qui est venu cette nuit déshonorer ma maison. Emerenciana demeura tout interdite et si troublée de

cette menace, qu'elle ne put proférer une parole. Ah! misérable, poursuivit le père, ton silence et ton trouble ne m'apprennent que trop ton crime. Eh! t'imagines-tu, fille indigne de moi, que j'ignore ce qui se passe? J'ai vu cette nuit le téméraire ; j'ai reconnu don Kimen: ce n'eût pas été assez de recevoir la nuit un cavalier dans ton appartement, il fallait encore que ce cavalier fût mon plus grand ennemi! Mais sachons jusqu'à quel point je suis outragé parle sans déguisement; ce n'est que par ta sincérité que tu peux éviter la mort.

La dame, à ces derniers mots, concevant quelque espérance d'échapper au sort funeste qui la menaçait, perdit une partie de sa frayeur, et répondit à don Guillem : Seigneur, je n'ai pu me défendre d'écouter Lizana; mais je prends le ciel à témoin de la pureté de ses sentiments. Comme il sait que vous haïssez sa famille, il n'a point encore osé vous demander votre aveu; et ce n'est que pour conférer ensemble sur les moyens de l'obtenir, que je lui ai permis quelquefois de s'introduire ici. Eh! de quelle personne, répliqua Stephani, vous servez-vous l'un et l'autre pour faire tenir vos lettres? C'est, repartit sa fille, un de vos pages qui nous rend ce service. Voilà, reprit le père, tout ce que je voulais savoir : il s'agit présentement d'exécuter le dessein que j'ai formé. Là-dessus, toujours la dague à la main, il lui fit prendre du papier et de l'encre, et l'obligea d'écrire à son amant ce billet qu'il lui dicta lui-même : « Cher époux, seul délice de ma vie, je vous avertis que << mon père vient de partir tout à l'heure pour sa terre, d'où <«< il ne reviendra que demain : profitez de l'occasion ; je me « flatte que vous attendrez la nuit avec autant d'impatience « que moi. >>

Après qu'Emerenciana eut écrit et cacheté ce billet perfide, don Guillem lui dit : Fais venir le page qui s'acquitte si bien

de l'emploi dont tu le charges, et lui ordonne de porter ce papier à don Kimen; mais n'espère pas me tromper : je vais me cacher dans un endroit de cette chambre, d'où je t'observerai quand tu lui donneras cette commission; et si tu lui dis un mot, ou lui fais quelque signe qui lui rende le message suspect, je te plongerai aussitôt le poignard dans le cœur. Emerenciana connaissait trop son père pour oser lui désobéir : elle remit le billet, comme à l'ordinaire, entre les mains du page.

Alors Stephani rengaîna la dague; mais il ne quitta point sa fille de toute la journée : il ne la laissa parler à personne en particulier, et fit si bien que Lizana ne put être averti du piége qu'on lui tendait. Ce jeune homme ne manqua donc pas de se trouver au rendez-vous. A peine fut-il dans la maison de sa maîtresse, qu'il se sentit tout à coup saisi par trois hommes des plus vigoureux, qui le désarmèrent

[graphic]

sans qu'il pût s'en défendre, lui mirent un linge dans la

bouche pour l'empêcher de crier, lui bandèrent les yeux, et lui lièrent les mains derrière le dos: en même temps ils le portèrent en cet état dans un carrosse préparé pour cela, et dans lequel ils montèrent tous trois pour mieux répondre du cavalier, qu'ils conduisirent à la terre de Stephani, située au village de Miedes, à quatre petites lieues de Siguença, Don Guillem partit un moment après dans un autre carrosse, avec sa fille, deux femmes de chambre et une duègne rébarbative qu'il avait fait venir chez lui l'après-dîner et prises à son service. Il emmena aussi tout le reste de ses gens, à la réserve d'un vieux domestique qui n'avait aucune connaissance du ravissement de Lizana.

Ils arrivèrent tous avant le jour à Miedes. Le premier soin du seigneur Stephani fut de faire enfermer don Kimen dans une cave voûtée, qui recevait une faible lumière par un soupirail si étroit, qu'un homme n'y pouvait passer : il ordonna ensuite à Julio, son valet de confiance, 'de donner pour toute nourriture au prisonnier du pain et de l'eau, pour lit une botte de paille, et de lui dire chaque fois qu'il lui porterait à manger: Tiens, lâche suborneur, voilà de quelle manière don Guillem traite ceux qui sont assez hardis pour oser l'offenser. Ce cruel Sicilien n'en usa pas moins durement avec sa fille : il l'emprisonna dans une chambre qui n'avait point de vue sur la campagne, lui ôta ses femmes, et lui donna pour geôlière la duègne qu'il avait choisie, duègne sans égale pour tourmenter les filles commises à sa garde.

Il disposa donc ainsi des deux amants. Son intention n'était pas de s'en tenir là: il avait résolu de se défaire de don Kimen; mais il voulait tâcher de commettre ce crime impunément, ce qui paraissait assez difficile. Comme il s'était servi de ses valets pour enlever ce cavalier, il ne pouvait pas se flatter qu'une action sue de tant de monde demeure

rait toujours secrète. Que faire donc pour n'avoir rien à démêler avec la justice? 11 prit son parti en grand scélérat : il assembla tous ses complices dans un corps de logis séparé du château; il leur témoigna combien il était satisfait de leur zèle, et leur dit que, pour le reconnaître, il prétendait leur donner une bonne somme d'argent après les avoir bien régalés. Il les fit asseoir à une table; et, au milieu du festin,

[graphic][subsumed]

Julio les empoisonna par son ordre: ensuite le maître et

« AnteriorContinuar »