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Valence, en songeant au parti qu'ils avaient à prendre. Ils résolurent d'aller chercher leur ennemi commun dans sa retraite : ils s'embarquèrent bientôt tous deux sans suite, à Dénia, pour passer au Port-Mahon, ne doutant pas qu'ils n'y trouvassent une commodité pour aller à l'île de Sardaigne. Effectivement, ils ne furent pas plutôt arrivés au Port-Mahon qu'ils apprirent qu'un vaisseau frété pour Cagliari devait incessamment mettre à la voile: ils profitèrent de l'occasion.

Le vaisseau partit avec un vent tel qu'ils le pouvaient souhaiter; mais cinq ou six heures après leur départ, il survint un calme; et la nuit, le vent étant devenu contraire, ils

furent obligés de louvoyer, dans ce qu'il changerait.

Ils naviguèrent de cette sorte pendant trois jours; le quatrième, sur les deux heures après midi, ils découvrirent un vaisseau qui venait droit à eux les voiles tendues. Ils le prirent d'abord pour un vaisseau marchand; mais voyant qu'il s'avançait presque sous leur canon, sans arborer aucun pavillon, ils ne doutèrent plus que ce ne fût un corsaire.

Ils ne se trompaient pas : c'était un pirate de Tunis qui croyait que les chrétiens allaient se rendre sans combattre ; mais lorsqu'il s'aperçut qu'ils brouillaient les voiles et préparaient leur canon, il jugea que l'affaire serait plus sérieuse qu'il n'avait pensé : c'est pourquoi il s'arrêta, brouilla aussi ses voiles, et se disposa au combat.

Ils commencèrent de part et d'autre à se canonner, et les chrétiens semblaient avoir quelque ayantage; mais un corsaire d'Alger, avec un vaisseau plus grand et mieux armé que les autres, arrivant au milieu de l'action, prit. le parti du pirate de Tunis. Il s'approcha du bâtiment espagnol à pleines voiles, et le mit entre deux feux.

Les chrétiens perdirent courage à cette vue; et ne vou lant pas continuer un combat qui devenait trop. inégal, ils

cessèrent de tirer. Alors il parut, sur la poupe du navire d'Alger, un esclave qui se mit à crier en espagnol aux gens du vaissean chrétien qu'ils eussent à se rendre pour Alger,

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s'ils voulaient qu'on leur fit quartier. Après ce cri, un Turc, qui tenait une banderole de taffetas vert, parsemée de demilunes d'argent entrelacées, la fit flotter dans l'air. Les chrétiens, considérant que toute leur résistance ne pouvait être qu'inutile, ne songèrent plus à se défendre : ils se livrèrent à toute la douleur que l'idée de l'esclavage peut causer à des hommes libres; et le maître, craignant qu'un plus long retardement n'irritât des vainqueurs barbares, ôta la banderole de la poupe, se jeta dans l'esquif avec quelques-uns de ses matelots, et alla se rendre au corsaire d'Alger.

Ce pirate envoya une partie de ses soldats visiter le bâtiment espagnol, c'est-à-dire piller tout ce qu'il y avait

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dedans. Le corsaire de Tunis, de son côté, donna le même. ordre à quelques-uns de ses gens; de sorte que tous les passagers de ce malheureux navire furent en un instant désarmés et fouillés, et on les fit passer ensuite dans le vaisseau algérien, où les deux pirates en firent un partage qui fut réglé par le sort.

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pour son ami de tomber tous deux au pouvoir du même corsaire ils auraient trouvé leurs chaînes moins pesantes s'ils avaient pu les porter ensemble; mais la fortune, qui voulait leur faire éprouver toute sa rigueur, soumit don Fadrique au corsaire de Tunis, et don Juan à celui d'Alger.

Peignez-vous le désespoir de ces amis, quand il leur fallut se quitter: ils se jetèrent aux pieds des pirates, pour les conjurer de ne point les séparer; mais ces corsaires, dont la barbarie était à l'épreuve des spectacles les plus touchants, ne se laissèrent point fléchir : au contraire, jugeant que ces deux captifs étaient des personnes considérables, et qu'ils pourraient payer une grosse rançon, ils résolurent de les partager.

Mendoce et Zarate, voyant qu'ils avaient affaire à des cœurs impitoyables, se regardaient l'un l'autre, et s'exprimaient par leurs regards l'excès de leur affliction. Mais lorsque l'on eut achevé le partage du butin, et que le pirate de Tunis voulut regagner son bord avec les esclaves qui lui étaient échus, ces deux amis pensèrent expirer de douleur. Mendoce s'approcha du Tolédan, et le serrant entre ses bras: Il faut donc, lui dit-il, que nous nous séparions! quelle affreuse nécessité! Ce n'est pas assez que l'audace d'un ravisseur demeure impunie, on nous défend même d'unir nos plaintes et nos regrets! Ah! don Juan, qu'avons-nous fait au ciel pour éprouver si cruellement sa colère? Ne cherchez point ailleurs la cause de nos disgrâces, répondit don Juan ; il ne les faut imputer qu'à moi. La mort des deux personnes que je me suis immolées, quoique excusable aux yeux des hommes, aura sans doute irrité le ciel, qui vous punit aussi d'avoir pris de l'amitié pour un misérable que poursuit sa justice.

En parlant ainsi, ils répandaient tous deux des larmes si abondamment, et soupiraient avec tant de violence, que les autres esclaves n'en étaient pas moins touchés que de leur propre infortune. Mais les soldats de Tunis, encore plus barbares que leur maître, remarquant que Mendoce tardait à sortir du vaisseau, l'arrachèrent brutalement des bras du Tolédan, et l'entraînèrent avec eux, en le char

geant de coups. Adieu, cher ami, s'écria-t-il, je ne vous reverrai plus dona Theodora n'est point vengée; les maux que ces cruels m'apprêtent seront les moindres peines de mon esclavage.

Don Juan ne put répondre à ces paroles; le traitement qu'il voyait faire à son ami lui causa un saisissement qui

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lui ôta l'usage de la voix. Comme l'ordre de cette histoire

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