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tu viendras dans mon appartement me rendre compte de

cet entretien.

Zarate entra aussitôt dans la chambre, poussa la porte, salua l'esclave sans attacher ses yeux sur elle, et l'esclave reçut son salut sans le regarder fixement; mais, venant tout à coup à s'envisager l'un l'autre avec attention, ils firent un cri de surprise et de joie. O ciel! dit le Tolédan en s'approchant d'elle, n'est-ce point une image vaine qui me séduit? est-ce en effet dona Theodora que je vois? Ah! don Juan, s'écria la belle esclave, est-ce vous qui me parJez? Oui, madame, répondit-il en baisant tendrement une

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de ses mains, c'est don Juan lui-même. Reconnaissez-moi à ces pleurs que mes yeux, charmés de vous revoir, ne sauraient retenir; à ces transports que votre présence seule

est capable d'exciter : je ne murmure plus contre la fortune, puisqu'elle vous rend à mes voeux.... Mais où m'emporte une joie immodérée? J'oublie que vous êtes dans les fers. Par quel nouveau caprice du sort y êtes-vous tombée ? comment avez-vous pu vous sauver de la téméraire ardeur de don Alvaro? Ah! qu'elle m'a causé d'alarmes ! et que je crains d'apprendre que le ciel n'ait pas assez protégé la vertu !

Le ciel, dit dona Theodora, m'a vengée d'Alvaro Ponce. Si j'avais le temps de vous raconter... Vous en avez tout le loisir, interrompit don Juan : le dey me permet d'être avec vous, et, ce qui doit vous surprendre, de vous entretenir sans témoin. Profitons de ces heureux moments; instruisez-moi de tout ce qui vous est arrivé depuis votre enlèvement jusqu'ici. Eh! qui vous a dit, reprit-elle, que c'est par don Alvaro que j'ai été enlevée ? Je ne le sais que trop bien, repartit don Juan. Alors il lui conta succinctement de quelle manière il l'avait appris, et comme Mendoce et lui s'étant embarqués pour aller chercher son ravisseur, ils avaient été pris par des corsaires. Dès qu'il eut achevé son récit, Theodora commença le sien en ces termes :

Il n'est pas besoin de vous dire que je fus fort étonnée de me voir saisie par une troupe de gens masqués : je m'óvanouis entre les bras de celui qui me portait; et quand je revins de mon évanouissement, qui fut sans doute très-long, je me trouvai seule avec Inès, une de mes femmes, en pleine mer, dans la chambre de poupe d'un vaisseau qui avait les voiles au vent.

La malheureuse Inès se mit à m'exhorter à prendre patience, et j'eus lieu de juger, par ses discours, qu'elle était d'intelligence avec mon ravisseur. Il osa se montrer devant moi; et venant se jeter à mes pieds: Madame, me dit-il, pardonnez à don Alvaro le moyen dont il se sert pour vous

posséder: vous savez quels soins je vous ai rendus, et par quel attachement j'ai disputé votre cœur à don Fadrique, jusqu'au jour que vous lui avez donné la préférence. Si je n'avais eu pour vous qu'une passion ordinaire, je l'aurais vaincue, et je me serais consolé de mon malheur; mais mon sort est d'adorer vos charmes : tout méprisé que je suis, je ne saurais m'affranchir de leur pouvoir. Ne craignez rien pourtant de la violence de mon amour: je n'ai point attenté à votre liberté pour effrayer votre vertu par d'indignes efforts; et je prétends que, dans la retraite où je vous conduis, un noeud éternel et sacré unisse nos cœurs.

Il me tint encore d'autres discours dont je ne puis bien me ressouvenir; mais, à l'entendre, il semblait qu'en me forçant à l'épouser il ne me tyrannisait pas, et que je devais moins le regarder comme un ravisseur insolent, que comme un amant passionné. Pendant qu'il parla, je ne fis que pleurer et me désespérer; c'est pourquoi il me quitta, sans perdre le temps à me persuader; mais en se retirant il fit un signe à Inès, et je compris que c'était pour qu'elle appuyât adroitement les raisons dont il avait voulu m'éblouir.

Elle n'y manqua point: elle me représenta même qu'après l'éclat d'un enlèvement, je ne pourrais guère me dispenser d'accepter la main d'Alvaro Ponce, quelque aversion que j'eusse pour lui; que ma réputation ordonnait ce sacrifice à mon cœur. Ce n'était pas le moyen d'essuyer mes larmes, que de me faire voir la nécessité de ce mariage affreux; aussi étais-je inconsolable. Inès ne savait plus que me dire, lorsque tout à coup nous entendîmes sur le tillac un grand bruit qui attira toute notre attention.

Ce bruit, que faisaient les gens de don Alvaro, était causé par la vue d'un gros vaisseau qui venait fondre sur nous à voiles déployées comme le nôtre n'était pas si bon voilier

que celui-là, il nous fut impossible de l'éviter. Il s'approcha de nous, et bientôt nous entendîmes crier: Arrive! arrive! Mais Alvaro Ponce et ses gens, aimant mieux mourir que de se rendre, furent assez hardis pour vouloir combattre. L'action fut très-vive : je ne vous en ferai point le détail; je vous dirai seulement que don Alvaro et tous les siens

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périrent, après s'être battus comme des désespérés. Pour nous, l'on nous fit passer dans le gros vaisseau, qui appartenait à Mezzomorto, et que commandait Aby Aly Osman, un de ses officiers.

Aby Aly me regarda longtemps avec quelque surprise; et connaissant à mes habits que j'étais Espagnole, il me dit en langue castillane: Modérez votre affliction: consolezvous d'être tombée dans l'esclavage; ce malheur était iné

vitable pour vous; mais que dis-je, ce malheur? c'est un avantage dont vous devez vous applaudir. Vous êtes trop belle pour vous borner aux hommages des chrétiens. Le ciel ne vous a point fait naître pour ces misérables mortels; vous méritez les vœux des premiers hommes du monde : les seuls musulmans sont dignes de vous posséder. Je vais, ajouta-t-il, reprendre la route d'Alger : quoique je n'aie point fait d'autre prise, je suis persuadé que le dey, mon maître, sera satisfait de ma course. Je ne crains pas qu'il condamne l'impatience que j'aurai eue de remettre entre ses mains une beauté qui va faire ses délices, et tout l'ornement de son sérail.

A ce discours, qui me faisait connaître ce que j'avais à redouter, je redoublai mes pleurs. Aby Aly, qui voyait d'un autre ceil que moi le sujet de ma frayeur, n'en fit que rire, et cingla vers Alger, tandis que je m'affligeais sans modé– ration. Tantôt j'adressais mes soupirs au ciel et j'implorais son secours; tantôt je souhaitais que quelques vaisseaux chrétiens vinssent nous attaquer, ou que les flots nous engloutissent; après cela, je souhaitais que mes larmes et ma douleur me rendissent si effroyable, que ma vue pût faire horreur au dey: vains souhaits que ma pudeur alarmée me faisait former. Nous arrivâmes au port: on me reconduisit dans ce palais; je parus devant Mezzomorto.

Je ne sais point ce que dit Aby Aly en me présentant à son maître, ni ce que son maître lui répondit, parce qu'ils se parlèrent en turc; mais je crus m'apercevoir, aux gestes et aux regards du dey, que j'avais le malheur de lui plaire ; et les choses qu'il me dit ensuite en espagnol achevèrent de me mettre au désespoir, en me confirmant dans cette opinion.

Je me jetai vainement à ses pieds, et lui promis tout ce qu'il voulait pour ma rançon : j'eus beau tenter son avarice

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