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par l'offre de tous mes biens, il me dit qu'il m'estimait plus que toutes les richesses du monde. Il me fit préparer cet

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appartement, qui est le plus magnifique de son palais; et depuis ce temps-là il n'a rien épargné pour bannir la tristesse dont il me voit accablée. Il m'amène tous les esclaves de l'un et de l'autre sexe qui savent chanter ou jouer de quelque instrument. Il m'a ôté Inès, dans la pensée qu'elle ne faisait que nourrir mes chagrins ; et je suis servie par de vieilles esclaves qui m'entretiennent sans cesse de l'amour de leur maître, et de tous les différents plaisirs qui me sont réservés.

Mais tout ce qu'on met en usage pour me divertir produit un effet tout contraire: rien ne peut me consoler. Captive dans ce détestable palais, qui retentit tous les jours des

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cris de l'innocence opprimée, je souffre encore moins de la perte de ma liberté que de la terreur que m'inspire l'odieuse tendresse du dey. Quoique je n'aie trouvé en lui jusqu'à ce jour qu'un amant complaisant et respectueux, je n'en ai pas moins d'effroi, et je crains que, lassé d'un respect qui le gêne déjà peut-être, il n'abuse enfin de son pouvoir: je suis agitée sans relâche de cette affreuse crainte et chaque instant de ma vie m'est un supplice nouveau.

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Dona Theodora ne put achever ces paroles sans verser des pleurs. Don Juan en fut pénétré. Ce n'est pas sans raison, madame, lui dit-il, que vous vous faites de l'avenir une si horrible image; j'en suis autant épouvanté que vous. Le respect du dey est plus prêt à se démentir que vous ne pensez; cet amant soumis dépouillera bientôt sa feinte douceur, je ne le sais que trop, et je vois tous les dangers que

Vous courez.

Mais, continua-t-il en changeant de ton, je n'en serai point un témoin tranquille. Tout esclave que je suis, mon désespoir est à craindre : avant que Mezzomorto vous outrage, je veux enfoncer dans son sein..... Ah! don Juan, interrompit le veuve de Cifuentes, quel projet osez-vous concevoir! gardez-vous bien de l'exécuter. De quelles cruautés cette mort serait suivie ! Les Turcs ne la vengeraient-ils pas? les tourments les plus effroyables.... Je ne puis y penser sans frémir! D'ailleurs, n'est-ce pas vous exposer à un péril superflu? En ôtant la vie au dey, me rendriez-vous la liberté? Hélas! je serais vendue à quelque scélérat peut-être, qui aurait moins de respect pour moi que Mezzomorto. C'est à toi, ciel, à montrer ta justice! tu connais la brutale envie du dey; tu me défends le fer et le poison; c'est donc à toi de prévenir un crime qui t'offense.

Oui, madame, reprit Zarate, le ciel le préviendra; je sens déjà qu'il m'inspire; ce qui me vient dans l'esprit en

ce moment est sans doute un avis secret qu'il me donne. Le dey ne m'a permis de vous voir que pour vous porter à répondre à son amour. Je dois aller lui rendre compte de notre conversation; il faut le tromper. Je vais lui dire que vous n'êtes pas inconsolable; que la conduite qu'il tient avec vous commence à soulager vos peines, et que s'il continue, il doit tout espérer secondez-moi de votre côté. Quand il vous reverra, qu'il vous trouve moins triste qu'à l'ordinaire : feignez de prendre quelque sorte de plaisir à ses discours.

Quelle contrainte ! interrompit dona Theodora. Comment une âme franche et sincère pourra-t-elle se trahir jusquelà, et quel sera le fruit d'une feinte si pénible? Le dey, répondit-il, s'applaudira de ce changement, et voudra, par sa complaisance, achever de vous gagner; pendant ce tempslà je travaillerai à votre liberté. L'ouvrage, j'en conviens, est difficile; mais je connais un esclave adroit, dont j'espère que l'industrie ne nous sera pas inutile.

Je vous laisse, poursuivit-il ; l'affaire veut de la diligence : nous nous reverrons. Je vais trouver le dey, et tâcher d'amuser par des fables son impétueuse ardeur. Vous, madame, préparez-vous à le recevoir : dissimulez, efforcezvous; que vos regards, que sa présence blesse, soient désarmés de haine et de rigueur; que votre bouche, qui ne s'ouvre tous les jours que pour déplorer votre infortune, tienne un langage qui le flatte ne craignez point de lui paraître trop favorable; il faut tout promettre pour ne rien accorder. C'est assez, repartit Theodora, je ferai tout ce que vous me dites, puisque le malheur qui me menace m'impose cette cruelle nécessité. Allez, don Juan, employez tous vos soins à finir mon esclavage; ce sera un surcroît de joie pour moi si je tiens de vous ma liberté.

Le Tolédan, suivant l'ordre de Mezzomorto, se rendit

auprès de lui. Hé bien! Alvaro, lui dit ce dey avec beaucoup d'émotion, quelles nouvelles m'apportes-tu de la belle esclave? l'as-tu disposée à m'écouter? Si tu m'apprends que je ne dois point me flatter de vaincre sa farouche douleur, je jure, par la tête du grand-seigneur, mon maître, que j'obtiendrai dès aujourd'hui par la force ce que l'on refuse à ma complaisance. Seigneur, lui répondit don Juan, il n'est pas besoin de faire ce serment inviolable : vous ne serez point obligé d'avoir recours à la violence pour satisfaire votre amour. L'esclave est une jeune dame qui n'a point encore aimé; elle est si fière, qu'elle a rejeté les vœux des premiers seigneurs d'Espagne elle vivait en souveraine dans son pays : elle se voit captive ici; une âme orgueilleuse doit sentir longtemps la différence de ces conditions. Cependant cette superbe Espagnole s'accoutumera comme les autres à l'esclavage; j'ose même vous dire que déjà ses fers commencent à lui moins peser : ces déférences attentives que vous avez pour elle, ces soins respectueux qu'elle n'attendait pas de vous, adoucissent ses déplaisirs, et triomphent peu à peu de sa fierté. Ménagez, seigneur, cette favorable disposition; continuez, achevez de charmer cette belle esclave par de nouveaux respects, et vous la verrez bientôt, rendue à vos désirs, perdre dans vos bras l'amour de la liberté.

Tu me ravis par ce discours! s'écria le dey : l'espoir que tu me donnes peut tout sur moi. Oui, je retiendrai mon impatiente ardeur pour mieux la satisfaire; mais ne me trompes-tu point, ou ne t'es-tu pas trompé toi-même? Je vais tout à l'heure entretenir l'esclave je veux voir si je démêlerai dans ses yeux ces flatteuses apparences que tu y as remarquées. En disant ces paroles, il alla trouver Theodora, et le Tolédan retourna dans le jardin, où il rencontra le jardinier, qui était cet esclave adroit dont il prétendait

employer l'industrie pour tirer d'esclavage la veuve de Cifuentes.

Le jardinier, nommé Francisque, était Navarrois; il connaissait parfaitement Alger pour y avoir servi plusieurs patrons avant que d'être au dey. Francisque, mon ami, lui dit don Juan, vous me voyez très-affligé. Il y a dans ce palais une jeune dame des plus considérables de Valence : elle a prié Mezzomorto de taxer lui-même sa rançon; mais il ne veut pas qu'on la rachète, parce qu'il en est amoureux. Et pourquoi cela vous chagrine-t-il si fort? lui dit Francisque. C'est que je suis de la même ville, repartit le Tolédan ses parents et les miens sont intimes amis, il n'est rien que je ne fusse capable de faire pour contribuer à la mettre en liberté.

Quoique ce ne soit pas une chose aisée, répliqua Francisque, j'ose vous assurer que j'en viendrais à bout, si les parents de la dame étaient d'humeur à bien payer ce service. N'en doutez pas, repartit don Juan; je réponds de leur reconnaissance, et surtout de la sienne. On la nomme dona Theodora : elle est veuve d'un homme qui lui a laissé de grands biens, et elle est aussi généreuse que riche; en un mot, je suis Espagnol et noble, ma parole doit vous suffire.

Hé bien! reprit le jardinier, sur la foi de votre promesse, je vais chercher un renégat catalan que je connais, et lui proposer.... Que dites-vous? interrompit le Tolédan tout surpris; vous pourriez vous fier à un misérable qui n'a pas eu honte d'abandonner sa religion pour.... Quoique renégat, interrompit à son tour Francisque, il ne laisse pas d'être honnête homme; il me paraît plus digne de pitié que de haine, et je le trouverais excusable, si son crime pouvait recevoir quelque excuse. Voici son histoire en deux

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