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dans la République des Lettres. Il n'eft pas befoin de nous écarter du fujet de ce livre, pour trouver plus d'un exemple de ce phénomène.Milord Stanhope envoya en 1719 un Mémoire à M. de Vertot, qui contenoit diverfes difficultés fur le Sénat Romain. Celui-ci commença fa réponse par un éloge du Seigneur, qui l'avoit confulté. Qui connoit mieux, dit-il, la Difcipline civile & militaire de ces fameux Républicains, que le favant & l'habile Miniftre, tout ensemble le grand Capitaine, qui m'a fait l'honneur de me propofer ces questions; lui, qui en auroit décidé fouverainement du tems même de Varron & de Ciceron (a). Je le crois bien ; & la chofe ne devoit pas être difficile pour ces anciens Citoyens de Rome. Elle l'eft devenue depuis, & Mr de Vertot ne l'a pas entièrement éclaircie. Milord Harvey, à qui fa réponse fut communiquée, confulta Mr Middleton fur le même fujet. Mais foit que dès lors il eût pris un parti,ou que les idées mêmes du favant Bibliothécaire lui en fiffent naître de différentes, il ne tarda pas à fe faire un Siftême, & à oppofer des raifons à celles de fon ami. Malgré cette qualité, Mr Middleton ofa repliquer. Les Ecrits fe multiplièrent, & s'ils ne produifirent point la conviction, ils ne firent au moins naître entre les deux Concurrens ni l'aigreur uil'indifférence. La Vie de Ciceron entreprise à la folHicitation de Milord Harvey, & perfectionnée par fes fecours lui fut dédiée par l'Auteur reconnoiffant (b). Ce Seigneur eft mort; & Mr Middle

ton

(3) Voyez la Réponse de l'Abbé de Vertot à la fuite des Révolutions Romaines. Tom. III. pag.400.

(b) On a donné un Extrait de ce Livre dans cette Biblio theque Tom. XXVIII. pag. 147.

ton a cru faire plaifir au public de lui communiquer le précis des Differtations, qu'il avoit compofées, pour répondre aux demandes & aux raifons de fon illuftre Antagoniste. Pour qu'on pût décider qui des deux méritoit la victoire, il eût été à fouhaiter qu'il nous eût donné auffi les Ecrits de ce dernier, Faute de ce fecours, la différence du Siftême de Milord Harvey & de celui de Mr de Vertot n'eft pas facile à déterminer. L'un & l'autre me paroiffent avoir foutenu également que la nomination des Sénateurs dépendit d'abord des Rois,& qu'elle paffa enfuite aux Confuls & aux Cenfeurs ; au lieu que fuivant Mr Middleton ces Magiftrats n'agifloient qu'au nom du Peuple, en qui réfida dans tous les tems le pouvoir de remplir le Sénat, Ce font les preuves de ce fentiment que je vais raporter, en écartant les queftions incidentes, & en fuivant moins l'ordre des Ecrits que celui des raifons de notre Savant.

A ne confulter que les Hiftoriens Latins,il femble que les premiers Sénateurs furent créés par les Rois. Mais ce qui prouve que les expreffions font du moins équivoques,c'eft qu'ils en employent de toutes pareilles dans des cas où elles ne fauroient être prifes à la lettre. Quand Tite Live dit que le Préfet de la Ville créa les premiers Confuls, que Brutus créa fon Collegue, qu'un Entre-Roi créa des Confuls, ou que le Souverain Pontife reçut ordre de créer des Tribuns,il n'a pas voulu dire autre chofe,fi ce n'eft que ces Magiftrats convoquèrent le Peuple & préfidèrent aux elections. Rien n'empêche qu'on ne donne le même fens à fes expreffions,lorfqu'il parle de la création des premiers Sénateurs. C'eft le défaut des Auteurs, qui écri

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vent l'hiftoire de leur pays, de fuprimer des cir conftances ignorées hors de leur patrie, & perdues pour la postérité. Denis d'Halicarnaffe eft plus exact. Comme il deftinoit fon Hiftoire aux étrangers, il n'a rien négligé de ce qui pouvoit leur fai re connoître la conftitution de Rome. Dans fon récit Romulus ne nomma que le premier des cent Sénateurs, & remit le choix des autres aux Tribus & aux Curies. L'accord qui fut fait entre ce Roi & celui des Sabins fit entrer dans le Sénat de nouveaux Membres, dont le choix fut encore de même que le précédent celui du Peuple. Enfin ce fut par fes fufrages réunis à ceux du Sénat, qu'on tira des Albains fix ou fept Sénateurs.

Un témoignage auffi pofitif ne peut guère être éludé. Milord Harvey ne croyoit pas la divifion du Peuple en Tribus & en Curies auffi ancienne que les elections dont parle Denis.Mais Tite Live nous aprend que le premier foin de Romulus après avoir conftruit les murailles de fa Ville, fut d'en unir par des loix les tumultueux Habitans; & fuivant Denis d'Halicarnaffe la divifion dont il s'agit fut une de fes premières loix. Les Chapelles, où s'affembloient les Curies originairement Romaines étoient fur le Mont Palatin, au lieu que celles des Sabins étoient fur le Capitole & fur le Quirinal. Cette diftinction n'auroit pas eu lieu, fi les Romains n'avoient pas été affemblés en Curies, avant leur union avec les Sabins. Servius Tullius ne changea cet ordre en celui des Claffes & des Centuries, que pour transférer aux riches le pouvoir des pauvres dans les Affemblées publiques. Elles furent d'ailleurs toujours compofées de tout le corps du Peu•ple, & jouirentdes mêmes droits.

Jul

Jufqu'ici l'Hiftorien Grec favorise le Sisteme de Mr Middleton; mais il femble s'en écarter, lorfqu'il attribue au premier Tarquin, le choix des cent Plébéiens, que ce Prince fit entrer dans le Sénat pour s'y faire un parti. Auffi Milord Harvey faifoit-il valoir dans ce dernier cas l'autorité qu'il avoit négligée dans les autres. Tout controverfifte eft partial. Mais après avoir indiqué la part que le Peuple eut dans les premières elections, Denis pouvoit fe difpenfer d'en faire mention dans les fuivantes, & fupofer qu'on apliqueroit à celles-ci ce qu'il avoit dit de celles-là. Une innovation fi choquante pour l'ancien Sénat ne pouvoit fe faire que par l'autorité du Peuple. Tarquin eut de même que fes Prédéceffeurs un grand pouvoir dans les Affemblées publiques;& l'on pouvoit dire qu'il ne s'y paffoit rien que par l'avis du Roi. Mais cela n'empêche pas que le Peuple ne décidât ou ne parût décider de toutes les affaires; & les Déclarations de guerre ou de paix attribuées aux Rois & réfolues par leurs intrigues ne fe faifoient jamais que par les délibérations du Sénat & du Peuple.

Peut-on concevoir après tout que les Compagnons de Romulus fe füffent foumis à lui, s'il ne leur avoit accordé de grands privilèges, & que les Romains fe les eûffent laiffé enlever par des Rois qu'ils avoient choifis? Il en couta la vie au premier & la couronne au dernier, pour avoir voulu devenir abfolus. L'Hiftorien donc, qui dans fes récits de ces tems-là attribue le plus de pouvoir au Peuple eft, quoiqu'en pense un Auteur trop François (a), le plus digne d'être cru. Tite Live mérite-t-il la préférence, parce qu'il eft Royaliste? & Denis A 4

(a) Mr. de Vertot. lbid.p. 419.

d'Ha

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d'Halicarnaffe l'exclufion, parce que fous la Royauté même il se montre Républicain?

Les droits que le Peuple avoit eu fous fes Rois ne fûrent pas abolis par les Confuls. Il en devint au contraire d'autant plus jaloux qu'il avoit plus craint de les perdre. Le Conful le plus aimé dé molit fa maison, qui trop élevée faifoit ombrage à fes concitoyens, & reconnut leur Souveraineté en faifant baiffer fes faifceaux. Des Magiftrats, qui évitèrent fi fort furtout dans les commencemens d'agir d'une manière arbitraire, auroient-ils ofé faire plus que les Rois, & remplir fans le confen tement du Peuple les vuides du Sénat?

On fera peu difpofé à le croire, fi l'on confidère que dans ce Corps augufte fe trouvoient des Su jets, qui ne pouvoient y être entrés que par la vo lonté du Peuple. Sp.Melius & P. Licinius Craffus tous deux Plébéiens & tous deux Sénateurs ne le feroient pas devenus,fi le choix n'eût dépendu que de Confuls Patriciens. L'admiffion d' AppiusClaudius dans le Sénat fournit une preuve plus directe. Ce Chef des Sabins, qui avoit quitté la Patrie pour fe rendre à Rome avec 5000 de fes Concitoyens fut fait Sénateur par ordre du Sénat & du Peuple. Ce font les expreffions de Denis d' Halicarnaffe, qui indiquent la manière dont le paffoient toutes les affaires importantes. Le Sénat propofoit le Décret, mais ce Décret ne devenoit Loi qu'après la ratification du Peuple.

11 ne faut pas s'étonner que l'Hiftoire ne fourniffe que peu d'exemples d'elections pareilles. Elles étoient rarement néceffaires. Tous les ans le Peuple en élifant fes Magiftrats faifoit de nouveaux Sénateurs, & les Confuls inféroient dans leur

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