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toujours à la main; & après avoir bu, il fringua fon verre, qu'il fit remplir de vin, & me le préfenta, difoit-il, en revanche du morceau que je lui avois fervi. Je ne fuis que de la campagne, ajouta-t-il ; mais je fais la civilité du monde ; je vas tous les ans à la foire de notre ville.

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Malgré tous ces complimens originaux, on ne laiffoit pas de voir dans la fuite des discours de cet homme, qu'il avoit de l'esprit. Bref, le repas fini, l'excellent vin du curé étouffa le fouvenir de nos malheurs ; le bois ne manquoit point au foyer; il régnoit dans l'air un degré de froid affez raisonnable pour fentir toute la douceur du feu ; & pour n'être point incommodés, nous nous mêmes dans une fituation d'efprit gailJarde. Le bel-efprit n'oublia point la propofition que j'avois faite d'inventer un roman in promptu; nous convînmes de commencer dès le moment même. Notre campagnard loua fort l'invention que j'avois trouvée, & fit là-deffus un discours Long & embrouillé, où il amena, le mieux qu'il put, de quoi prouver qu'il avoit du goût, & que nous aurions en lui un bon juge. Je crus, dans ce verbiage, remarquer qu'il avoit envie d'être de la partie; & comme il ne pouvoit que la rendre encore plus divertiffante, par l'originalité avec laquelle il traiteroit fon fujet, je lui

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propofai d'être des nôtres ; il rejeta mon compliment d'abord avec beaucoup d'humilité; je repartis; il fe rendit enfin avec un air de confiance pour lui-même, qui caractérise ordinaiçement les ignorans. Je compris que notre petite compagnie fe promettoit un plaifir bien nouveau, de l'addition que le campagnard feroit à notre hiftoire. Nous ne perdîmes point notre fujet de vue ; c'étoit l'amour, & chacun, après avoir à fon tour pris un gros bâton qui nous fervoit de pincettes, &remué des tifons qui étoient bien, je commençai ainfi, de l'aveu de tout le monde ; & par droit d'avis, peut-être, mon cher, aurez-vous trouvé trop long le fujet qui conduit à notre hiftoire; mais le fujer eft une petite biftoire aufii& comme je n'ai eu deffein que de vous divertir, peu m'a dû importerique ce foit, ou par le fujet, ou par l'histoire. Revenons au fait ; car le bel-efprit pétilles de m'entendre entamer matière, & d'envie de la continuer; le campagnard ouvre de grands yeux avec om hence refpectueux pour la partie fpirituelle à laquelle il est afsocié ; la dames par des yeux languiflans, m'annonce qu'elle eft impatiente de fentir quelque fituar tion touchante; la jeune demoiselle montre un empreffement vif & naturel, excite fans doute pat le nom d'amour, dont l'idée la réjouit, & le

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vin qui s'échauffe entre fes mains: commençons, de peur qu'il ne s'aigriffe.

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Du fameux Amandor, & de la belle & news intrépide Ariobarfane.

IL y avoit à quelques lieues de Paris un gen

tilhomme d'environ trente-cinq ou quarante ans, qui demeuroit dans fon château ; près de de château, fa demeuré, étoit celui d'une veuve à peu près du même âge ces deux voifins étoient amoureux Pun de l'autre. Le voi finage avoit fait l'union de leurs coeurs; ajoutez à cela une certaine conformité de fentimens & de caractère. Le gentilhomme, que je nommerai Amandor, avoit été près de trois mois paffionné de la veuve, fans qu'il eût ofé hasarder

'aveu de fa tendreffe; un air fier, une délicateffe infinie qu'il avoit remarquée dans la dame, l'avoient toujours retenu.

Il en étoit donc au troisième mois de fon secret amoureux, quand un matin s'en allant voir cet objet refpectable de fes amours, il le rencontra dans une espèce de petit bois ou garenne, près de fon château. Cette dame fembloit cher, cher les fentiers les plus fombres & les plus épais,.. pour lire un livre qu'elle tenoit à la main, & dont la lecture fembloit l'affecter de beaucoup. de plaifir. Amandor l'aborda d'un air tendre & craintif. Puis-je me flatter, luidit-il d'une voix. humble, que vous voudrez bien un moment vous diftraire de l'occupation où vous êtes, pour me donner la douceur de votre converfation. Ce compliment étoit trop refpectueux pour être rebuté, auffi n'eut-il pas un fi mauvais fort. Quelque agrément que je trouve à lire, j'y renonce avec plaifir, pour avoir celui de m'entretenir avec vous, répondit elle. Après ces mots, Amandor lui demanda quel étoit le livre qu'elle lifoit? C'eft un roman, dit-elle, dont les amans ont des fentimens qui me charment. Ah! que l'amour eft aimable, de la manière dont ils le faifoient! J'avoue qu'une femme feroit trop heureuse, fi elle infpiroit une tendreffe du caractère de celle dont ils étoient rem

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plis. Que de précautions pour éviter de manquer de refpect! que d'aveux arrachés par un excès de langueur ! que de timidité! Ils n'ont pas plutôt dit qu'ils aiment, qu'ils fe croyent perdus & coupables; ils fe condamnent à la mort; ils vont la chercher dans un exil éternel, fi l'on ne les retient : mais ce font de nobles criminels, qui, au milieu de la crainte, confervent une jufte fierté, digne d'accompagner leur crime, fi leur aveu ne déplaît abfolument pas: s'il touche, que de raviffemens, que d'extafes, d'innocentes careffes! Ah! Monfieur, vous m'en voyez encore toute pénétrée. Le fiècle eft corrompu; on ne vit plus comme autrefois; la plus noble paffion aujourd'hui n'eft qu'une bagatelle; les amans font effrontés; les dames ont perdu leur pouvoir, & elles n'ont confervé que le droit d'enflammer, fans avoir, comme autrefois, celui de commander aux cœurs, & d'être l'arbitre de la fortune & de la destinée de leurs amans. Non, non, Madame, lui répondit vivement Amandor, il en eft encore à qui la corruption du fiècle n'a point ravi ce droit. Ce que vous me dites eft-il bien poffible, repartit la dame, d'un air embarrassé (car j'ai oublié de vous, dire qu'elle avoit un fecret penchant pour le gentilhomme)? Quoi! vous connoiffez des dames dont le pouvoir égale celui de ces fa

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