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des inftructions enveloppées dans l'hiftoire d'une action importante racontée en Vers d'une maniére agréable, vraisemblable & néanmoins merveilleufe, foit que cette action n'ait duré qu'une année foit qu'elle en ait duré plusieurs :

La Poëfie Epique Dans le vafte recit d'une longue action Se foutient par la fable & vit de fiction.

On peut donc appeller Poëmes Epiques tous les Ouvrages qui réuniront ces qualités. Ainfi les Poëmes d'Homere & ceux de Milton, la Jérufalem délivrée du Taffe & la Luxiade du Camoens, l'Enéïde & la Henriade mériteront ce Tître, parce que ce font des fictions nobles, dans lefquelles par le recit d'une action importante re vêtue des charmes de la Poëfie on inftruit les hommes d'une maniére vraisemblable & tout à la fois merveilleuse; & fur-tout par la raifon que ces ouvrages refpirent tous la vertu, que tous la rendent ai

Art

Poët.

Chant 3

mable, & qu'ils repréfentent le vice fous des couleurs propres à en infpirer l'horreur: car de fuppofer que les Poëmes Epiques dont nous venons de parler, ont uniquement été deftinés par leurs Auteurs à amufer les Lecteurs, fans aucune vûe d'utilité; c'eft une prétention auffi ridicule, que fi l'on n'attribuoit aux alimens que la vertu de flatter le goût, fans leur accorder la force de foutenir le corps.

De tous les Poëmes, le Poëme Epique eft fans contredit le plus ancien & de beaucoup antérieur à la Tragédie, puifqu'elle a pris naiffance vers l'an du monde 3300. & que l'origine de l'autre remonte jufqu'à Homere qui vivoit plus de 400. ans auparavant. Ce Poëte compofa fes deux Poëmes dans l'adolefcence du monde (s'il m'est permis de m'exprimer ainfi ) dans l'enfance des arts; en un mot, dans un fiécle où les moeurs des hommes étoient encore groffiéres. Malgré cela les fiécles fuivans, s'ils Font égalé, ne l'ont pas encore

furpaffé. Jalouse en quelque forte des tréfors qu'Homere avoit laiffé à la Gréce, chaque nation a voulu en produire de femblables Les Latins ont eû Virgile, les Italiens le Taffe, les Portugais un Camoens, les Anglois un Milton, & parmi nous M. de Voltaire a voulu que nous euffions un Poëme Epique écrit en notre langue, & qui nous intéreffât comme ceux d'Homere & de Virgile avoient intéreffé les Grecs & les Romains. Il eft à propos pour bien juger du Poëme Epique de connoître ce qui concerne, & la perfonne & les ouvrages de tous ces Poëtes. M. de Voltaire en ayant tracé les caracteres avec autant de force que de légéreté dans fon effai fur le Poëme Epique, j'y renvoye le Lecteur pour ne m'attacher qu'à ce qui concerne la Théorie de l'Epopée.

Pour en parler avec quelque méthode, il faut y diftinguer trois chofes principales qui font l'action, la morale & la Poëfie ou fi l'on veut la Fable, les moeurs & la diction.

L'action doit être grande, une, merveilleufe & d'une certaine durée: Une avanture commune, or→ dinaire, ne fourniffant pas de fon propre fond les inftructions que fe propofe le Poëme Epique, ik faut que l'action foit importante & héroïque; ainfi dans l'Enéïde, un Héros échappé des ruines de fa patrie, erre long-tems avec les reftes de fes Concitoyens qui l'ont nommé Roi, & se font attachés à fa fortune; & malgré la colere de Junon qui le pourfuit fans relâche, il arrive dans un pays que lui promettoient les deftins, y défait des Ennemis redoutables ; & après mille traverses furmontées avec autant de fageffe, que de valeur, il y jette les fondemens d'un puiffant Empire. Ainfi la conquête de Jérufalem par les croifés & celle des Indes par les Portugais, font le fujet des Poëmes du Taffe & du Camoens, d'où il eft aifé de conclure qu'une hiftoriette, une intrigue amoureufe, ou telle autre avanture qui fait le fonds de nos

Romans, ne peut jamais devenir la matiére d'un Poëme Epique qui veut dans le fujet, de la nobleffe & de la majefté. Dans ce Poëme comme dans le Dramatique, l'action doit être une, c'eftà-dire, que le Poëte doit fe borner à une feule & unique entreprife illuftre exécutée par fon Héros, & ne pas embraffer l'hiftoire de fa vie entiére. L'Iliade n'eft que l'hiftoire de la colere d'Achille, l'Odiffée que celle du retour d'Uliffe à Itaque, Homere n'a voulu décrire ni toute la vie de ce dernier, ni toute la Guerre de Troye. Stace au contraire dans fon Achilléïde & Lucain dans fa Pharfale n'ont fait rien moins que des Poëmes Epiques. Rien n'empêche cependant qu'on n'ajoûte des incidens à l'action principale, & ces incidens fe nomment Episodes; mais ils ne doivent être ni étrangers au fujet, ni fi fréquens, ni fi longs qu'ils faffent perdre de vûe & le Héros & l'action que le Poëte, s'eft pro pofé de chanter. Ainfi dans l'Enéi

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