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Mais il eft des objets que l'art judicieu Doit offrir à l'oreille & reculer des yeux.

Les Grecs & les Romains, quelque polis qu'on veuille les fuppofer, avoient encore quelque férocité. Chez eux le Suicide paffoit pour grandeur d'ame; chez nous il n'eft qu'une frénéfie, qu'une fureur. Les yeux qui fe repaiffoient au Cirque des combats de Gladiateurs,& qui prenoient plaifir à voir couler le fang humain, pouvoient bien en foutenir l'image au Thêâtre. Les nôtres en feroient bleffés. Ainfi ce qui pouvoit leur plaire relativement à leurs moeurs étant tout à fait hors des nôtres; c'eft. une témérité d'enfanglanter la Scéne. L'usage en eft encore fréquent chez les Anglois nos voifins, & l'on n'en fera pas furpris fi l'on approfondit leur caractére & la qualité de leur tempérament. Un Poëte moderne a voulu les imiter à cet égard, mais le goût de Paris, ne s'eft pas trouvé conforme au

goût de Londres. Les connoiffeurs ont reclamé pour les droits de la nature & du vrai, contre une innovation qui n'avoit furpris quelques applaudiffemens, que parce que toute nouveauté quelque abfurde qu'elle foit, trouve toujours des deffenfeurs. Un autre Poëte a fans doute mieux réuffi en prenant une voye toute contraire; c'eft M. de Longe-Pierre qui pour ménager la délicateffe des Spectateurs fait paroître Médée prête à égorger fes propres enfans, mais dans le moment qu'elle va les immoler à fa fureur, la tendreffe fe réveille, le poignard lui tombe des mains, elle ne peut achever le crime qu'elle a conçû, ce qui caufe une furprife d'autant plus vive qu'elle étoit moins attendue. Je fçais que toutes fortes de morts même violentes ne doivent point être bannies du Théâtre Cléopatre, Phédre Inés empoisonnées viennent expi rer fur le Théâtre, Jafon dans la Médée de Longe-Pierre, & Orofmans

dans Zaïre, s'arrachent la vie de leur propre main; mais outre que ce mouvement eft éxtrêmement vif & rapide, on emporte ces perfonnages, on les dérobe promptement aux yeux des Spectateurs qui n'en font point bleffés, comme ils le feroient s'ils étoient obligés de foutenir quelque tems la vue d'un homme maffacré & nageant dans fon fang; tel que celui qu'on a voulu introduire fur notre Théâtre. L'Exemple de nos voifins, quand il n'eft fondé que fur leur façon de penfer qui dépend du tempéramment & du climat, ne devient point une loi pour nous qui vivons fous un autre horifon, & dont les moeurs font plus conformes à l'humanité. Le goût particulier d'uneNation quand il n'eft appuyé que fur de pareils fondemens, eft une erreur, & c'eft une témérité que de tenter à l'introduire chez un Peuple où la pratique conftante du Théâtre & la nature en démontrent l'inconvénient.

du dé

Le Poëme Dramatique comme De l'iné nous l'avons déja fouvent remar- trigue & qué, eft l'imitation d'une action nouecompléte mais parce que cette ment, action, fi l'on en envisageoit aifément & comme d'un coup d'oeil toute la fuite, fi l'on en prévoyoit la fin, ne produiroit plus ces mouvemens de furprife que le Poëte fe propose d'éxciter; il faut nécéffairement que pour les ménager, il faffe naître des obftacles qui retardent le progrès de l'action,qui femblent s'oppofer à fon accompliffement, & qui viennent eux-mêmes à être levés par d'autres incidens qui terminent la piéce, & c'eft ce qu'on nomme au Théâtre intrigue & dénouement.

Que le trouble toujours croiffant de Scéne

en Scéne,

A fon comble arrivé fe débrouille fans

peine.

Par l'intrigue ou le noeud (car ces mots font finonimes) on entend unaccident inopiné qui arrête

Art

Poët.

Chant 3

le cours de l'action représentée. Le dénouement eft un autre accident imprévû qui facilite l'accompliffement de l'action: l'intrigue confifte à jetter les Spectateurs dans l'incertitude fur le fort des principaux perfonnages introduits fur la Scéne: Le dénouement fert à éclaircir & à fatisfaire leur efprit inquiet fur la fituation dans laquelle doivent enfin fe trouver ces mêmes perfonna-ges. L'intrigue doit être naturelle -vraisemblable & prife autant qu'il fe peut dans le fond même du fujet. 1o. naturelle & vraisemblable, car une intrigue forcée, ou trop compliquée, au lieu de produire dans l'efprit ce trouble qu'éxige l'action Théâtrale, n'y porte au contraire que la confufion & l'obfcurité, & c'eft ce qui arrive immanquablement, lorfque le Poëte multiplie les incidens. Car ce n'eft pas tant le furprenant, & le merveilleux qu'on doit chercher en ces occafions que le vraisemblable. Or rien n'est moins vraisemblable que d'accumuler dans une action, dont la durée

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