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cruautés, des violences, des malheurs que l'injuftice, l'ambition & les autres paffions entraînent après elles. Or l'amour eft fouvent le principe de toutes ces fuites funef tes, & l'expérience n'apprend que trop que plus il eft violent, plus it eft capable de produire ces effets. Il eft donc néceffaire de le peindre fur le Théâtre, & de l'y peindre d'après nature, c'est-à-dire, fougueux, emporté, foupçonneux, jaloux, aveugle, & quelquefois cruel, parce qu'il influe fur les événemens, & qu'il en eft fouvent la feule & la premiere cause. 2°. L'éxemple des Grecs & des Romains qui n'ont point fait ufage de cette paffion dans leurs Tragédies ne prouve point qu'on doive l'exclure des nôtres. Ces Peuples étoient des Républicains, jaloux de leur li berté jufqu'à l'excès, ennemis nés des Rois & de la Monarchie; c'é

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pour eux un plaifir délicat flatteur & fuffifant, que de voir dans leurs fpectacles des Princes humiliés, des Grands opprimés, des

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Rois détrônés & malheureux. Rien n'étoit plus conforme à leurs inclinations & à leur caractere. Ainsi, ajoûte-t'on, les Anglois, nos voi fins ont infiniment plus de plaifir aux représentations du Céfar de Shakespear, du Caton de M. Addiffon, & de la Venise fauvée dans lefquelles il n'eft pas question d'amour qu'à l'Andromaque ou à l'Iphigénie de Racine qu'on a jouées fur leur Théâtre & dans lesquelles cette passion est vivement exprimée; or nos moeurs font toutes différentes de celles des Grecs & des Romains, notre façon de penfer eft entierement oppofée à celles des Infulaires dont nous venons de parler, nous fommes accoutu→ més au pouvoir Monarchique qu'ils redoutent, les grandes idées de liberté & d'amour de la patrie dont ils font occupés, ne nous touchent que foiblement; mais parce que le Coeur de l'homme ne fçauroit être abfolument exemt de paffions, les nôtres font plus tournés à la galan→ teries par conféquent, conclu

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t'on, on ne peut les émouvoir par une route plus fure qu'en leur retraçant la peinture des mouvemens qui leur font les plus familiers, parce que les paffions ne font pas grande impreffion, lorfqu'elles ne font pas fondées fur des fentimens conformes à ceux des Spectateurs. 3o. On fonde cette néceffité fur celle de plaire au fexe, qui ayant un penchant naturel à la tendreffe,& s'étant mis en poffeffion de juger des ouvrages de Théâtre,. ne pourroit foutenir ni la lecture ni la représentation d'une piéce où l'on n'accorderoit aucun jeu à une paffion dont leur coeur fenfible connoît tous les refforts. Or ce fexe, dit-on, qui fait la moitié des Spectateurs, juge par fentiment; on doit donc flatter fon goût & captiver fes fuffrages. 4°. Enfin on répond à ceux qui prétendent que la peinture de l'amour eft dangereufe, par cette raifon générale, que l'abus qu'on fait tous les jours des chofes indifférentes, & même des meilleures chofes,

n'eft point un motif fuffifant pour en interdire l'ufage. Tels font les principaux moyens fur lefquels fe fondent ceux qui prétendent que F'amour doit avoir lieu dans nos Tragédies. L'opinion contraire a fes partifans qui ne manquent pas de raifons plaufibles. Ils avancent, 10. que la paffion de l'amour eft d'un caractere badin & peu conforme à la gravité dont la Tragédie fait profeffion, & que c'eft en dégrader la majefté que d'y mêler de la galanterie. 2°. Que les Tragédies Modernes ne font plus ces impreffions admirables fur les efprits que faifoient autrefois les Tragédies de Sophocles & d'Euripide, où les entrailles étoient émues par les feuls objets de terreur & de pitié que ces Auteurs préfentoient, & que nos piéces de Théâtre, loin d'être par là plus intéreffantes, n'en deviennent fouvent que plus fades & plus languif fantes. 30. Qu'on défigure les Héros & qu'en les faifant foupirer comme des Céladons, on leur

donne fouvent un caractere tout oppofé à celui que l'hiftoire nous en a tracé, tel eft l'Alexandre de Racine, d'où il arrive qu'au lieu des Héros Grecs & Romains, on peint des Princes amollis & des Courtifans efféminés. 4°. Cette prétendue néceffité de mêler de l'amour dans des piéces tragiques fondée fur le goût décidé de la nation & du fexe eft une chimere, & ne fçait-on pas que lorfque Corneille & Voltaire ont allégué cette raifon pour juftifier l'un le froid Episode des amours de Théfée & de Dircé qu'il a mis dans fon Oedipe, l'autre les vieux amours de Philoctete pour Jocaste dans le même fujet, on leur a démontré qu'ils auroient mieux fait de le traiter comme Sophocles, fans y introduire ces Epifodes qui ne fervent qu'à refroidir l'intérêt & qui deviennent puériles dans une occafion, où le coeur & l'efprit font occupésdes plus grands objets. 5°. Le goût de la Nation s'eft donc démenti, fon penchant naturel à la galanterie a donc ceffé,

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