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lorfqu'il a admiré & quand il admire encore tous les jours Athalie, Nicoméde, la mort de Céfar & d'autres où régne un amour chaste & conjugal, comme dans Efther, Pénélope, Jofeph, Abfalon, &c. Amour bien différent de la paffion fougueufe qu'on veut voir fur le Théâtre. 6o. Enfin, l'image trop vive & le tableau des paffions des autres, n'étant que trop propres à exciter les nôtres, il s'enfuit que celle de l'amour peut encore plus que toute autre corrompre l'efprit & amollir le coeur. Si elle n'eft pas la cause du danger, elle en eft au moins l'occasion, & l'intérêt des bonnes mœurs demande que toute occafion dangereuse foit retranchée. Platon n'eut pas fouffert dans fa République un fpectacle qui n'auroit pas tendu à rendre fes Citoyens meilleurs & plus vertueux. La Tragédie fe propofe fans doute d'inftruire les hommes, peut-elle aller à cette fin par des moyens pernicieux? L'usage, il eft vrai, a prévalu depuis un fiécle ; mais l'u

fage ne prefcrit jamais contre la raifon. Le fait n'eft pas douteux, mais la question de droit reste encore très-problématique.

Nous voici arrivez à la partie la Des plus effentielle. Je ne dis pas feule- Maurs, ment du Poëme dramatique, mais encore de toute la Poëfie, ce font les moeurs que le Poëte n'est pas moins obligé de rendre fidélement, s'il veut faire régner le vrai dans fes ouvrages, que le Peintre l'est à observer les ufages des tems & des pays où font arrivées les chofes qu'il entreprend de repréfenter. Or les moeurs font relatives ou à l'âge, & c'eft ce qui forme les caracteres généraux, ou aux paffions & aux différentes conditions de la vie, ce qui les particularife d'avantage, ou aux pays & au tems où les hommes ont vêcu, ce qui les refferre & les différencie encore plus.

Art

Des fiécles, des païs étudiez les mœurs,
Les climats font fouvent les diverses hu- Poët.

Chant 31

meurs.

De là vient que les moeurs d'un jeune homme & celle d'un vieillard font toutes oppofées, que celles d'un homme plongé dans la trifteffe font toutes différentes des moeurs de l'homme heureux & content, & qu'Achille ne reffemble pas plus à nos Guerriers, que nous reffemblons nous mêmes aux Mexiquains & aux Japonois. Ariftote & Horace ont dit d'excellentes chofes à ce fujet, qu'il feroit honteux d'ignorer à quiconque veut fe former le goût. Rien n'eft plus fimple & ne demande moins de Commentaires, quoiqu'il n'y ait peut-être aucune matiere fur laquelle on en ait fait d'avantage. Je me bornerai à quatre obfervations qui me paroiffent abfolument. néceffaires. 10. Selon ces deux Auteurs, ou plûtôt fuivant le bon fens, les moeurs doivent être convenables aux tems, à l'âge, au fexe, au pays, à la condition, il feroit donc ridicule de faire débiter des sentences à un enfant, de peindre une jeune fille intrépide, un Lapon

Sçavant & poli comme nos Académiciens, un valet plein de fentimens & de probité. Rien ne feroit moins dans la nature, ni par confèquent plus contraire à la vraifemblance. 2o. Les moeurs doivent être semblables, c'est-à-dire telles qu'on les a trouvées foit dans l'hiftoire, foit dans la fable, ce feroit donc un défaut de repréfenter ces Anciens Grecs & Romains endurcis aux travaux de la guerre auffi galans, que de jeunes Seigneurs élevés dans une Capitale au milieu des jeux & des plaifirs. L'hiftoire nous apprend, par exemple, que les Lacédémoniens parloient peu, cependant Corneille a fait d'Agefilas & de Lizandre deux prolixes &. ennuyeux difcoureurs. Au contrai re Horace nous a confervé d'après Homere le caractere d'Achille:

Impiger, iracundus, inexorabilis, acer
Jura neget fibi nata, nihil non arroget

armis.

Racine le représente fous les mê→

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mes traits dans fon Iphigénie, & ce caractere violent ne s'y dément jamais. Au refte celui-ci en faifant fes Héros amoureux, leur a quelquelfois prêté des foibleffes que l'hiftoire ne nous fait point remarquer en eux. En quelques endroits de ce Poëte, Alexandre ne reffemble à rien moins qu'au Conquérant de l'Afie, & Tite en pleurant comme une femme, n'eft plus ce grand homme qui regretoit un jour paffé fans l'avoir marqué par des bienfaits, & qui mérita d'être appellé l'amour & les délices du genre hu main. Un personnage de pure invention peut avoir tel caractere qu'il plaît au Poëte d'imaginer; mais pour un Héros réel & qui a exifté; le Poëte doit s'affujettir à la vérité hiftorique & le peindre d'après elle. 30. Les moeurs doivent être égales, ou fe foutenant jufqu'à la fin de l'ouvrage. Burrhus, par exemple, ne doit point. être honnête homme au premier acte & fcélérat au dernier ; je fçais bien que des intérêts contraires

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