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produifent quelquefois des actions qui femblent fe contrarier dans un même homme, mais il y faut toujours conferver un caractere dominant auquel on puiffe les rapporter comme à leur principe, c'est ce qu'on appelle foutenir fes caracteres. Racine eft admirable en cette partie & fans entrer dans un détail qui nous meneroit trop loin, je n'en veux d'autre preuve que fa Tragédie d'Athalie. Cette Princeffe y eft partout fiere, hautaine, impie & cruelle. Joad toujours grand, pieux, plein de confiance en Dieu; Jofabeth tendre, allarmée fur les périls de Joas, foumife aux confeils de fon époux ; Abner, généreux, fidéle à fes Rois & à fa Religion.; Mathan fourbe, ambitieux & fanguinaire. Cette égalité de moeurs fi néceffaire dans la Tragédie, eft fondée fur l'attente où font les Spectateurs de voir dans une action qui fe passe en un jour, les mêmes personnages agir par les mêmes principes & par les mêmes vûes; c'est ce que j'ap

pellerois volontiers unité de caractere qui n'eft pas moins effentielle au poëme dramatique que les Unités delieu,de tems & d'action. 4°.Enfin lesmoeurs doivent être bonnes,non d'une bonté morale fans doute, mais d'une bonté poëtique,c'eft-àdire, telle que par les caracteres donnés, on juge certainement du parti que prendront les personnages introduits. Ainfi Achille emporté, violent, Mithridate jaloux, soupçonneux & cruel, Néron diffimulé & méchant, ne font certainement pas bons d'une bonté morale; mais ils le font d'une bonté poëtique; & fur la connoiffance que le spectateur a de leurs moeurs; juge que le premier ne fe laiffera point tranquillement enlever Iphigénie: Que le fecond n'apprendra point la paffion que fes deux fils Pharnace & Xipharés ont conçue pour Monime fon époufe fans méditer, fans précipiter même la vengeance qu'il veut tirer de cet attentat & qu'enfin le troifiéme fous les apparences d'une réconci

liation avec Britannicus, cache la haine la plus envenimée & le deffein formé de perdre ce jeune Prince, qui fait ombrage à fa puissance autant qu'à fon amour. La raison générale qui prouve que les moeurs ne doivent pas toujours être bonnes d'une bonté morale; c'eft que la Poëfie, pour arriver à fa fin principale, qui est l'instruction doit également employer le tableau des vices & des vertus; faire contrafter le crime & l'innocence: La nature du poëme dramatique exigeant d'ailleurs que la vertu y paroiffe quelque tems malheureufe, mais à la fin triomphante & couronnée, & que les fuccès heureux & paffagers dú crime y foient fuivis d'une punition éclatante; il eft évident que le Poëte ne peut fe difpenfer de peindre des caracteres réellement vicieux dont'l'idée entre néceffairement dans fon deffein, de rendre la vertu aimable & le vice odieux.

Ce feroit une queftion curieufe à examiner que de fçavoir s'il eft utile

ou dangereux de remuer les paffions des hommes pour perfuader leurs coeurs des vérités fur lefquelles on a éclairé leurs efprits. L'Aréopage d'Athénes fi célébre dans l'Antiquité avoit interdit aux Orateurs fous des peines très-féveres toutes fortes de mouvemens, comme contraires à l'éclairciffement de la vérité, & rien en effet ne marque tant la foibleffe & la mifere de l'homme, que cet Empire que les paffions ont fur ces jugemens. Les Poëtes tragiques furent traités plus favorablement, & l'on ne voit dans la Gréce aucune loi qui leur air enlevé la plus grande reffource de leur Art, le jeu des paffions. Au refte ce n'eft plus un problême aujourd'hui de fçavoir fi l'on doit les exciter fur le Théâtre. La nature du fpectacle, fa fin, fes fuccès, démontrent affez les paffions font une des parties les plus effentielles du poëme dramatique, que fans elle tout devient froid & languiffant dans un ouvrage où tout doit, autant qu'il fe peut, êtr

&

que

mís

mis en action. Pour en juger dans les ouvrages de ce genre, il fuffit de les connoître & de fçavoir difcerner le ton qui leur convient à chacune; quelques exemples fuffiront pour cela.

Chaque paffion parle un different langage. La colere eft fuperbe & veut des mots altiers >

L'abbatement s'explique en des termes moins fiers.

J'entrerois dans un détail fatiguant & fans doute inutile, fi j'entreprenois d'expofer ici la nature de chaque paffion en particulier, fes. effets & les refforts qu'il faut employer, les routes que l'on doit fuivre pour les émouvoir. Nous n'avons rien de plus exact ni de plus profond fur cette matiere, que ce qu'en a écritAriftote au livre fecond de fa Rhétorique c'est là qu'il faut puifer la théorie en fe fouvenant de faire l'application des principes lumineux qu'on y trouve aux Tome II. H

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