leurs, & par le mélange adroit des ombres & des jours, anime & fait refpirer la toile, en représentant à nos yeux les traits extérieurs & les figures des objets corporels & fenfibles, jufqu'à nous tromper par cette agréable illufion; fi elle exprime avec tant de force les diverfes attitudes; fi dans la multiplicité des fujets qu'elle traite, elle fçait nous préfenter tant de fpectacles différens; ici les horreurs de la Guerre, & les combats ; là, des fêtes riantes, & tous les charmes de la paix: ici la pompe des Rois & la magnificence des Cours, là les plaifirs innocens & la tranquille fimplicité des Bergers. Si, dis-je, la peinture réunit tous ces avantages dans un dégré fupérieur; car il faut. convenir que ces objets étant fenfibles, les images corporelles qu'elle en trace; frappent plus vivement nos organes & notre efprit, que ne feroient de fimples difcours : la Poëfie à l'aide des expreffions forme auffi des tableaux & des peintu→ res dans tous les genres, auxquels Liy. II. non-feulement l'efprit prend plai- Horace Quâ Pinus ingens, albaque populus Ode 3. Mais fans recourir aux Anciens nos Poëtes ne font-ils pas pleins d'Images vives & naturelles? En effet, font-ce des expreffions qui frappent l'oreille, ou des tableaux que M. Racine préfente aux yeux dans ces deux endroits : Iphige- Entre les deux partis Calchas s'eft avancé nie. L'œil farouche, l'air fombre & le poil A&te V. Scene 6. hériffé, Terrible, & plein du Dieu qui l'agitoit fans doute, Vous Achille, a-t'il dit, & vous, Grecs, qu'on m'écoute. Athalie Le peuple s'épouvante & fuit de toutes Acte II. Scene 2. parts. Mon Pere... ah quel couroux animoient fes regards! Moïfe à Pharaon parut moins formidable: La Reine alors fur lui jettant un œil farouche, Pour blafphemer, fans doute, ouvroit deja la bouche J'ignore fi de Dieu l'Ange se devoilant; Quelle force dans ces autres morceaux d'un Poëte plus moderne : Henriade Le fer avec le feu vole de toutes parts, ramparts; Ces remparts menaçans, leurs ouvrages leurs tours & S'écroulent fous les traits de ces brulans orage : On voit les bataillons rompus & renversés, Et loin d'eux dans les champs leurs membres difperfés. Dans des antres profonds on a fçu renfermer Ibid. rieure à Des foudres fouterrains tous prêts à s'allir mer, Sous un chemin trompeur où volant au carnage, Le Soldat valeureux fe fie à fon courage, Des noirs torrens de foufre épandus dans les airs, Des Bataillons entiers par ce nouveau ton nerre Dans les airs emportés, engloutis fous la terre. La Poë- Je prétends même qu'il eft des fie fupe chofes corporelles & vifibles que la Pein- le pinceau ne fçauroit exprimer & que la Poëfie peint admirablement. Tel eft, par exemple, ce bel en¬ droit de Boileau. ture, Lutrin La moleffe oppreffée Chant 2. Dans la bouche à ce mot sent sa langue glacée, Et laffe de parler fuccombant fous l'effort, Soupire, étend les bras, ferme l'œil & s'endort. Parmi les avantages de la Poëfie fur la Peinture, on peut encore compter celui de peindre une infinité d'objets qui font exclus de la peinture, par une certaine décence qui leur manque, que les yeux exigent, & que l'efprit moins délicat en cela que les fens ne requiert point: tel eft ce tableau de Darès, vaincu par Entelle au combat du Cefte, décrit dans le cinquiéme Livre de l'Enéïde: Aft illum fidi æquales genua ægra trahen- Eneid. tem Liv. V. v. 468. Jactantemque utroque caput, craffumque & ieq. cruorem Ore rejectantem, mixtosque in fanguino dentes Ducunt ad Naves. On peut encore y ajoûter le don de peindre des objets que leur exceffive inhumanité bannit de la toile. Il n'est pas permis à un Peintre d'élever un gibet & l'elidere collum ne fe dit point avec le pinceau. M. de Troy, par exemple qui nous a donné des tableaux fi nobles de l'Hiftoire d'Efther a trop |