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J

V.LS

LE

NOUVEAU THEATRE

D'AGRICULTURE.

LIVRE PREMIE R.

CHAPITRE PREMIER.

De la neceffité abfoluë de fe connoître foi même pour bien réüffir au Ménage des Champs, & comment regarder les Terres telles qu'elles foient, pour fe les rendre utiles par fes travaux.

A connoiffance de foi-même eft une fcience qu'il faudroit qui fut plus commune à tout le monde qu'elle n'eft pas. On ne tomberoit point comme on fait tous les jours, dans tant de défauts très-confiderables, & tout ce qu'on entreprend, réüffiroit bien mieux, parce que tout n'y feroit que proportionné aux forces & aux lumières dont on feroit pourvû. Chaque employ demande, pour ainfi dire, un talent particulier, fans lequel on ne l'exerce qu'imparfaitement; l'Agriculture en general exige des talens que tout le monde n'a pas; elle a fes peines à effuïer, & fes douceurs à recueillir pour recompenfe: des fecrets à développer, & des inventions qui doivent faire plaifir à rechercher pour la perfectionner de plus en plus : Tout cela, comme on voit, veut beaucoup d'attention fur foi-même. Les travaux de l'Agriculture font penibles, il faut de la force de corps & d'efprit pour s'en tirer avantageufement: on doit toûjours être en action, & s'attendre par-là à s'expofer en tout temps à toutes les injures de l'air, Une vigilance endormie eft la perte de la plûpart de ceux qui vivent à

A

la Campagne, l'efprit tout préocupé des foins qui y font attachez, doit fe les repaffer fouvent en lui-même, afin qu'après y avoir établi un ordre qui y conviene, il s'en acquitte avec fuccés.

Et comme tous ces travaux ne font propres que pour des perfonnes robuftes, on fondera fon temperamment pour juger fi l'on eft capable de les entreprendre. On parle ici de ces gens qui forment de grands projets pour le commerce de la Campagne, & qui n'y demeurant point ordinairement, prennent la réfolution d'y faire leur féjour, foit dans des Fermes étrangeres, ou des Domaines qui leur appartiennent, & qui veulent exploiter par leurs

mains.

Ce n'eft pas le tout que d'avoir du genie, fi tant eft que le Ciel ait voulu nous favorifer jufqu'à ce point, il faut que ce foit un genie né pour cette forte d'employ, un genie vigilant pour ne s'y point laiffer furprendre, actif pour se promener fans ceffe fur tout ce qui l'y regarde, & entreprenant, puifque ce n'eft que par les entreprises, lorfqu'elles font bien concertées, qu'on fe dédomage abondamment de tous les foins qu'on fe donne à la Campagne.

Il feroit à fouhaitter que tous ceux qui y ont pris naiffance, & qui y de meurent toûjours, fuffent capables de faire toutes les réfléxions dont on vient de parler, ou plûtôt que le Ciel, par une faveur fpeciale, les cut fait naître avec eux, tout leur y feroit bien plus avantageux; mais un pareil bonheur n'eft pas commun à tout le monde, heureux celui qui le poffede! & plus heureux encore qui fçait en ufer comme il faut.

pas

Ces Campagnarts d'origine, & qui vivent ainfi actuellement, ne font moins exemts que les premiers de s'examiner interieurement fur l'employ auquel leur état les deftine, & même on peut dire, quand ils y manquent, que c'eft un reproche qu'ils s'attirent avec d'autant plus de raifon, que la perte de leur bien qu'ils en fouffrent, en eft certaine.

On ne dit pas qu'il faille abfolument qu'ils aïent en partage tous les talens neceffaires pour réüffir au ménage des Champs, puifque c'eft un avantage qui ne dépend point de nous : mais à cela près, il eft bon toûjours de fe fonder, & de n'entreprendre que ce qu'on peut faire. Un ferieux examen fur foi-même, fur fes forces, & fur fes moyens, pourvû qu'il n'y ait point de prévention mélée, nous conduit en cela toûjours affez heureufement au port où nous voulons furgir.

Un petit ménage des Champs fçait donner à fon maître de quoi vivre doucement, quand il eft bien conduit; s'il eft plus fort, les fruits en font plus abondans, & tout cela par l'oeconomie, la vigilance, & le fçavoir faire qu'on a dans cet exercice.

C'est ce fçavoir faire, principalement fur qui tout roule, fur lequel il faut fe confulter; c'eft la pierre de touche, pour ainfi parler, qui nous rend heureufes toutes les tentatives que nous faifons, & fans laquelle nous donnons fouvent du nez en terre.

Il eft certain que c'eft de-là que nous voïons fortir tout ce qui peut récompenfer nos peines, nous enrichir, & nous fatisfaire à la Campagne dans nos travaux; mais ce point important doit être accompagné d'une volonté fuivie d'une grande réfléxion.

On ne parle pas ici feulement de ceux qui cherchant à s'employer, entreprennent des Domaines à forfait;on y comprend encore les perfonnes privées, qui par un efprit de ménage font valoir leurs terres eux-mêmes, tous ces gens ont également befoin l'un & l'autre de fe tâter fur le projet qu'ils méditent.

On convient que l'Art de fe connoître à fonds ne s'acquiert pas aifément, qu'il demande beaucoup d'attention fur nous-mêmes, & que cet égard fous lequel l'Agriculture nous oblige à nous confiderer, nous engage, pour nous y rendre habiles, à emprunter quelquefois des autres fciences, certains principes que l'on prend de ce qu'elles ont de plus évident; car pour bien connoître un employ, il faut neceffairement comprendre qu'elle eft fa nature, fa fin & fon excellence..

pour

Si ce qu'on a dit fur ce fujet paroît en quelque façon un peu difficile à pratiquer, éloigné de la portée ordinaire du vulgaire, & embaraffant bien des gens, qui pourroient s'en accommoder facilement, s'ils vouloient s'en faire un étude; on doit fçavoir qu'on traite de ce qui eft effentiel pour réüffir dans le commerce de tout ce qui croît, & qu'on éleve à la Campagne, & confiderer qu'on n'a point ici deffein de refpecter les préjugez, & qu'on n'écrit que pour établir un fondement, fans lequel toutes nos idées, en fait d'Agriculture, s'en vont en fumée.

Du jugement qu'on doit porter des differens Terroirs, pour en tirer

du profit.

Left conftant qu'il n'y a point de terres en Europe qu'on ne puiffe habiter, & qui ne foient même habitées de quelque nature qu'elles foient; ce qui fait juger qu'il faut bien qu'elles ayent chacune certaines proprietez particulieres qui les rendent fécondes en quelque façon, & qui donnent à leurs habitans dequoi fe nourrir & entretenir; il eft vrai qu'il y en a de plus recommandables des unes que les autres, & qu'on prendroit par préference, fi l'on étoit au choix de toutes dans une même Contrée ; mais comme cet avantage ne fe trouve pas, & qu'on eft obligé de s'en tenir à celles qui font le plus à nôtre portée, on fe contente de voir qu'elle eft l'utilité qu'on en peut tirer, & de faire après fon poffible pour ne s'y point endormir. C'est à tort qu'on fe plaint qu'une terre eft infertile, & qu'on impute cette infertilité au Ciel, à la mauvaise conftitution de l'air, & à l'épuifement de fubftance de cette terre. C'eft nous uniquement qu'il faut accufer de ce défaut, c'est nôtre non-chalance, & rien autre chofe; ainfi dans le choix qu'on en fera, qu'on s'applique donc à la faire valoir autant qu'il fera poffible: voici quelles font les differentes efpeces de terres qu'on pourra confiderer, chacune par rapport à fon utilité.

Tous les Auteurs qui, jufqu'à prefent, ont parlé de la connoiffance des terres, les ont traitées dans un efprit tout autre que le demande la matiere de ce Chapitre, où elles ne doivent être regardées que fur l'idée du profit qu'on peut tirer de chacune, & non pas de la bonne ou mauvaise conftitution dont elles font: on fe referve à approfondir ces connoiffances dans un lieu qui conviendra mieux à ce fujet.

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Suppofons donc qu'on veuille s'établir à la Campagne, & que par un efprit d'oeconomie on projette de vouloir travailler pour y amaffer du bien: en quelque contrée qu'on puiffe demeurer, il y a des terres meilleures les unes que les autres, & tout le monde n'a pas l'avantage de poffeder celles du premier ordre, de maniere que c'est une neceffité de s'accommoder aux lieux où l'on eft.

Il faut confiderer pour lors quelle eft la nature des terres, c'eft-à-dire, en quoi elles abondent; car, par exemple, les unes font fertiles en Bleds, les autres en Bois, celles-ci en bons Pâturages, & celles-là en d'autres denrées très-propres à augmenter ses revenus, & fur le tableau qu'on s'en est tracé, fe former une idée d'un commerce qui y foit conforme.

Il y a des Terroirs fecs & pierreux, qui font propres pour les Vignes, 'd'autres de même nature où il y croît merveilleufement bien des Bois, & en quantité, d'autres qui font humides, & marécageux, & convenables par confequent aux Peupliers, aux Saules, aux Aunes, & aux Oziers; ces marchandifes ne font pas celles qu'on doive le plus confiderer pour s'enrichir. On voit des Terres fortes, ce font celles qui rapportent du Bled en plus grande abondance, & pour lesquelles on doit avoir le plus d'égard. Les Terres fabloncufes y font très-propres auffi, particulierement quand il y a beaucoup de fubftance; car quand ce n'eft que du fablon pur, on n'en peut jamais rien tirer de bon, ainfi que des Landes qu'on ne cultive point, parce que le terroir est trop ingrat.

Si néanmoins on veut entrer dans un plus grand détail fur cette matiere, pour s'afsûrer davantage le fuccès qu'on fe promet de fes peines à la Campagne, on dira qu'il y a des Terres d'Argile qui font toûjours fteriles, des novalles qui font des Terres nouvellement défrichées. Il feroit à fouhaiter qu'il y en eut beaucoup de cette efpece dans un Domaine, il ne faudroit que cela pour enrichir en peu de temps fon maître, parce que n'ayant jamais porté, elles donnent du grain quatre fois plus que les autres, fans être obligé d'y mêler aucun fumier.

Nous ne parlerons point ici des qualitez qu'il faut approfondir pour juger en particulier d'une Terre, nous avons deja dit que ce feroit ailleurs, & felon que l'occafion nous le fourniroit, ainfi donc fi l'on veut demeurer aux Champs en vûë de s'y enrichir, qu'on examine ferieufement tout ce qui vient d'être dit, afin de fe former un plan de commerce, ou de ménage fimplement qui y convienne.

La maniere la plus sûre de juger d'un Païs, s'il eft bon ou mauvais, confifte à le parcourir des yeux en s'y promenant, & voir fi tout ce qu'il contient y croît bien : fi cela eft, on ne peut qu'en efperer très avantageufement, & fi au contraire les productions y paroiffent chétives, ce n'eft pas une bonne marque.

On dira encore, & comme il eft vrai, qu'il y a des lieux tels que font ceux de Montagnes découvertes qui nourriffent beaucoup de troupeaux à laine, & qui ne rapportent point de bled, mais auffi d'ailleurs, on peut dire que les beftiaux qui y font nourris, dédommagent ceux qui les ha bitent, des grains ou d'autres denrées qu'ils en pourroient tirer, fi leug fituation le leur permettoit

Outre le commerce de Bois qu'on fait en certaines contrées, celui de Bêtes à cornes n'y eft pas moins confiderable; la Glandée dans les grandes Forêts eft encore d'un très-grand profit, par rapport aux Cochons qu'on y engraiffe; enfin la terre a une infinité d'autres productions avantageufes qu'on doit avoir pour objet, lorfqu'on fe détermine de fe donner de l'employ à la Campagne, foit qu'on commence à y vouloir demeurer, ou qu'on y demeure actuellement.

Après un examen fort exact fur tout ce qui vient d'être dit, & s'être connu foi-même en quelque façon; au fujet des talens qu'on peut avoir, & qui conviennent à la vie champêtre, on eft, pour ainfi parler, certain de réüffir dans fes entreprises, pour peu d'ailleurs que le Ciel les feconde.

Si l'on veut pouffer plus avant fes confidérations, & que par rapport à fa fanté on confulte la fituation du Païs qu'on choifit pour faire fon féjour or dinaire, on fera attention au temperamment du climat, fi l'air y eft fain: parce qu'autrement certaines particules groffieres qui en émanent, étant re çues dans nos corps, les alterent, & particulierement la maffe du fang, qui fermente de plus en plus à mefure qu'elles s'y multiplient; c'eft donc une réfléxion qui eft bonne à faire, fi on fouhaite jouir d'une parfaite fanté.

Un climat marécageux caufe de dangereux inconveniens, à caufe des

brouillards qui y regnent prefque continuellement, il faut que le Ciel y foit pur, point trop fubtil, parce qu'un tel air diffipe trop d'efprits, ce qui n'eft point propre pour fe conferyer long-temps en fanté.

On n'eft pas long-tems à connoître la bonne ou mauvaise conftitution de l'air d'un Païs, la plupart des vifages des Habitans le démontre, & bien-tôt par fa propre experience, pour peu qu'on y demeure, on reffent foi-même ce qu'il y a de malin.

Un Païs dont l'air eft veritablement fain, ne change point de tempe ramment en quelque faifon que ce foit, au lieu qu'un autre eft toûjours eftimé groffier & malfaifant, quand il caufe communément des Catares des Fluxions & autres maladies de cette forte.

Les eaux font auffi à examiner, il y en a de bonnes ou de mauvaises; ces dernieres font dangereufes pour les corps, & y engendrent certains maux qu'on a fouvent de la peine à guérir.

On tombe d'accord que toutes les obfervations qu'on vient de faire, ne regardent pas tant les naturels des contrées où regne la groffiereté d'un tel Pais, que les étrangers qui viennent pour y habiter, d'autant que les pre miers y font accoûtumez d'origine, & que l'habitude eft une feconde nature, au lieu que les autres y deviennent fujets à de très-grandes incommodi tez; C'est donc pour les étrangers de ce Païs principalement qu'on parlé ici, c'eft à eux à s'examiner là-deffus, & à confulter leur temperamment. Veut-on jetter les yeux'fur quelque endroit pour y bâtir, il eft encore bon Jà deffus de réfléchir fur la fituation, quand on en eft maître ; c'est-à-dire de choifir toûjours un bon endroit de terre pour cela. Nous laiffons ici, bien d'autres chofes à dire là deffus, & dont nous parlerons à l'article de la conftruction d'une Maison champêtre, Cette portion de terre fera fuffifante pour y placer tout ce qui dépend ordinairement de ces fortes d'édifices.

Il faut prendre garde à fe donner de bons voisins; un grand Seigneur

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