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Un des principaux articles du devoir d'un Pere de famille, eft de fçavoir approprier l'Ouvrage à l'Ouvrier; il en eft toûjours mieux fait ;'il faut aufli le proportionner à fes forces, c'eftà dire, donner les gros ouvra ges à ceux qui font les plus robuftes; & aux plus ingenieux, les ouvrages qui demandent le plus d'invention.

Il faut tâcher, autant qu'il eft poffible, d'approfondir chacun en particulier l'efprit des Domestiques, afin de ne les point rebuter dans leurs travaux ; de traiter les uns doucement & les autres avec un peu plus de seveité, parce qu'on aura jugé qu'ils doivent être traitez de la forte pour leur faire faire leur devoir; point de prévention fur tout dans ces jugemens, & qu'on fe garde bien de tomber dans les extremitez de ces deux paflions, fçavoir de la douceur & de la severité ce qui eft outré eft dangereux, ainfi que ce qui paroît marquer trop d'indolence.

Il ne faut pas qu'un homme qui a un domestique à conduire à la Campagne foit pareffeux de fe lever de grand matin; il doit commencer par faire la revue de tous ceux qu'il a à fes gages, fa prefence leur impofe, & c'est un exemple pour eux, & qu'il faut abfolument qu'ils fuivent. D'a bord on les voit courir chacun à leur ouvrage, & c'est à qui, femble-t'il, fe preffera le plus à le commencer ; il n'eft rien tel que le grand matin pour bien employer une journée; la matinée, dit le Proverbe, avance la journée, & pour parler dans le même efprit. Si tu te couches tard, tu te leveras de même & plus tard l'ouvrage fera commencé, plus tard tu dineras. Il ne faut point entreprendre les travaux champêtres, quand on fe fent trop de moleffe pour les executer; il faut conduire foi-même fes domeftiques, & être à leur tête, comme le chef qui leur doit commander.

Tels font les foins & la vigilance qu'on doit avoir à la campagne; tels font les mouvemens du corps qu'il s'y faut donner. Siun Pere de famille ne peut pas fuffire à veiller à tous ces déhors, il fera choix d'un honnête homme pour lui aider, d'un homme fur lequel il puiffe fe repofer, qu'il ain déja éprouvé en quelque façon, & dont il connoiffe la fidelité.

Il aura foin le foir de lui demander compte de tout ce qui ce fera paffé pendant la journée, de raisonner avec luy, fur ce qu'il conviendra faire pour le lendemain, & de lui donner fes ordres là-deffus, afin qu'il n'y refte rien à faire. Il tiendra un Registre où il écrira tout ce qu'il donnera à fes domeftiques, crainte de fe tromper & de les tromper eux-mêmes.

Ce grand ménager ne dédaignera pas quelquefois de s'entretenir avec fes Ouvriers, & de parler un peu familierement avec les journaliers, afin de louer ceux qui s'acquittent de leur devoir, & de reprendre les autres qui travaillent avec nonchalance; il faut toûjours néanmoins ne fe point dépouiller de l'autorité qu'on a fur ces efprits, trop de familiarité les gâ te, & porte préjudice au Maître.

Il eft bien vray qu'il faut leur pardonner quelque chofe quand ils ont manqué, afin que le pardon qu'on leur fait connoître, leur ferve de motif pour mieux faire une autre fois : mais il ne faut pas qu'une complaifance fans fondement alors nous faffe agir; c'eft la raifon feule & un peu de charité, qui mettant tout dans l'équilibre, s'il en eft befoin, doivent uniquement nous conduire,

S'il arrive que quelque Valet ou autre Domestique vous donne fujet de vous mettre en colere, fachez vous y moderer, & que l'éclat qui y paroît foit plus pour le faire rentrer en fon devoir, que pour le maltraiter: que l'excès de cette colere n'aille pas jufqu'à lui donner congé fur le champ, & principalement dans le tems où on en a le plus affaire. Qu'on fe garde bien d'en venir jufqu'aux coups & jufqu'aux injures; le premier tranfport tient d'une espece de folie que tout le monde condamne, & l'autre d'une baffeffe d'efprit, qui ne convient qu'à des gens groffiers & mal-inftruits. Il faut un peu fouffrir des Domestiques, c'eft à dire, fupporter quelques momens de leur mauvaise humeur, fur tout quand ils font bien d'ailleurs leur devoir, & que certaines conjonctures nous obligent de les garder, comme par exemple, quand la recolte des fruits approche, ou qu'on a commencé à la faire; car alors, fi vous maltraitez trop un Valet, il vous quitte brufquement, & d'autant plus volontiers, qu'il fcait bien en ce tems qu'il ne manquera pas d'ouvrage ; n'attendez point de fes gens-là aucune complaifance pour vous, ils ne vont qu'où l'interêt, ou une fantaisie brutale les entraine; plufieurs raifons alors les follicitent à le faire, ou parce que le prix des journées eft plus fort qu'ils ne s'imaginent gagner quand ils font à l'année, fans confiderer ce qu'ils deviendront dans la morte faifon, ou parce qu'ils feront obfedez d'un petit libertinage, qui leur fera par malheur pour eux, préferer leur liberté à leur interêt.

Notre ménager aura pour maxime chaque foir d'ordonner tous les Ouvrages pour le lendemain, afin que chaque Domeftique fachant qu'elle fera fa tâche, fe leve dès la pointe du jour pour aller à fon ouvrage ; ce Maître aura fouvent des conferences avec fes Valets fur ce qui regardera la culture des terres, & les ameliorations qu'il conviendra y faire; ces fortes de confiances que les Domeftiques fe perfuadent qu'on a en eux, les flattent, & les portent à l'ouvrage avec plus d'inclination; cependant il eft bon de primer toûjours dans ces fortes d'occafions, & de faire voir qu'on fçait ce que c'eft que l'ouvrage,

Il faut avoir le moins de Domestiques qu'il eft poffible, non feulement pour épargner la dépenfe & le foin de les conduire, mais encore plus pour éviter la pareffe. Un Maître fe décrie quand il change fouvent de Domeftiques, & ces changemens dérangent le bon ordre d'une maison ; car le nouveau domeftique apporte fouvent en entrant quelque mauvaise maniere qui nuit aux autres, il lui faut du temps pour quitter fes vieilles habitudes, & en prendre de nouvelles.

Ce n'eft pas le tout que de regarder les Domeftiques par rapport à fon Devoir des interêt, il faut encore avoir fur eux des vûës de Religion. Le principal Maîtres foin d'un Maître chrétien, dit Monfieur Fleury, doit regarder les moeurs Page 27 de fes Domestiques; il doit compter comme une chofe infaillible que chacun d'eux a quelque défaut, & travailler charitablement à l'en corriger, & à l'exciter à la vertu.

Il ne faut jamais remettre à faire un ouvrage, quand il eft neceffaire qu'il fe faffe; telle nonchalance eft toûjours préjudiciable. Qui trop attend le tems, Je temps bien fouvent lui manque, & puis après on n'y peut plus revenir.

La nourriture des Domestiques doit être bonne & fuffifante, & un bon

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ménager aura foin qu'elle foit reglée & proportionnée à leur état ; que les mets qu'on leur donne, quoique groffiers, foient bons & bien affaifonnez; car enfin ce font des hommes qu'on nourrit, il faut donc les nourrir humainemet.

Leurs repas doivent être reglez, & même plus que ceux du Maître, qui fouvent a des occafions de les reculer, ou de les avancer. Ne fuivez point la coûtume de certaines gens, qui lorfque leurs domeftiques font à table, vont les regarder manger, comme s'ils vouloient compter leurs morceaux: fouvent cela les oblige à ufer de fobreté devant vous, lorfque par derriere ils cherchent à s'en dédommager à vos dépens; il faut les laiffer libres là-deffus, & en hyver leur donner après les repas le temps de fe chauffer un peu, pour retourner enfuite à leurs ouvrages.

Diner des Domestiques à la Campagne.

E dîner des Valets de Campagne depuis la mi-Octobre jufqu'au quinze de Février, qui eft le temps où les nuits font plus longues, doit toûjours être avant jour, afin que dès qu'il eft clair, chacun fe range à fa tâche, la matinée étant le temps où l'on fait le plus d'ouvrages; car lorfqu'ils font à travailler par les Champs, on ne s'avife point de les faire revenir à la maifon pour dîner, ce feroit trop de temps perdu, ainsi que s'il falloit leur porter à manger où ils travaillent.

Leurs occupations avant que de foûper en Hyver.

Es Domeftiques qui ont foin du bétail doivent avant foûper, & fitôt qu'ils font de retour des champs, les panser foigneusement, & pour lors il eft à propos que le Maître en fe promenant regarde par tout, examine tout, & voye fi les animaux de fa baffe-cour font accommodez comme il faut. C'eft fon profit, il ne travaille que pour lui; car le Proverbe dit fort bien, que l'œil du Maitre engraiffe le cheval.

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Occupations après le Soûper.

Uand les Domeftiques ont foûpé, ils font la veillée, & pour lors on les employe les uns à racommoder quelques meubles ou inftrumens fervant au ménage des champs, les autres à tailler ou tiller le Chanvre,conme on voudra dire, & les autres à d'autres ouvrages de cette forte, fuivant en cela la maxime que nous prescrit là-dessus un ancien Naturaliste, qui Plin. liv. 8. dit, qu'il ne faut jamais faire de jour ce qu'on peut faire de nuit, ni dans le beau Chap. 2. temps ce qu'on peut faire pendant le mauvais; car ce n'eft pas s'entendre au ménage des champs, que de prendre une maxime toute contraire.

Et pour ne pas laiffer oififs les domeftiques en ces mauvaises faisons, on aura chez foi une bonne provifion d'outils & d'inftrumens propres au labourage pour s'en fervir au befoin; on aura des focs, charrues, hoyaux, pioches, pelles, befches, ferpes & le refte, toûjours le double de chacun, afin que l'un vient à manquer, on ait recours à l'autre pour ne point

perdre de temps; c'est une mauvaise maxime que de courir à l'emprunt pour ces fortes de chofes, outre qu'on rifque fouvent d'être refufé, c'est qu'on ne vous prête jamais que de très mauvais inftrumens.

Ce n'eft pas le tout que d'en être bien muni, il faut être foigneux qu'il ne s'en égare point; & pour cela les faire mettre en un endroit qui foit sûr, & où on les puiffe prendre, quand l'occafion le demandera ; tous ces outils feront rangez en bon ordre, & non pas mis confufement l'un parmi l'autre, les grands feparez des petits & ceux de fer d'avec ceux de bois.

Le mauvais temps eft encore celui qu'on choifit pour curer les étables, bien faire ramaffer les fumiers de la baffe-cour, tondre les hayes couper du bois, & charier des materiaux pour bâtir fi l'on s'en eft formé le deffein.

Les ames vulgaires & mercenaires, comme font ordinairement les Va lets & fervantes, ne fe mennent que par l'interêt; afin donc de fe faire aimer d'eux, ayez foin de payer leurs gages & tout ce que vous leur avez promis d'ailleurs fans leur rien rabattre. Faites-leur le moins d'avance que vous pourrez, car bien fouvent c'est autant de perdu, à moins que ce ne foit dans une neceffité preffante d'une maladie, ou de quelqu'autre accident facheux qui leur foit arrivé, car ces gens qui ne fe piquent point tout-à-fait d'honneur, fouvent vous abandonnent quand vous les avez payé d'avance.

Un homme qui fait valoir fon bien à la Campagne, ne doit avoir de Domeftiques qu'autant qu'il en faut pour la culture des terres, & quand il en auroit un peu moins, fes affaires n'en prendroient qu'un meilleur train: on ne manque point d'ouvriers à la journée, quand on veut avancer fes ouvrages, & le petit nombre de Valets qu'on a fait qu'en travaillant ils ne s'atten dent point au fecours d'autruy. Ce qu'on leur donne à faire pendant l'année eft alors comme une tâche, qu'ils fe font une efpece de point d'honneur de remplir, au lieu que lorfqu'ils fe voyent trop bien accompagnez, ils ne travaillent pas tant,

La faifon de prendre les hommes à la journée, eft lors que les jours font grands; c'eft-à-dire depuis le mois de Mars jufqu'au mois de Novembre;car pendant les trois autres mois, c'eft quafi argent dépenfé inutilement à la Campagne, quand ce n'eft que pour l'Agriculture. Il faut toujours faire les premiers les Ouvrages qui preffent le plus ; telles font les réparations les plus neceffaires, caufées par quelque inconvenient que ce foit, les Moulins endommagez & autres ouvrages de cette forte, dont le retardement ne pourroit être que préjudiciable", & diminuer par conféquent de beaucoup les revenus d'un Domaine : le temps de planter les vignes & les arbres eft un temps encore à ménager, & qu'on doit prendre fans differer.

La veritable Oeconomie ne veut pas qu'un bon ménager entreprenne rien d'extraordinaire dans les temps que les denrées font cheres, il vaut mieux vendre celles qu'on a, & en garder l'argent pour l'employer à fatisfaire fa petite ambition, quand l'année eft devenue meilleure; on excepte néanmoins de cette regle les réparations qui font de neceffité, & quelques ouvrages qu'on pourroit faire conftruire par un motif de Charité, afin de furvenir au foulagement des pauvres, en les faifant travailler dans la cherté du pain; quand les denrées font à trop bon marché, il faut les confom

mer comme on peut, particulierement celles qui ne font point de garde, & de l'argent qui en provient, on en fait creufer des foffez pour égouter les eaux, épierrer les terres, détaupiner les prez, dreffer une Garenne fi l'on veut, & plufieurs autres ouvrages dont on peut fe paffer pour un temps; mais qui lorfqu'ils font faits, apportent du profit à la maison.

On ne doit point fouffrir de mauvais ouvriers, quand on les a connu pour tels à l'oeuvre, il faut, fans rien dire, les renvoyer, & leur payer leur falaire. On ne doit pas auffi exiger un travail exceffif d'un ouvrier,ni le pouffer à bout par de mauvais traitemens, en fe prévalant de l'avantage qu'on a fur lui. On doit auffi avoir de la douceur pour les Domeftiques, & ne pas agir comme ces Maîtres inhumains, qui ménagent moins leurs Valets que leurs chevaux, parce que les premiers ne leur coûtent point d'argent.

Le moyen d'être bien fervi eft de bien payer les Domeftiques, comme on l'a déja dit, d'avoir de la charité & de la douceur pour eux, & de les bien nourrir felon leur état, ayant néanmoins toûjours la main ferme pour les contenir chacun dans les bornes de leurs fonctions. Trop de familiarité auíli avec eux les rend faineans & infolens, il faut toûjours les tenir en respect. Quand une fois on a un bon Domeftique, on ne fçauroit avoir trop d'amitié pour lui ; on appelle un bon Domeftique, celui qui eft fidele en fes Ouvrages, & pour ce qui regarde les interefts de fon Maître ; la fidelité eft le fondement de toute focieté entre les hommes, & particulierement de la focieté domeftique qui ne fubfifte que par la confiance qu'un pere de famille a en fes ferviteurs.

Il feroit à fouhaiter que pour le labourage on trouvât de bons Valets, ce font ceux-là dont il ne faudroit pas fe défaire que dans l'extremité pour l'avantage des terres, parce que plus un Valet laborieux connoît la nature de chacune, plus elles apportent de profit à leur Maître; il fçait leur temperament, & y apporte du remede quand il le fent alteré ; il y proportionne la femence à leurs forces, & les tourne & retourne ainfi que leur génie le demande. On n'eft pas fi circonfpect à l'égard des au

tres Valets.

Le bon âge auquel on doit les prendre pour les travaux de la Campagne, eft depuis vingt ans jufqu'à quarante ou quarante-cinq. Les hommes de grande taille font propres pour le labourage; les petits pour les vignes, & tout le travail qui regarde les Jardins, & pour la conduite du bétail & autres ouvrages de cette forte. Voilà les avis qu'on a cru les plus neceffaires à un Pere de famille qui veut s'établir à la Campagne, & tâcher par fes travaux d'y amaffer fuffifamment de quoi vivre. Tels font les devoirs que doit fuivre un bon ménager: paffons maintenant à ce que doit faire la ménagere, qui, comme nous avons déja dit, fait ou défait le ménage.

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