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Grecs un goût fûr & décidé pour les Sciences & les Arts. En effet, leur commerce avec tout autre Peuple n'a servi qu'à augmenter leur gloire, puifqu'on eft venu apprendre chez eux ce qu'ils ont bien voulu tranfmettre aux Nations étrangères. S'ils ont fait des conquêtes, s'ils ont voyagé, ces faits n'ont aucun rapport à l'Europe; car il eft conftant qu'ils n'ont jamais aimé la navigation. D'ailleurs, quel pays auroient-ils pû trouver, je ne dis pas feulement fur les Côtes de la Méditerranée, mais dans les autres Parties du monde dont ils étoient environnés, qui fût comparable à celui qu'ils habitoient, foit pour la fertilité, foit pour la facilité de la culture, foit enfin pour la magnificence? quels fecours auroient-ils pû tirer de la barbarie de l'Europe? quelles lumiéres auroient pû les éclairer dans des pays qui n'avoient d'autres connoiffances que celles qu'ils avoient entrevûes dans l'Egypte même ? Ils étoient fages, modérés, foumis : ils fuivoient tous la profeffion de leurs parens. Le même efprit de conftance regnoit dans tous leurs ufages, auxquels ils étoient fort attachés : il paroît enfin qu'ils étoient heureux. Je n'en dirai pas davantage fur cet article, ne pouvant rien ajoûter à l'élégante defcription de ce Pays faite par M. Boffuet: elle ne laiffe rien à défirer, & j'y renvoye le Lecteur. Cependant le deffein de ce grand homme, qui étoit d'écrire une Hiftoire univerfelle, ne lui ayant pas permis d'entrer dans un certain détail fur les Arts, je vais expofer en peu de mots les réflexions que j'ai faites fur les Egyptiens, après avoir lû les Auteurs anciens, les Voyageurs modernes, & examiné les monumens.

L'Architecture me paroît être l'Art auquel ils fe font le plus appliqués, non celle qui frappe par une agréable harmonie, &qui annonce dès le premier coup d'oeil la nature de la chofe qu'elle décore; mais la bâtisse solide & majeftueuse, où l'on voit le germe de tout ce que les Grecs ont fçu y découvrir. Les Egyptiens n'ont pas connu

les Ordres, c'eft-à-dire, qu'ils n'ont pas été foumis à des proportions. Inventeurs, ils ont fait ce qui leur convenoit, & ne paroiffent pas avoir admis rien d'inutile. Ils ont employés les pilaftres & les colomnes; ils les ont ornés de chapiteaux, de bandeaux, de bases & de cannelures; ils ont profilé & décoré les entablemens: mais il y a apparence que tous ces ornemens ont été arbitraires, puifqu'ils n'ont jamais été répétés; & c'eft ce qu'il eft aifé de voir dans plufieurs Auteurs modernes, & fur-tout dans Pocock, où l'on peut du moins diftinguer la variété de toutes ces parties, & fe former une idée du développement qui s'y trouve rapporté. A l'égard des colomnes, je crois qu'ils ne les ont pas feulement regardées comme un moyen folide, pour percer & allegir à l'œil les espaces immenfes que leurs bâtimens occupoient; mais qu'elles leur étoient néceffaires pour foutenir leurs plafonds, puifqu'ils ignoroient abfolument l'art de faire des voûtes. Les defcriptions des deux Labyrinthes, & des ruines de Thèbes, dans Hérodote & dans nos Voyageurs, élévent l'efprit. Nous ne voyons cependant que les mauvaises gravûres qui les repréfentent, ou de foibles deffeins, plus capables de détruire une idée, que de l'embellir. La grandeur des pierres que les Egyptiens ont mifes en œuvre, eft feule capable d'exciter l'admiration. Quelle patience n'a-t-il pas fallu pour les tailler! quelles forces pour les mettre en place! Mais ces objets, quelque confidérables qu'ils foient, s'évanouiffent, pour ainfi dire, quand on fe rappelle l'idée des Pyramides & du Lac Moris. Ces monumens font des fources intariffables d'étonnement, par la grandeur de l'entreprise, à laquelle il paroît que le fuccès a toujours répondu. L'art de conftruire les voûtes a donc été inconnu aux Egyptiens; & fi l'on en trouve dans leur pays, il faut les regarder comme une fuite de leur commerce avec les Grecs & les Romains. On obfervera encore que, quand même les bois auroient été communs en Egypte, les

Egyptiens fe feroient bien gardés d'en employer dans leurs bâtimens. Ils vouloient auffi que les pierres ne dûffent leur force qu'à elles-mêmes, & qu'à la jufteffe de leur coupe; c'eft pourquoi ils n'ont jamais introduit aucun métal pour la liaison de leur bâtiffe. Voilà les moyens par lefquels ils font parvenus à une gloire immortelle.

Les progrès de la Sculpture nous femblent avoir été très-lents en Egypte : il fe pourroit cependant que nous fuffions dans l'erreur. Cet Art, traité avec le même esprit que l'Architecture, eft arrivé, parmi les Egyptiens, à un pareil dégré de perfection, & ils y ont également recherché la folidité, qu'ils n'ont jamais perdu de vûe. Si l'on convient de ce fait, que je regarde comme démontré, on n'attribuera qu'à l'envie de produire des ouvrages immortels, la réunion des jambes qu'ils ont confervée fi longtemps dans leurs ftatues. Le Coloffe de Memnon eft une figure des plus anciennes ; elle a véritablement les jambes féparées, mais par derriére elles tiennent au bloc : ils ont en ce cas fuivi la nature; ce qu'ils n'auroient pas fait, s'ils n'avoient trouvé un point de folidité. Quand ils ont été privés d'un pareil fecours, ils ont cherché cet appui fur la chose même. C'eft en conféquence de ce principe, qu'ils ont toujours repréfenté accroupis les Sphinx & les autres animaux, dont les ftatues rempliffient l'Egypte, & décoroient principalement les avenues qui conduifoient à quelques-uns de leurs Temples & de leurs Palais. Le goût pour la folidité, les a empêchés de faire faillir aucune partie, & les a bornés à des attitudes fimples, qui font devenues monotones : & cette monotomie, qui n'étoit peut-être pas un défaut à leurs yeux, devoit être inévitable, les combinaisons des attitudes étant fort refferrées & l'action étant abfolument retranchée. Cependant il ne faut pas croire pour cela que leurs Artiftes aient toujours été dépourvûs d'une forte de fineffe dans les détails. Il eft inutile de pouffer plus loin cet examen : on conviendra

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que leurs Sculpteurs ont fenti & exprimé le grand; & c'eft en ceci que confifte la premiere & la plus effentielle partie de l'Art, puifqu'elle feule éléve l'efprit du fpectateur. C'eft encore le même defir de faire paffer leurs ouvrages à la postérité, qui leur a fait préférer les bas-reliefs en creux, à ceux qui font de demi-boffe; ces derniers étant expofés à un plus grand nombre d'accidens. Enfin, ils ont connu toutes les parties de la fculpture, jufqu'à la gravûre des pierres.

On ne peut donc douter que le deffein, la base de tous les Arts, n'ait été fort pratiqué dans un pays où les caractères fymboliques forçoient les Ecrivains mêmes à être deffinateurs; mais les particuliers confervoient le goût national, qui ne considéroit que les masses, & qui négligeoit les détalis. Ils ne fervent, il est vrai, qu'à détruire l'effet, quand ils ne font point accompagnés de l'intelligence; & je crois que cette dernière partie étoit aussi connue des Egyptiens, que l'art de groupper: c'eft auffi la 'raifon qui m'a donné une très-médiocre idée de leur peinture.

peu

Non-feulement leur façon de s'exercer au deffein n'étoit pas favorable aux grands effets de cet Art; mais fon exécution exige une ruption dans la couleur, qui ne pouvoit qu'altérer cette folidité, qu'ils recherchoient en tout. Je n'en juge point fur les peintures que j'ai vûes, & qui, toutes mauvaises qu'elles font, auroient pû venir d'un pays où il y en auroit eu de très-bonnes; mais par les récits qui m'ont été faits, & même par ce que le Pere Sicard & d'autres Voyageurs rapportent de celles que l'on voit en plufieurs endroits de l'Egypte, & fur-tout dans un plafond à Dandera. Je crois que leur couleur étoit mise à plat, c'eft-à-dire, fans ruption & fans aucune oppofition. Je crois encore qu'ils ne regardoient la Peinture qu'avec une forte de mépris : je m'explique; c'est-à-dire, qu'elle leur paroiffoit légère, & de peu de réfiftance; & que par

conféquent elle ne s'accordoit point avec les prétentions qu'ils avoient fur l'eftime de la Postérité. Il n'en étoit pas de même de l'or & des couleurs fimples, comme le rouge & le blanc, qu'ils avoient trouvé moyen d'appliquer à froid fur les clefs des voûtes, & fur d'autres parties intérieures & extérieures de leurs plus grands bâtimens ; ce qu'ils ont fait avec un fi grand art, que plufieurs de ces ouvrages fubfiftent aujourd'hui dans tout leur éclat.

Cette derniere opération m'a beaucoup occupé ; j'ai même témoigné l'étonnement qu'elle me caufoit dans quelques Mémoires lûs à l'Académie ; mais enfin, on verra dans l'explication de la Planche LXXIX, que je crois avoir retrouvé depuis très-peu de temps, cette pratique que nous avions perdue, & dont les Romains même faifoient usage avec fuccès.

PLANCHE I.

No. I.

FEU M. Maillet, Conful de la Nation Françoise au Caire, avoit apporté ce beau monument en France, & je l'ai acheté de la perfonne à qui il l'a laiffé par fon testament. Je vais rapporter ce qu'il en dit dans fon Histoire de l'Egypte, pag. 180, moins pour en donner une jufte idée, que pour rendre compte de la façon dont il étoit arrivé jufqu'à lui.

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» Ils ne fe contentoient pas (les Egyptiens) d'embaumer » de la maniére la plus parfaite les corps des perfonnes de grande confidération, fur-tout ceux des Reines & des Princeffes; pour en conferver plus sûrement le fouvenir, ils en dépofoient encore la figure en marbre auprès de » leur momie. J'ai une preuve invincible de ce que j'avance » dans une antique des plus curieuses, dont j'ai fait acqui» fition dans ce pays-ci. C'eft une figure en trois piéces, représentant une femme : la tête & les pieds font de

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