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différence bien confidérable dans le résultat des avantages que les lettres peuvent produire. Qu'il y ait eu plus de naturel dans les ouvrages de Ciceron & d'Horace que dans les écrits de Pline & dans les fatyres de Juvenal, Rome n'en étoit pas moins inftruite & éclairée ; les efprits confervoient toujours leurs activité; le goût pouvoit même s'y rétablir, puifqu'on en avoit les modèles. Mais, lorfque toutes les récompenses furent données à ces vils flatteurs dont les panégyriques rampans ont furnagé au naufrage de tant de livres précieux, quelle reffource resta-t-il au génie que de pleurer fur fes malheurs & fur la décadence inévitable de l'empire?

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Ajoutons qu'une corruption en amène une autre. Les efprits fe rétréciffent par l'habitude d'admirer ce qui eft commun; ils s'abâtardiffent en se traînant après des modèles ou médiocres ou mauvais. Il vient un temps où une nation, riche de chefd'œuvres de goût, ne fait plus les fentir, & n'ofe plus les imiter. La médiocrité s'empare de toutes les avenues du temple

de la renommée, & en interdit l'accès à tout ce qui pourroit l'éclipfer. Cela s'eft vu plus d'une fois dans le monde ; des nations entières ont été les jouets de quelques charlatans audacieux qui leur avoient perfuadé qu'eux feuls devoient être les modèles & les arbitres du goût.

Mais s'ils fe montroient ardens à décrier les grands hommes; ceux que leur gloire intéreffoit, ne devoient pas l'être moins à les défendre. Sans approuver tout dans les écrivains du premier ordre, fans déprimer avec malignité les efforts des talens contemporains, il faut tenir un juste milieu entre les louanges du paffé & la cenfure trop amère du préfent. Tout fiècle est fertile en talens; l'habileté eft de les faire éclore, le comble de l'art eft de porter leurs efforts auffi loin que la nature le génie & le travail peuvent conduire. On y réuffit en les accueillant avec grâce, en les protégeant avec efficacité en favorifant l'enthoufiafme public qu'ils excitent. Eh! n'eft-on pas trop heu reux, lorfqu'on obtient des hommes des

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efforts généreux & une application infatigable à fe rendre utiles, fans qu'il en coûte à l'Etat qu'un peu d'attention & quelques encouragemens de gloire ? S'il falloit apprécier au jufte les grands fuccès du génie, tout l'or des nations ne les fauroit payer. Les plus immenses tréfors fe diffipent, les nations paffent & s'éteignent; il ne refte de leur fouvenir que ces étincelles facrées de raison & de goût, que des fiècles heureux ont vu briller, & que la postérité conferve avec une religieuse vénération. Quel bonheur pour les peuples où ce feu divin fe propage de fiècle en fiècle, où une génération ajoute au travail de celle qui la précède, & maintient ainfi les peuples dans l'habitude d'être raisonnables, spirituels & éclairés fur leurs intérêts! De tels Etats, à moins qu'il n'y arrive d'étranges révolutions, femblent être affurés d'une durée éternelle.

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CHAPITRE PREMIER.

DE LA GRÈCE.

EN écrivant les révolutions de la littérature ancienne & moderne, il faut d'abord prendre les lettres dans leur berceau. Ceux qui les confondent avec les sciences, placent leur origine en Egypte, pays qui eut, avant tous les autres de l'antiquité, une civilisation, des mœurs, des arts, des richeffes & des favans. Mais les fciences de l'Egypte ne lui donnèrent point les lettres; du moins il ne nous en reste aucun monument. Il faut donc les chercher en Grèce, c'est leur véritable patrie; c'est de là que nous font venus nos maîtres en l'art d'écrire. Dans la Grèce même il faut diftinguer l'Ionie, contrée de l'Afie mineure, peuplée par les colonies grecques d'Europe, & qui eut des poëtes, des philofophes & des hiftoriens, avant que l'on s'occupât à Athènes de ces divers genres de littérature.

Les

Lès Ioniens, nés fous le plus beau ciel de l'univers, jouiffant des bienfaits d'une nature prefque prodigue dans fa libéralité, heureusement organifés pour les arts, & doués d'une fenfibilité exquife, augmentée encore par la fimplicité de leurs moeurs, n'ouvrirent les yeux fur les fcènes de la nature, que pour les peindre avec tranf port. Ils eurent des poëtes du moment que leur langue eut été formée, époque fort reculée, & dont il eft impoffible de marquer le temps précis. Le premier auteur connu de cette contrée, c'eft Homère, qui vivoit environ mille ans avant l'ére chrétienne. Il n'est point nécessaire de parler de Mulée, que l'on cite comme plus ancien que lui, mais dont il ne nous refte rien. Ce Mufée est bien différent du Grammairien d'Alexandrie dont nous avons un joli poëme de Léandre & d'Héro.

On fait que plufieurs villes grecques d'Europe & d'Afie fe font difputé l'honneur d'avoir donné le jour à Homère. L'incertitude fur le lieu de fa naiffance a été l'occafion d'un grand procès dans

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