Imágenes de páginas
PDF
EPUB

désunit, et les Barbares pénètrent jusque dans le coeur de l'empire.

Ces objets, quoique plus obscurs, n'en méritent pas moins l'attention d'un lecteur judicieux. L'histoire de la décadence de l'empire romain est la meilleure école des états qui, parvenus à un haut degré de puissance, n'ont plus à combattre que les vices qui peuvent altérer leur constitution. Il a fallu, pour le détruire, toutes les maladies dont une seule peut renverser des gouvernements moins solidement affermis.

Un tableau si sombre sera pourtant éclairé par des traits de lumière. Lors même que toute vertu paraîtra éteinte, et que tout l'empire semblera sans action et sans ame, on verra quelquefois, pour ainsi dire, du milieu de ces tombeaux s'élever des héros; et ce qui pourra encore entretenir la curiosité des lecteurs, et donner quelque chaleur à cette histoire, c'est qu'ils verront de temps en temps sortir des ruines de l'empire de puissants états, dont les uns sont aujourd'hui déja détruits, et les autres subsistent encore avec gloire, quoiqu'ils n'occupent qu'une petite portion de la vaste étendue que remplissait la domination romaine.

Le règne de Constantin est une époque fameuse. La religion chrétienne arrachée des mains des bourreaux, pour être revêtue de la pourpre impériale, et le siége des Césars transféré de Rome à Byzance, donnent à l'empire une face toute nouvelle. Mais avant que de raconter ces grands événements, je dois exposer quel était alors l'état des affaires.

Depuis la bataille d'Actium, qui fixa la souveraineté sur la tête d'Auguste, jusqu'au règne de Dioclétien, dans l'espace de trois cent quatorze ans, Rome avait vu une suite de trente-neuf empereurs. Plusieurs de ces princes ne firent que paraître, et ne régnèrent que le temps qu'il fallut à leurs rivaux pour monter en leur place, et leur enlever la couronne et la vie. La succession n'ayant point été réglée par une loi expresse et fondamentale, chaque prince s'efforçait de rendre l'empire héréditaire dans sa famille : l'autorité de ceux qui mouraient paisiblement leur survivait, et passait à leurs enfants ou à ceux qu'ils avaient adoptés. Mais dans les révolutions violentes, le sénat et les armées prétendaient au droit d'élection; et les armes qui parlent plus haut que les lois, lors même que celles-ci s'expliquent clairement, décidaient toujours. L'approbation du sénat n'était qu'une formalité, qui ne manquait jamais à ceux à qui la supériorité des forces donnait un titre redoutable.

Ce fut par le suffrage des soldats, qu'après la mort de Carus et de son fils Numérien, Dioclétien fut élevé à l'empire, l'an de J.-C. 284. C'était un Dalmate né dans l'obscurité, mais qui, s'étant formé au métier de la guerre sous Aurélien et sous Probus, était parvenu aux premiers emplois. Grand homme d'état, et grand capitaine; intrépide dans les combats, mais timide dans les conseils par un excès de circonspection et de prudence; d'un génie étendu, pénétrant, prompt à trouver des expédients, et habile à les mettre en œuvre; doux

par tempérament, cruel par politique, et quelquefois par faiblesse; avare, et aimant le faste; ravissant le bien d'autrui, pour fournir à son luxe sans diminuer ses trésors; adroit à déguiser ses vices, et à rejeter sur les autres tout ce qu'il faisait d'odieux; et ce qui marque davantage son habileté, c'est qu'ayant communiqué sa puissance à Maximien et à Galérius, qui, féroces et audacieux, semblaient être de caractère à ne respecter personne, il demeura le maître du premier après en avoir fait son collègue, et sut long-temps tenir l'autre dans une juste subordination.

Aussitôt que par la défaite et la mort de Carinus il vit sa puissance affermie, il porta ses regards sur toutes les parties de ce vaste domaine. L'empire avait alors à peu près les mêmes limites. dans lesquelles Auguste avait voulu le renfermer. Il s'étendait d'occident en orient depuis l'Océan atlantique jusqu'aux frontières de la Perse, toujours aussi impénétrables aux Romains que l'Océan même le Rhin, le Danube, le Pont-Euxin et le Caucase le séparaient des peuples du Nord: du côté du midi il avait pour bornes le mont Atlas, les déserts de la Libye, et les extrémités de l'Égypte vers l'Éthiopie.

:

Les Barbares depuis près d'un siècle tentaient de franchir ces limites: ils les avaient même quelquefois forcées; mais ce n'était que par des incursions passagères, et on les avait bientôt repoussés. Au temps de Dioclétien des essaims nombreux, sortis des glaces du Nord, et la plupart inconnus jusqu'alors, commençaient à se montrer sur les

bords du Danube; les Perses et les Sarrasins insultaient la Mésopotamie et la Syrie; les Blemmyes et les Nubiens attaquaient l'Égypte ; et les barrières de l'empire tremblaient de toutes parts.

A la vue de tant d'orages prêts à éclater, Dioclétien sentit qu'il était difficile à une seule tête de mettre tout à couvert. L'expérience du passé lui montrait le danger de multiplier les généraux et les armées. Plusieurs de ses prédécesseurs avaient été détruits par ces chefs de légions, qui, ayant éprouvé le charme flatteur du commandement, tournaient contre l'empereur les armes qu'ils avaient reçues de lui pour la défense de l'empire; et les soldats des frontières perdant le respect pour le prince, à mesure qu'ils le perdaient de vue, ne voulaient plus avoir pour maître que celui qui les avait accoutumés à obéir. Il fallait donc, pour la sûreté de l'empereur, qu'il confiât ses ar mées à un chef qui lui fût attaché par un intérêt plus vif que le devoir, qui défendît l'empire comme son propre bien, et qui servît à assurer la puissance de son bienfaiteur, en maintenant la sienne. Pour remplir toutes ces vues, Dioclétien cherchait un collègue qui voulût bien se tenir au second rang, et sur qui la supériorité de son génie lui conservât toujours une autorité insensible.

Il le trouva dans Maximien. C'était un esprit subalterne, en qui il ne se rencontrait d'autres qualités éminentes que celles que Dioclétien désirait dans celui qu'il associerait à l'empire, l'expérience militaire et la valeur. Vain et présomptueux, mais d'une vanité de soldat, il était très

propre à suivre, sans s'en apercevoir, les impressions d'un homme habile. Né en Pannonie, près de Sirmium, dans une extrême pauvreté, nourri et élevé au milieu des alarmes et des courses des Barbares, il n'avait fait d'autres études que celle de la guerre, dont il avait partagé toutes les fatigues et tous les périls avec Dioclétien. La conformité de condition, et plus encore l'égalité de bravoure les avait unis. La fortune ne les sépara pas; elle les fit monter également aux premiers grades dans les armées, jusqu'au moment où Dioclétien prenant l'essor s'éleva au rang suprême. Il y appela bientôt son ami, qu'il savait capable de le seconder sans lui donner de jalousie. Maximien, honoré du titre d'Auguste, conserva la rudesse de son pays et de sa première profession. Soldat jusque sur le trône, il était à la vérité plus franc et plus sincère que son collègue, mais aussi plus dur et plus grossier. Prodigue plutôt que libéral, il pillait sans ménagement pour répandre sans mesure hardi, mais dépourvu de jugement et de prudence; brutal dans ses débauches, ravisseur, et sans égard aux lois ni à l'honnêteté publique. Avec ce caractère sauvage, il fut pourtant toujours gouverné par Dioclétien, qui mit en œuvre sa valeur, et sut même profiter de ses défauts. Les vices découverts de l'un donnaient du lustre aux fausses vertus de l'autre : Maximien se prêtait de grand cœur à l'exécution de toutes les cruautés que Dioclétien jugeait nécessaires; et la comparaison qu'on faisait des deux princes tournait toute entière à l'avantage du dernier on disait que

« AnteriorContinuar »