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soldats, du serment militaire, du nombre des soldats de la légion, des diverses sortes d'enseignes, d'armes et d'habillements, des exercices, de l'ordre de la marche, du campement et de la bataille; de la police des légions, de leur paie, de leur nourriture, de leurs punitions, de leurs récompenses, de leurs priviléges; des divers noms donnés aux légions, et de leur nombre dans les temps différents; des quarcutiers des légions, du congé et de la vétérance; et enfin des villes où elles furent envoyées et qu'elles formèrent, soit par des colonies, soit des campements.

Mais il s'astreignit sensément à n'envisager une matière si vaste et si féconde, que par le côté qui tient à l'histoire et à l'érudition. Il 1 était trop sage pour ne pas éviter le ridicule dont se couvrit un jour aux yeux d'Annibal, et le reproche que s'attira de la part du célèbre Carthaginois, ce philosophe grec, qui tout fier des rêves qu'il avait enfantés dans son cabinet, eut l'effronterie de disserter en public, dans un long discours, sur toutes les parties de l'art militaire et sur le devoir d'un général : témérité dont s'applaudit peut-être l'amour-propre du philosophe, parce que s'il mérita l'indignation et le mépris du trèspetit nombre de connaisseurs, il recueillit les nombreux suffrages de l'ignorante multitude.

Dans une longue suite de mémoires, où Lebeau a traité la plupart des parties de son sujet, on remarque tant de profondeur, de netteté, d'exactitude, de discernement, qu'on regrettera toujours de n'avoir pas de sa main le peu qui manque, pour former un ouvrage complet sur un point de littérature aussi intéressant.

Partagé entre sa chaire et l'académie, il était encore appelé à une autre place par la voix publique : elle avait retenti aux oreilles de M. Piat, professeur d'éloquence au Collége Royal, qui, connaissant depuis long-temps le mérite du sujet, n'hésita pas de le désigner pour son successeur. Si Lebeau, nommé en 1752, dut être affligé de ne voir d'abord autour de lui que deux disciples, il fut bientôt consolé par un nombreux auditoire qui s'empressa d'accourir à ses leçons.

Cependant, avec ce surcroît d'occupations, un travail d'un autre genre l'attendait encore dans le sein de cette compagnie. Affaibli par des infirmités habituelles, M. de Bougainville demanda au roi la permission de se démettre de la place de secrétaire perpétuel, dont il faisait les fonctions depuis 1749; et Sa Majesté, en 1755, lui donna pour successeur Lebeau, qui n'était pas encore alors dans la classe

des pensionnaires. Quand je rappelerais ici l'intelligence, l'acti le zèle infatigable qu'il a montrés durant l'espace de dix-huit ans a rempli cette place, je ne dirais rien qui ne soit presque aussi c du public que de cette compagnie. Mais si je dis que je dois à l'a généreuse dont il m'honorait, le dangereux honneur d'être no par le roi pour lui succéder en cette partie; si j'ajoute que le sou d'un bienfait auquel je me suis long-temps opposé, ne s'effacera ja de mon cœur, l'académie, aujourd'hui qu'il n'est plus, affligée d double perte, n'en sentira que mieux qu'il n'est point remplacé le lieu où je le représente.

La rédaction des volumes de nos Mémoires, imprimés depuis 1 jusqu'en 1770, est son ouvrage, de même que les éloges historic des académiciens morts dans cet intervalle, et jusqu'en 1772. I faut excepter l'éloge d'un frère cheri, formé de ses mains, en q devait espérer de revivre, et qui, dans cette compagnie, marcha grands pas sur ses traces. Il l'avait vu, avec une tendre satisfacti estimé digne, dès l'âge de vingt-deux ans, d'être son successeur d la chaire de rhétorique au collége des Grassins. C'était un autre même par qui il se voyait remplacé dans une carrière favorite, a un succès dont chaque jour le rendait témoin, puisque dans le m temps et dans le même collége il occupait une chaire de grec, fon en sa faveur; comme si cette école eût été jalouse de posséder fois les deux frères.

La douleur morne et profonde dont le cœur de l'aîné fut pénét lorsque son cadet lui fut enlevé dans la vigueur de l'âge (en m 1766), lui ferma la bouche. M. l'abbé Garnier, lui prêtant alors secours officieux, l'acquitta pleinement envers le public, d'un tr devoir, dans une de nos séances publiques.

Un secours d'une espèce différente lui était nécessaire, pour projet dont la contiuuation lui fut comme substituée par la mort M. de Bougainville. Je parle de l'histoire métallique de nos rois, t vail qui ne pouvait s'exécuter que de concert avec des artistes, pa qu'il fallait avoir les dessins et les gravures sous les yeux. Privé de secours, Lebeau n'a pu recueillir en cette occasion que la gloire c'en est une, d'avoir refusé de toucher une pension qu'il était da l'impossibilité de mériter.

Croira-t-on qu'une vie si pleine, si chargée d'occupations divers ait pu laisser quelques instants vides, quelques intervalles libre

tivi. Qu'on interroge une infinité d'auteurs qui ont eu recours à ses lusq. mières et consulté son goût avant de hasarder leurs productions; com ils diront que l'amour des lettres rendait tout possible à Lebeau. Il ama revoyait, il corrigeait avec une égale constance un manuscrit absoma trait et volumineux, et une feuille volante de poésies légères. Que ne Ive pourraient pas aussi répondre tant de personnes de tout état, qui jam sont venues si souvent l'interrompre pour des objets qui lui étaient d'e étrangers? épitaphes, inscriptions, épithalames, épigraphes, discours da latins, français, prose, vers, projets, plans d'éducation, tout était jugé de son ressort; et quand il se prêtait à leurs désirs, c'était sans 17 songer à en tirer vanité, à peine en conservait-il le souvenir. Si dans ququelques morceaux devenus publics, ses amis, ses parents même qui Il n'étaient point dans le secret, croyant reconnaître sa touche, le pressaient par des questions importunes, il avouait enfin ; mais on sentait hii ce que lui coûtait le sacrifice de la modestie fait à la vérité. On eût dit * qu'il voulait étendre à ces productions le précepte évangélique sur la charité la main gauche ignorait ce qu'avait fait la droite.

C

Mais qu'est-il besoin de recourir à des témoignages étrangers, pour juger si Lebeau savait trouver et mettre à profit des moments de loisir au milieu des occupations les plus multipliées, quand on considère que, dans un âge déjà avancé, il osa former une entreprise capable d'occuper la vie entière d'un homme de lettres? On comprend que j'ai en vue l'Histoire du Bas-Empire. De quoi s'agissait-il en effet ? de parcourir depuis le règne de Constantin le Grand, jusqu'à la prise de Constantinople, un espace d'environ douze cents ans, souvent à travers la lie et la barbarie des siècles, toujours dans les fastes ténébreux d'un empire qui, ou ébranlé de toutes parts par des secousses redoublées, ou énervé par ses propres vices, et déchiré par des divisions intestines, s'écroulait chaque jour, et précipitait l'instant d'une ruine fatale. Il fallait dévorer l'ennui attaché à la lecture d'une foule d'auteurs, ou mal instruits, ou passionnés et prévenus, ou secs et décharnés, dont le moindre défaut est de manquer de l'ordre, de l'élégance, de la noblesse, du goût, enfin de ces grâces piquantes qui charment dans les écrits des beaux siècles d'Athènes et de Rome. L'amour du vrai, de la vertu, de la religion, qui avait inspiré le projet, soutint Lebeau dans cette longue et laborieuse carrière, dont il avait fait choix, disait-il, pour arriver doucement au tombeau. Ayant promis de donner deux volumes chaque année, il acquittait régulièrement la

dette qu'il avait contractée avec le public; et lorsqu'une mort pro qu'il attendait en philosophe chrétien, nous l'enleva le 13 ma cette année (1778), il était occupé à mettre la dernière main à volumes qui en ce moment verraient le jour, et qui l'approch du terme où il tendait.

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La mort, en le frappant, ne put le surprendre, parce qu'il s'y parait sans cesse par la pratique constante de tous ses devoirs qualités les plus brillantes, les plus capables de faire un grand dans l'empire des sciences et des arts qu'il chérissait, n'étaient à ses yeux, s'il ne les voyait accompagnées de celles qui forme citoyen vertueux et utile. L'abus des premières, au préjudice vertu et des mœurs, lui paraissait un crime odieux, un attentat im donnable envers la société. « Malheur, malheur, disait-il, à une tion, si jamais follement éprise des charmes séducteurs que peu « offrir à ses regards les productions les plus exquises des arts, « talents, du génie, lorsqu'elles tendent à la corrompre et à la dé « ver, il lui arrive d'en accueillir, d'en caresser les auteurs; de prodiguer inconsidérément un encens dont s'offense et gémit la v outragée; de vouloir même avec un enthousiasme aveugle et fa « ràble à la propagation du vice, leur assurer l'estime de tous les « par des honneurs et des distinctions qui découragent et désespèr « le mérite vrai et utile; enfin de réchauffer en quelque sorte l «< cendres pour en faire naître des imitateurs plus audacieux end « et plus criminels. Coupables envers leur patrie, que peuvent exiger d'elle, que doivent-ils en attendre, si ce n'est tout au << un traitement pareil à celui que Platon destinait à Homère dan << république? Celle des Romains, sous le despotisme de ses em << reurs, n'avait plus l'énergie, l'austérité, la vigueur des prem âges; néanmoins elle en eut encore assez pour oser plus d'une << abolir totalement la mémoire des citoyens, des princes même <«< avaient fait un abus déshonorant de leur pouvoir, quelques servi qu'elle en eût reçus d'ailleurs; pour abattre avec indignation << statues que, dans des temps malheureux, des mains soumises à <«< triste nécessité, ou animées par une adulation basse et servile, I « avaient élevées; enfin pour effacer, en frémissant d'horreur, le <«< noms sur les monuments publics, comme indignes d'être trans « aux siècles à venir, après avoir fait la honte du leur. »

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Avec ces sentiments qui portent l'empreinte de la plus rigide ver

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Lebeau laissait rechercher à d'autres, lequel est le plus à redouter pour la société, de l'abus du pouvoir qui opprime, ou de l'abus des talents qui en pervertit les mœurs : cette question n'en était pas une pour Le premier irrite, révolte, violente la nature qui ne tarde pas de rentrer dans ses droits, dès qu'il lui est permis de respirer, si deja is ames ne sont flétries par la corruption : le second flatte, plaît et dit. L'un est un torrent destructeur, mais la consternation qui Tampagne n'est que passagère; le désastre momentané qu'il cause pestètre bientôt réparé. L'influence de l'autre est permanente et propressive; c'est un poison doux qui, s'insinuant mollement dans toutes les parties du corps politique, le mine sourdement, l'altère et l'épuise ers irritation, ou plutôt à l'aide d'une multitude de sensations déliCenses, et gagnant toujours de proche en proche, produit enfin une epidemie universelle, d'autant plus incurable qu'on chérit l'ivresse où tous les sens sont plongés, mais dont le terme n'est jamais qu'un anéantissement total.

Lebeau avait tellement à cœur tout ce qui peut intéresser les meurs, surtout dans l'instruction de la jeunesse, qu'il se plaignait sent de voir que ce n'était pas ordinairement l'objet capital de stitution, soit publique, soit particulière. Lorsque l'Université, dans le sein de laquelle il avait été élevé, pour laquelle il conserva pars une tendresse filiale, et fit éclater jusqu'à sa dernière heure Tatachement le plus vif que la reconnaissance puisse inspirer, enfin

en mère affligée, a versé depuis peu des' larmes amères sur sa be par l'organe éloquent d'un de ses plus dignes membres (1);. kesque l'Université, dis-je, distribuait annuellement des prix aux es qui s'étaient distingués par des compositions supérieures, il applandissait avec joie à un usage si propre à faire fermenter les esprits, et à porter dans les ames les plus engourdies le feu d'une noble bonable émulation. Mais cette joie, tempérée par un sentiment Tamertume, ne répondait pas à l'étendue de ses désirs: Je vois, di

, beaucoup de récompenses pour les talents, pour le mérite litre; j'en vois peu pour la vertu, le mérite essentiel du citoyen. aturellement modeste, il ne pouvait manquer de cette modestie

urs de M. Charbonnet, proLesser de troisième au collège Mazarin, promere ætte année (en 1778), le jour

de la distribution générale des prix de l'Université.

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