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que le savoir donne. L'oracle sacré a prononcé que la science enfle; mais il ne croyait devoir l'entendre que d'une science fausse et peu digne de ce nom. Quand il considérait les bornes étroites qui resserrent le champ hérissé de ronces et d'épines, où peut s'exercer l'activité de l'esprit humain, le nombre infiniment petit des vérités qui sont à sa portée dans l'étendue de sa sphère, la multitude innombrable de celles qui, se jouant de sa curiosité, échapperont toujours à ses recherches, les ténèbres épaisses qui l'assiégent et l'entourent de toutes parts, cette mer orageuse d'erreurs, d'incertitudes, de doutes, où il flotte au hasard, agité en tous les sens au milieu des naufrages; une perspective, si propre à déconcerter l'amour-propre, ne montrait rien à ses regards qui pût fournir matière et servir d'aliment à la vanité. Se glorifie-t-on d'une chétive moisson acquise par des frais ete des travaux immenses? On le louait un jour sur ce point: Oui, oui, sa dit-il, j'en sais bien assez pour étre humilié de ce que je ne sais pas On avait, à son avis, bien mal profité de ses études, si l'on n'avait pas appris à se bien apprécier soi-même, et à mettre le prix juste à ses conquêtes littéraires. S'il est des ames où le savoir se montre avec des impressions de vaine gloire, c'est qu'il y a trouvé d'avance un vice radical et tenace dont il n'est pas le principe, qui subsiste malgré lui, et qui, sans lui, se serait porté sur d'autres objets.

Avec un air sombre et taciturne, causé par la multitude des objets sérieux dont son esprit était continuellement occupé dans le cabinet, Lebeau conservait un fonds de gaieté naturelle qui se développait au-dehors, et s'épanouissait dans le monde avec une aisance et une amabilité dont on était surpris. Il y portait cette politesse unie, franche et vraie, pour laquelle il faut toujours se bien connaître soimême, et souvent ne pas connaitre trop bien les autres. Aussi ce qui étonnait plus encore, c'est qu'à portée de saisir le ton et l'esprit des meilleures sociétés où il était admis, il lui échappait quelquefois de ces questions naïves, de ces réponses ingénues, qui, pour apprêter à rire, comme étant susceptibles d'interprétations malignes qu'il ne soupçonnait seulement pas, n'en décèlent que mieux l'innocente et respectable simplicité de mœurs dans celui qui les fait.

Par une suite du même caractère, il se laissait prévenir assez aisément, et quand on avait jeté dans son ame des idées favorables ou sinistres, il lui coûtait de s'en détacher, parce que jugeant des autres par lui-même, il ne pouvait croire ni au mensonge ni à la calomnie.

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nf. Si l'évidence le forçait de revenir et de reconnaître qu'on avait abusé de sa crédulité, il était dans un étonnement inexprimable, n'imagise nant pas que la malignité ou la duplicité inconnue à son cœur, pût act se trouver dans le cœur d'un autre. Aussi de toutes les vertus morales et chrétiennes, la charité que comportait sa fortune, était chez lui la moins éclairée, et comme il aimait à la pratiquer, il suffisait pour l'émouvoir de lui exposer des besoins avec un air de franchise. Se voyait-il trompé, ce qui lui arrivait fréquemment, il s'en consolait; o mais tout en protestant d'user à l'avenir de plus de circonspection, il était bientôt trompé de nouveau.

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L

tr: De son mariage il avait eu une fille unique, mariée en 1759 à M. Chuppin de Germigny, alors avocat au parlement, et depuis Conseiller au Châtelet, à qui il se réunit en 1764, après la mort de sa femme heureuse union, qui dans le sein d'une famille aussi tendre que chérie, dans des cœurs sensibles et vertueux, animés du même esprit, dirigés par les mêmes sentiments, fixait le centre d'un commerce réciproque d'attentions, de tendresse, de cordialité, de confiance, d'encouragement et de consolation. Les soins que Lebeau donna, dans les dernières années de sa vie, à l'éducation de deux petits-fils, furent moins un nouveau travail pour lui qu'un délassement presque nécessaire, parce que l'affection qui en était le mobile, lui semblait en faire un devoir. En âge de sentir, ils ont tristement gémi sous le coup trop précipité pour eux, qui les a privés à la fois du meilleur des pères et du meilleur des maîtres. Pour consoler et une famille affligée, et ceux qui, comme nous, dans une perte commune, partagent sa douleur, puissent - ils faire revivre et soutenir l'honneur d'un nom dont le souvenir sera toujours cher aux ames honnêtes et éclairées, qui sentent tout ce que peut, pour le bonheur réel des hommes, objet unique de leurs vœux, l'empire des lettres, réuni à celui de la vertu.

FIN DE L'ÉLOGE DE LEBEAU.

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JE

Je me propose d'écrire l'histoire de Constantin et de ses successeurs jusqu'au temps où leur puissance, ébranlée au-dehors par les attaques des Barbares, affaiblie au-dedans par l'incapacité des princes, succomba enfin sous les armes des Ottomans. L'empire romain, le mieux établi qui fut jamais, fut aussi le plus régulier dans ses degrés d'accroissement et de décadence. Ses différents périodes ont un rapport exact avec les différents âges de la vie humaine. Gouverné dans ses commencements par des rois, qui lui formèrent une constitution durable; toujours agissant sous les consuls, et fortifié par l'exercice continuel des combats, il parvint sous Auguste à sa juste grandeur, et soutint sa fortune pendant trois siècles, malgré les désordres d'un gouvernement tout militaire.

L'ouvrage que j'entreprends, est l'histoire de sa vieillesse elle fut d'abord vigoureuse, et le dépé

Tome 1.

I

rissement de l'état ne se déclara sensiblement que sous les fils de Théodose. De là à la chute entière, il y a plus de mille ans. La puissance des Romains avait la même consistance que leurs ouvrages: il fallut bien des siècles et des coups réitérés pour l'ébranler et pour l'abattre; et quand je considère d'un côté la faiblesse des empereurs, de l'autre les efforts de tant de peuples qui entament successivement l'empire, et qui sur ses débris établissent tous les royaumes de l'Europe en-deçà du Rhin et du Danube, je crois voir un ancien palais, qui se soutient encore par sa masse et par la stabilité de sa structure, mais qu'on ne répare plus, et que des mains étrangères démolissent peu à peu et détruisent à la longue, pour profiter de ses ruines.

Il est vrai que les siècles antérieurs présentent une scène plus vive et plus brillante. On y voit des actions plus héroïques, et des crimes plus éclatants: les vertus et les vices étaient des effets ou des excès de vigueur et de force. Ici les uns et les autres portent un caractère de faiblesse : la politique est plus timide; les intrigues de cour succèdent à l'audace; le courage militaire n'est plus dirigé par la discipline; les Romains de ces derniers temps ne songent qu'à se défendre, quand leurs ancêtres osaient attaquer: la scélératesse devient moins entreprenante, mais plus sombre; la haine et l'ambition emploient le poison plus souvent que le fer: cet esprit général, cette ame de l'état, qu'on appelait amour de la patrie, et qui en tenait toutes les parties liées ensemble, s'anéantit et fait place à l'intérêt personnel; tout se

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