trêmement doux en France jufqu'à cette époque; mais alors il s'éleva un vent de bife fi froid, que pendant 10 à 12 jours, on éprouva une très-forte gelée, quoique le ciel fut fans nuages pendant tout ce tems; le thermomè tre defcendit à 10 & 11 degrés, & les rivieres furent glacées au point de fupporter le paffage des voitures.

Dans la relation du Voyage que firent les Académiciens au cercle polaire, pour la mefure d'un degré du Méridien, M. de Maupertuis nous apprend qu'il y a vu geler habituellement l'efprit-de-vin, & defcendre le thermomètre de mercure à 38 degrés au-deffous du terme de la glace; c'eft ce qui a fait dire, à M. de Réaumur, que la congélation de l'eau fembloit être le terme moyen des degrés qui marquent la chaleur la plus exceffive & les froids les plus rigoureux des pays habités. M. de Maupertuis remarque encore que le froid, à Tornéo, étoit fi vif au mois de Janvier 3737, que, lorsqu'on ouvroit la porte d'une chambre chaude, la vapeur qui s'y trouvoit étoit fur le champ convertie en neige par l'air du dehors, qui en formoit de gros tourbillons blancs; la neige, dans ces cantons tombe quelquefois en grande abondance, & est jetée ou éparfe avec tant d'impétuofité, qu'en un

moment tous les chemins font couverts, il eft impoffible de les reconnoître.

&

Les degrés de froid, éprouvés au cercle polaire, font un véritable printems pour les pays que MM. de l'Ile & Gmelin ont parcourus, par l'ordre de l'Impératrice des Ruffies; car ces Savans y ont vu fouvent defcendre le thermomètre de M. de Réaumur depuis 50 jufqu'à 70 degrés au-deffous de la congélation; ce froid de 70 degrés a été observé à Yeniseisch, en Sibérie, le 16 Janvier 1735; cependant les hommes, ceux mêmes qui ne font point nés dans ces climats glacés, y vivent, ainfi qu'une infinité d'insectes & d'animaux; & la Flora Siberia, dont M. Gmelin nous a donné la defcription, ne permet pas de douter qu'une multitude de plantes n'y croiffent & n'y portent des fleurs & des fruits. Cela pofé, combien de degrés de froid ne faudra-t-il pas encore admettre avant que d'arriver à celui où la Nature, totalement engourdie, feroit fans mouvement, & rentreroit dans le néant?

Si le froid naturel ne nous a point encore fourni de preuves qui puiffent réaliser cette conjecture, nous en trouverons dans les procédés qu'on a employés pour produire des froids artificiels, auxquels on ne fe feroit jamais

attendu; je ne rapporterai ici que les réfultats des expériences étonnantes qui furent faites à ce fujet, par M. Braun, en présence de l'Académie Impériale de Pétersbourg, le 25 Décembre 1759 & le 6 Janvier 1760.

Dans les premieres de ces expériences, le froid artificiel parvint à 170 degrés au-desfous de la congélation, felon l'échelle de M. de Réaumur; mais, dans celles du 6 Janvier 1760, ce froid artificiel fut porté, de proche en proche, à 260 degrés au-deffous du même terme, & l'on ne fait jufqu'où auroit été ce progrès, fi la boule du thermomètre de M. Braun, qui étoit déjà fêlée en quelques endroits, n'étoit tombée en morceaux à cette derniere épreuve; auffi le froid naturel, qu'on jugeoit exclufif à 29 degrés le 25 Décembre précédent, avoit-il augmenté d'environ 2 degrés le 6 Janvier, c'est-à-dire que le thermomètre, expofé à l'air libre, y étoit defcendu à 31 degrés au-deffus du terme de la congélation; le mercure, tombé avec la boule du thermomètre, fut trouvé alors dur & malléable comme du plomb dans toutes les parties de fa maffe.

Voici de quelle maniere ces expériences ont été faites on verfe, dans un verre à boire, jufqu'à la moitié, de l'acide nitreux fumant;

on y jette enfuite une égale quantité de neige, & on remue le tout jufqu'à ce qu'il ait acquis la confiftance d'une bouillie affez épaiffe: d'abord ce mélange s'échauffe; mais enfuite, & très-promptement, il contracte un degré de froid prodigieux & fuffifant pour congeler le mercure une circonftance importante, & qui n'a pas échappé à M. Braun dans fes expériences, c'est que le froid, produit artificiellement, eft d'autant plus grand que le froid naturel de l'air l'eft davantage : d'après celà, on ne fera pas furpris que ces mêmes expériences ne réuffiffent pas pleinement dans ces pays-ci, quoique répétées pendant les plus grands froids.

L'hiver de 1776 ne fut pas rigoureux pour le nord, relativement au climat; mais il le fut exceffivement pour Paris & prefque toute la France. Il gela, fans interruption, depuis

le

9 Janvier jufqu'au 2 Février; le jour le plus froid à Paris, qui fut le 29 Janvier, le thermomètre de M. de Réaumur defcendit à 16 degrés au- deffous de zéro à 7 heures un quart du matin, par un vent d'eft; ce même jour, le thermomètre, gradué fuivant la même méthode, n'étoit, à Pétersbourg, qu'à 16 degrés; le 18 Janvier fut, dans cette Ville, le jour de la plus grande gelée; le

thermomètre à mercure defcendit à 26 degrés trois quarts; la Newa étoit encore gelée le 10 Avril, & les voitures la traverfoient fans danger; cette riviere ne commença à dégeler que le 28 du même mois.

Le foleil, par fa préfence, eft la caufe de la chaleur que nous reffentons, & fon abfence nous occafionne le froid; mais il y a bien d'au tres caufes qui font varier la température de l'air, la position des terres, leur nature ou les fubftances qu'elles renferment, la population, le défrichement, la culture, la proximité ou l'éloignement des mers, des forêts, le nombre & l'étendue des rivieres, des lacs, des marais, des étangs, les vents réglés ou inconftans, les volcans, les feux fouterrains. Toutes ces caufes procurent un plus grand degré de chaleur ou de froid; & on ne doit pas être étonné de lire ou d'entendre que dans certains endroits le froid ou la chaleur foient différens que dans d'autres lieux fitués fous les mêmes parallèles, ou à la même distance de l'équateur.

Si l'on peut vivre dans des pays où la température de l'air fait defcendre le thermomètre de M. de Réaumur jufqu'à 70 degrés audeffous du terme de la congélation, les hommes & les animaux peuvent également foutenir des degrés de chaleur bien plus confidé→