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PREFACE.

A reconnoiffance m'engage à ren

Ldre compte au Public des raifons

qui m'ont déterminé à ne pas me déclarer l'Auteur d'une Comédie qu'il a f extraordinairement favorisée. Je dois auffi m'excufer d'avoir trompé dans cette occafion jufqu'à mes amis les plus, particuliers; j'efpere qu'ils me le pardonneront aifément : fi le menfonge n'eft criminel qu'à proportion de l'importance des véritez qu'il déguise, on ne peut pas mentir plus innocemment que je l'ai fait. J'ai voulu voir quel des-tin auroit Momus Fabulifte, indépen damment des idées bonnes ou mauvaifes attachées à mon nom, car on définit bien ou mal les Auteurs, & les moins connus n'échapent pas à l'efprit de criLique qui regne fouverainement aujour. d'hui. J'ai voulu rifquer de m'entendre cenfurer par mes amis fi ma piece tomboit, pour m'affurer fi elle réüffiffoit le plaifir d'être loué par ceux qui ont réfolu de ne me pas eftimer. Il n'étoit quef a iiij.

tion que de me taire pour arriver à mon but; quoique les Mufes ne foient pas ordinairement difcretes, fur-tout quand le Public s'avise de les cajoler, la mienne a fçû être allez raisonnable pour ré. fifter à la démangeaifon de parler, dans des inftans où chacun à l'envi s'effor çoit de lui faire rompre le filence & de fui dérober fon fecret. Cette épreuve eft dangéreuse pour l'amour propre, & je ne fçai fi je voudrois en tenter une feconde. Lorfqu'un Auteur défavoüe un Ouvrage qu'il a fait, cette forte d'incognito l'expofe à des fcenes qui ne le furprennent pas agréab ement; quand la fincerité ne fe gêne pas,la vanité fouffre toûjours de fa converfation. Si les Auteurs prenoient le parti que j'ai hazardé, ils ne feroient pas fi contens d'euxmêmes; ils aprendroient ce qu'ils ignoreront toute leur vie, & connoîtroient exactement à combien ils font appretiez par le Public.

Pour moi j'ai été heureux en ne montrant que mon Ouvrage; il s'eft recontré affez original pour exciter la curofité d'en fçavoir l'Auteur; je me fuis bien gardé de le découvrir, & de dévoiler un miftere qui redoubloit l'empreffèment de tout le monde pour ma Comédie. Il

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faut avouer que la Coqueterie eft auffi néceffaire aux Poctes qu'aux Belles. Le manége d'une Belle lui fait plus d'Amans que fa beauté, le manége d'un Poëte lui fait plus de Partifans que fon mérite; le fard de la Belle trompe le cœur par les yeux, le fard du Poëte trompe l'efprit par les oreilles ; enfin le fecret infaillible de piquer les hommes eft de les furprendre. Souvent dans un Bal on rencontre une femme de fa connoiffance pour qui l'on n'avoit jamais rien fenti; c'eft qu'on la voyoit à vifage découvert; inconnue, elle enchante fous le mafque, ceux qui la regardoient fans attention, quand elle ne fe voiloit pas. à leurs regards, les voilà tranfportez, enflamez pour un objet qui fçait les inquiéter avec adreffe; ils preffent vivement la Belle de fe démafquer, tant qu'elle les refufe, leur empreffement fe foûtient, augmente même, la Belle eft-elleaffez fimple pour les croire, que devient leur vivacité en reconnoiffant une perfonne que le préjugé n'a jamais embellie pour eux? leur paffion tombe avec fon mafque. Voilà le Bal que je me fuis donné pendant les reprefentations de Momus Fabulite: cette manœuvre nouvelle m'a rendu plus Philo

fophe encore que je ne l'étois, & m'a prouvé évidemment qu'il nous eft impoffible de connoître les véritables fentimens des hommes fur notre chapitre dès que nous nous prefentons nous-mêmes pour les apprendre; la politeffe qu'ils pratiquent même avec les Auteurs leur fait toûjours trahir la vérité, & Pufage les autorife à louer jufqu'à ceux qu'ils méprifent. J'ai compofé une fable fur la politeffe qui ne vient pas mal ici. La Préface de Momus Fabuliste ne doit pas être fans fables..

A

Les Animaux Polis

FABLE.

Ux animaux foi difant raifonna bles,

Les autres le trouvant en tout prefque fem. blables

S'entredirent, voifins, Poliçons nos forêts,
Car à la palitelle près

Nous tenons fort de l'homme; achevons la.

copie,

Aprenons la civilité.

Auffi-tôt une vieille Pie,

Ouvrant un bec peu confulté,

S'écria, c'eft bien dit, ayons des moeurs civiles, Faifons des complimens, font-ils fi difficiles? Au premier venu j'en ferai,

La Pie auroit été tout le jour fans fe taire;
Lorsque la Poule, autre Commere,
L'interrompit, disant, chez vous je menerał
Très-bonne compagnie, & j'y rassemblerai
L'Ours, la Vache, la Grue & l'Ane; enfin ma.
chere,

Nous ferons gens choifis. Un fi fage deffein
S'executa le lendemain.

On arrive, on s'embraffe & fans ordre on caquette;

Sur les lieux communs on fe jette,
Enfuite on fert l'encens, chacun en a fa part.
Le col de Dame Gruë auffi long qu'un Billard,
Tout haut fe nomme une fine encolure,
Et tout bas un fufean de vilaine tournure.
La Poule au gofier bavard,
Reine des voix glapiffantes,

Faisant avec la Pie un duo babillard,
Qn leur dit en baillant qu'elles font amufantes.
L'Ane affectant de braire d'un ton doux,
Malgré l'épais maintien de la Vache nourrice,
Feint de la croire une Géniffe,

Et traîte de blond fon poil roux.

Delà faluant l'Ours, Seigneur, qu'en dites

yous?

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