Cette Vache est bien bête ! elle croit, que je penfe. Ce que je lui difois par pure bienséance: Une taille mignone, une pate charmante trente, Que même à des regards.contre vous prévenus, Vous paroiffez de loin l'Epagneul de Venus... A ces mots le Baudet fe tait & rit fous cape, Trouvant l'Ours un Ours mal leché. L'Ours, dans les complimens à fon tour em pêché, Lui répond d'un ton de Satrapez Maîrte Martin, en verité, J'ai vu maint Ane débâté, Sans vouloir faire ici d'emphase, Nul n'égale, ma foi, votre legereté; Apollon yous prendroit pour le cheval Pégaze. Doit-on mêler ainfi nobleffe avec roture? M'allez-vous dire; oh! bien, cette varieté Ainfi le Cercle entier masqué par fourberie Faisant tout haut un compliment Je gage que dans ce moment On fe croit en vifite en lifant cette fable. On fe croit en vifite, & l'on s'ennuïe peut-être : je ne fuis pourtant pas encore prêt de finir. Je reviens à l'heureux mistere que j'ai fait de mon nom. Cette conduite m'a prouvé qu'il y a peu d'eftimateurs exacts des talens & de leurs productions, & que les vérifications de ftile font prefque auffi incertaines que celles de l'écriture. J'ai remarqué cent fois que bien des gens jugeoient de la Piece par le nom de l'Auteur, & non pas de l'Auteur par le mérite de la Piece. Mais dès qu'un Ouvrage paroît fans le certificat de fa naiffance,chacun s'empreffe de lui faire une Genealogie à fon gré. Si cet Ouvrage obtient le bonheur de plaire généralement, chacun alors iul donne pour Pere l'Auteur qu'il eftime le plus, & dont fon entêtement a fait l'apoteofe. Cette façon paffionnée de juger des Ouvrages d'efprit a donné à Momus Fabuliste plus d'une illustre origine. On l'a fait naître dans la Robe, dans l'Epée, & même dans le Cloître. Quelques Differtateurs pouffant plus loin leurs Analyses ne m'ont laiffé faire chez moi que la Profe, & ont fait faire mes Fables en Ville. Je ne fçai pas trop pourquoi ils m'ont voulu ôter le talent de vérfifier; lorfqu'on ne poffede que la rime c'eft un fi mince apanage qu'il y a de l'inhumanité à en dépoüiller un Poëte. Quel fpectacle réjoüiffant m'a procuré ma difcretion, que de Rolles différens la prévention a joüé devant moi ! quel plaifir de tromper ces prétendus Gourmets des Théatres qui décident fi hardiment fur les récoltes du Parnaffe. J'ai effaïé de les caracterifer dans la fable qui fuit. C Les prétendus Gourmets. FABLE Ertain Cabaretier poffedoit un vignoble., Rien n'a de prix conftant, pas même la vertu ; Le tout mûrement débatu, Que fait notre fupôt du Dieu de la Bouteille ? De l'effai craignant le danger, Loin d'afficher fon nom il fe feint étranger, A féduifante voix, s'entendant à merveille Cent prétendus Gourmets volent à la boutique, On leur en fait miftere, & chacun d'eux s'ap plique A le définir, mais en vain, L'un en le favourant s'écrie, Ah! c'eft du Bourguignon ! l'autre, il eft Champenois. Fy, dit un tiers, malin Sournois, Qui le croit d'un Marchand qu'avec soin il décrie; Eh! fy donc, c'est du vin de Brie: Encore eft-il au bas Meffieurs,je m'y connois... Trouvez-vous bon qu'on s'oppose à cet arrêt terrible, Lui replique un vrai Connoiffeur Je croi ce vin d'un tel... d'un tel eft-il poffi-ble! Interrompt un froid Jaseur, D'un ton orgueilleux & grave, D'un tel! a-t-on jamais vû fortir de fa cave Un vin pareil à celui que voilà? Peste ! on ne vous fert pas ici de la Piquette! A ces mots le Cabaretier Qu'ils n'entendent pas leur mêtier, Du vin qu'avec plaifir nos raifonneurs ont bû Et qu'enfin, fans mêlange il est tout de fon cru. Ainfi quelques Gourmets fçavans fur l'éti quette, Jugent du rouge & du clairet Par l'enseigne du Cabaret, Et décident des vers par le nom du Poëte. Cette fable contient unevérité, que l'on m'a rappellée plus d'une fois dans |