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ligion dans l'écriture & dans les peres, & la difcipline dans les canons. Il y avoit peu de curiofité & d'invention, mais une haute eftime des anciens: on se bornoit à les étudier, les copier, les compiler, les abreger. C'est ce que l'on voit dans les écrits de Bede, de Raban & des autres theologiens du moyen âge : ce ne font que des recueils des peres des fix premiers fiecles; & c'étoit le moyen le plus feur pour conferver la tradition.

La maniere d'enseigner étoit encore la même des premiers tems. Les écoles étoient dans les églifes cathedrales ou dans les monafteres : c'étoit l'évêque même qui enfeignoit, ou fous fes ordres quelque clerc ou quelque moine diftingué par fa doctrine ; & les difciples en apprenant la fcience ecclefiaftique fe formoient en même tems fous les yeux de l'évêque aux bonnes mœurs & aux fonctions de leur miniftere. Les principales écoles étoient d'ordinaire dans les métropoles : mais il fe trouvoit fouvent de plus habiles maîtres dans les églifes particulieres, & alors il étoit permis de les fuivre. Or j'eftime important pour la preuve de la tradition, de marquer comment les études ont paffé fucceffivement d'un païs à l'autre, & quelles ont été en chaque tems les écoles les plus celebres en Occident. Jufques au tems de faint Gregoire je n'en voi point de plus illuftre que celle de Rome, mais elle tomba dés le même ficcle, comme nous avons vû par l'aveu fincere du pape Agathon. Cependant le moine faint Auguftin & les autres, que faint Gregoire avoit envoyez planter la foi en Angleterre, y formerent une école, qui conferva les études tandis qu'elles s'affoibliffoient dans le refte de l'Europe, en Italic par les ravages des Lombards, en Espagne par l'invafion des Sarrafins, en France par les guerres civiles. De cette école d'Angleterre fortit faint Boniface l'apôtre de l'Allemagne, fondateur de l'école de Mayence & de l'abbaye de Fulde, qui étoit le feminaire de cette églife. bift.l. xLv.n.18. L'Angleterre donna enfuite à la France le favant Alcuin, qui dans fon hift. liv. 111. n. école de Tours forma ces illuftres difciples dont j'ai marqué dans l'hiftoire les noms, les écrits, & les fucceffeurs. Delà vint l'école du palais de Charlemagne trés-celebre encore fous Charles le Chauve, celles de faint Germain de Paris, de faint Germain d'Auxerre, de Corbie: celle de Reims fous Hincmar & fes fucceffeurs, celle de Lion dans le même tems. Les Normans défolerent enfuite toutes les provinces maritimes de France, & les études fe conferverent dans les églifes & les monafteres les plus reculez vers la Meufe, le Rhin, le Danube & au delà : dans la Saxe & le fonds de l'Allemagne, où les études fleurirent fous le regne des Ottons. En France l'école de Reims fe foûtenoit, comme on voit par Frodoard & Gerbert, & j'efpere en montrer un jour la fuite jufques aux com mencemens de l'Univerfité de Paris.

44.

XXII.

La plupart des écoles étoient dans les monafteres, & les cathedrales Monafteres, mêmes étoient fervies par des moines en certains païs, comme en Angleterre & en Allemagne. Les chanoines, dont l'inftitution commença hift. liv. XL111. au milieu du huitiéme fiecle par la regle de faint Chrodegang, menoient prefque la vie monaftique, & leurs maifons s'appelloient auffi monaf

#.37.

teres. Of je compte les monafteres entre les principaux moyens dont la providence s'eft fervie, pour conferver la religion dans les tems les plus miferables. C'étoit des afiles pour la doctrine & la pieté, tandis que l'ignorance, le vice, la barbarie inondoient le refte du monde. On y fuivoit l'ancienne tradition, foit pour la celebration des divins offices, foit, pour la pratique des vertus chrétiennes: dont les jeunes voyoient les exemples vivans dans les anciens. On y gardoit des livres de plufieurs fiecles, & on en écrivoit de nouveaux exemplaires, c'étoit une des occupations des moines; & il ne nous refteroit guéres de livres fans les biblioteques des monasteres.

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Le lecteur fenfé ne peut être trop fur fes gardes contre les préventions des proteftans & des catholiques libertins, au fujet de la profeffion monaftique. Il femble chez ces fortes de gens que le nom de moine foit un titre pour méprifer ceux qui le portent, & un reproche fuffifant contre leurs bonnes qualitez. Ainfi chez les anciens payens le nom de Tertull: apolo Chrétiens décrioit toutes les vertus. C'eft un honnête homme, difoit-on, c'est dommage qu'il eft chrétien. On fe fait une idée generale d'un moine comme d'un homme ignorant, credule, fuperftitieux, interreffé, hypocrite; & fur cette fauffe idée on juge hardiment des plus grands hommes, on dédaigne de lire leurs vies & leurs écrits, on interprete malignement leurs plus belles actions. Saint Gregoire étoit un grand pape, mais c'étoit un moine : les premiers qu'il envoya prêcher la foi aux Anglois étoient des hommes apoftoliques; c'eft dommage qu'ils fuffent moines. Vous qui avez vû dans cette hiftoire leur conduite & leur doctrine, jugez par vous-mêmes de l'opinion que vous en devez avoir; fouvenez-vous de ce que j'ai rapporté de faint Antoine & des autres moines d'Egypte; fouvenez-vous que faint Bafile & faint Jean Chrifoftome ont loué & pratiqué la vie monaftique ; & voyez fi c'étoit des efprits foibles.

n

Je fai que dans tous les tems il y a eu de mauvais moines, comme de mauvais Chrétiens : c'eft le défaut de l'humanité & non de la pro- Hift. liv. XLV. feffion: auffi de tems en tems Dieu a fufcité de grands hommes pour » 37. relever l'état monaftique, comme dans le neuviéme fiecle faint Benoît d'Aniane, & dans le dixiéme les premiers abbez de Clugni. C'eft de cette fainte congregation que font forties les plus grandes lumieres de l'églife pendant deux cens ans : c'étoit là que fleurifoient la pieté & les études. Que fi elles n'étoient pas telles que 500. ans auparavant : fi ces bons moines ne parloient pas latin comme faint Cyprien & faint Jerôme, s'ils ne raisonnoient pas auffi jufte que faint Auguftin: ce n'eft pas par ce qu'ils étoient moines, c'est parce qu'ils vivoient au dixiéme ficcle. Mais trouvez d'autres hommes plus habiles du même tems. J'avoue toutefois que les moines les plus parfaits de ces derniers tems, l'étoient moins que les premiers moines d'Egypte & de Paleftine, & j'en trouve deux caufes, la richeffe & les études. Les premiers n'étoient pas feulement pauvres en particulier mais en commun: ils habitoient non pas des forêts que l'on peut defricher, mais des deferts de fables arides;

où ils bâtiffoient eux-mêmes de pauvres cabanes, & vivoient du travail de leurs mains, c'est-à-dire des nattes & des paniers qu'ils portoient vendre aux prochaines habitations. Voyez ce que j'en ai dit en fon lieu fur le rapHift.l.xx.n. 8: port de Caffien & des autres. Ainfi ils avoient trouvé le fecret d'éviter les inconveniens de la richeffe & de la mendicité, de ne dependre de perfonne & ne demander rien à perfonne.

#. SI.

Nos moines de Clugni étoient pauvres en particulier, mais riches en commun: ils avoient comme tous les moines depuis plufieurs ficcles, non feulement des terres & des beftiaux, mais des vaflaux & des ferfs. Le pretexte du bien de la communauté eft une des plus fubtiles illufions de l'amour propre. Si faint Odon & faint Mayeul euffent refufé une partie des grands biens qu'on leur offroit, l'églife en eut été plus édifiée, & leurs fucceffeurs euffent regardé plus long-tems la regularité. S. Hift. liv. LVII. Nil de Calabre eft de tous ceux de ce tems-là, celui qui me femble avoir mieux compris l'importance de la pauvreté monaftique. En effet les grands revenus engagent à de grands foins, & attirent des differends avec les voifins qui obligent à folliciter des juges & à chercher la protection des puiffances, fouvent jufques à ufer de complaifance & de flaterie. Les fuperieurs & les procureurs qui travaillent fous leurs ordres font plus chargez d'affaires que de fimples peres de famille, on doit faire part à la communauté des affaires au moins les plus importantes : ainfi plusieurs retombent dans les embaras du fiecle aufquels ils avoient renoncé : fur tout les fuperieurs, qui devroient être les plus interieurs & les plus fpirituels de tous.

D'ailleurs les grandes richeffes attirent la tentation des grandes dépenfes. Il faut batir une églife magnifique, l'orner & la meubler richement, Dieu en fera plus honoré : il faut bâtir les lieux reguliers, donner aux moines toutes les commoditez pour l'exactitude de l'obfervance, & ces bâtimens doivent être fpatieux & folides pour une communauté nombreufe & perpetuelle. Cependant l'humilité en fouffre, il eft naturel que tout cet exterieur groffiffe l'idée que chaque moine fe forme de foi-même ; & un jeune homme, qui fe voit tout d'un coup fuperbement logé, qui fait qu'il a part à un revenu immenfe, & qui voit audeffous de lui plufieurs autres hommes: eft bien tenté de fe voir plus grand, que quand Chr. Caff. lib. il étoit dans le monde fimple particulier & peut-être de baffe naiflance. Quand je me reprefente l'abbé Didier occupé pendant cinq ans à bâtir fomptueufement l'églife du mont Caffin, faifant venir pour l'orner des colomnes & des marbres de Rome & des ouvriers de C. P. & que d'un autre côté je me reprefente faint Pacome fous fes cabanes de Rofeaux, tout occupé de prier & de former l'interieur de fes moines; il me femble que ce dernier alloit plus droit au but, & que Dieu étoit plus honoré

13. 6. 28. 29.

chez lui.

Les études firent encore une grande difference entre ces anciens moines & les modernes. Les anciens n'étudioient uniquement que la morale chrétienne, par la méditation continuelle de l'écriture, & la pratique de toutes les vertus. Du refte c'étoit de fimples laïques, dont plufieurs

ne favoient pas lire. Nos moines d'Occident étoient clercs pour laplûpart dés le feptiéme fiecle, & par confequent lettrez; & l'ignorance des laïques obligeoit les clercs à embraffer toutes fortes d'études. Les premiers abbez de Clugni furent des plus favans hommes de leur tems; & leur fçavoir les faifoit rechercher par les évêques & les papes, & même par les princes: tout le monde les confultoit, & ils ne pouvoient fe difpenfer de prendre part aux plus grandes affaires de l'églife & de l'état. L'ordre en profitoit, les biens augmentoient, les monafteres fe multiplioient : mais la regularité en fouffroit, & des abbez fi occupez au dehors, ne pouvoient avoir la même application pour le dedans, que faint Antoine & faint Pacôme, qui n'avoient point d'autres affaires & ne quittoient jamais leurs folitudes.

D'ailleurs l'étude nuifoit au travail des mains, pour lequel on ne trouvoit plus de tems: principalement depuis que les moines eurent ajoûté au grand office ceux de la Vierge & des morts, & un grand nombre de pfeaumes audelà. Or le travail eft plus propre que l'étude à conferver l'humilité; & quand on retranche la plus grande partie des fept heures de travail ordonnées par la regle de faint Benoît, ce n'eft plus proprement la pratiquer : c'eft peut-être une bonne obfervance, mais non pas la même.

Confuet Chuns lib. 1. c. 2.3.30. bift. liv. xxxix.

Reg. c. 48.

n. 15.

XXIII,
Ceremonies,

Ce fut auffi dans les monafteres que l'on conferva le plus fidelement les ceremonies de la religion, qui font un des principaux moyens dont Dieu s'eft-fervi pour la perpetuer dans tous les tems: parce que ce font des preuves fenfibles de la créance, comme il eft marqué expreffe- Deuter. VI, 20, ment dans l'écriture. La celebration des fêtes de Noël & de Pâques avertiront toûjours les hommes les plus groffiers, que J. C. eft né pour nôtre falut, qu'il eft mort & reffufcité. Tant que l'on baptifera au nom du Pere, & du Fils & du faint Efprit, on profeffera la foi de la Trinité; tant que l'on celebrera la meffe, on déclarera que l'on croit le myftere de l'Euchariftie. Les formules des prieres font autant de profeffions de foi fur la matiere de la grace, comme faint Auguftin l'a fi bien montré. La pfalmodie & les lectures dont l'office de l'églife eft compofé, engagent neceffairement à conferver les faintes écritures, & à dre la langue dans laquelle on les lit publiquement, depuis qu'elle a ceffé d'être vulgaire. Auffi eft-il bien certain que c'eft la religion qui a confervé la connoiffance des langues mortes. On le voit par l'Afrique, où le latin eft absolument inconnu, quoique du tems de faint Auguftin on l'y parlât comme dans l'Italie. C'eft donc par un effet de la providence, que le refpe& de la religion a fait conferver les langues antiques : autrement nous aurions perdu les originaux de l'écriture fainte & de tous les anciens auteurs, & nous ne pourrions plus connoître fi les versions font fideles.

apren

Les ceremonies fervent encore à empêcher les nouveautez, contre lefquelles elles font des proteftations publiques, qui du moins arrêtent la prefcription, & nous avertiffent des faintes pratiques de l'antiquité. Ainfi l'office de la feptuagefime nous montre comment nous devrions

XXIV.

de la foi.

Hift liv.xxxvI. 3.1.2.40.

nous preparer au carême, la ceremonie des cendres nous reprefente l'impofition de la penitence, l'office entier du carême nous inftruit du foin avec lequel on difpofoit les catechumenes au baptême, & les penitens à l'abfolution. Les vepres que l'on avance, nous font fouvenir que l'on a avancé le repas, & que l'on devroit jeûner jufques au foir: enfin l'office du famedi faint, porte encore les marques d'un office deftiné à occuper faintement la nuit de la refurrection. Si on avoit aboli ces formules, nous ignorerions la ferveur des anciens Chrétiens, capables de nous caufer une falutaire confufion. Et qui fait, fi dans un tems plus heureux l'église n'établira point ces faintes pratiques.

Las premiers auteurs qui ont écrit fur les ceremonies de la religion, ont vécu dans les ficcles que je parcours : mais ils en parlent tous comme les reconnoiffant pour trés anciennes, & fi de leur tems il s'en étoit introduit quelque nouvelle, ils ne manquent pas de l'obferver. Ils donnent aux cere. monies des fignifications myftiques, dont chacun peut juger comme il lui plaît: mais du moins ils nous affurent les faits; & nous ne pouvons douter que l'on pratiquât de leurs tems ce dont ils prétendent nous rendre raifon. C'eft à mon avis le plus grand ufage de ces auteurs. Au refte vous avez vû dans les fix premiers fiecles des preuves de nos ceremonies, au moins des plus effentielles.

Enfin ces fiecles moyens ont eu leurs apôtres, qui ont fondé de nouProrogation velles églifes chez les infideles aux dépens de leur fang; & ces apôtres ont été des moines. Je compte pour les premiers faint Augustin d'Angleterre & fes compagnons envoyez par faint Gregoire : qui bien qu'ils n'ayent pas fouffert le martyre en ont eu le merite, par le courage, avec lequel ils s'y font expofez au milieu d'une nation encore barbare. Rien n'eft plus édifiant que l'hiftoire de cette église naiffante, que Bede nous a confervée ; & où l'on voit des vertus & des miracles dignes des premiers fiecles. Auffi peut-on dire que chaque tems a eu fa primitive églife. Celle d'Angleterre fut la fource feconde de celle du Nord: les Anglois Saxons devenus Chrétiens, eurent compaffion de leurs freres les anciens Saxons demeurez en Germanie & encore idolâtres ; & ils entreprirent avec un grand zele, de porter en ce vafte pais la lumiere de l'évangile. Delà vint la miffion de faint Villebrod en Frife, & celle de faint Boniface en Allemagne.

Il est étonnant que pendant fept cens ans tant de faints évêques, de Cologne, de Treves, de Mayence & des autres villes des Gaules voifines de la Germanie, n'ayent point entrepris de convertir les peuples d'au delà du Rhin. Ils y voyoient fans doute des difficultez infurmontables, foit par la difference de la langue : foit par la ferocité de ces. Maurs Chret, peuples trop éloignez de la douceur du chriftianifme, comme j'ai tâché de montrer ailleurs. Mais fans vouloir penetrer les deffeins de Dieu, il eft certain qu'il ne lui a plû de fe faire connoître à ces nations Germaniques que vers le milieu du huitiéme fiecle ; & qu'en cela même il leur a fait bien plus de graces qu'aux Indiens & aux autres, qu'il a laiffées jufques ici dans les tenebres de l'idolâtrie. Or je trou

n. 57.

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