HISTORIQUE D'ÉDUCATION, Où, fans donner de préceptes, on fe propofe d'exercer NOUVELLE Qui a été revue EDITION, corrigée & augmentée d'un grand nombre Par M. FILLASSIER, des Académies royales d'Arras, Longum per præcepta, breve per exemplum iter. 2 vol. in-8°. rel. 12 liv. TOME SECON D. A PARIS, Chez MEQUIGNON l'aîné, Libraire, rue des Cordeliers, M. DCC. LXXXI V. AVEC APPROBATION, ET PRIVILEGE DU ROI. I. HABITUDE. PLATON, voyant un jeune-homme occupé à jouer, lui en fit des reproches très-vifs: » Je ne joue qu'un » très-petit jeu,lui répondit le jeune-homme. Eh! » comptez-vous pour rien, répliqua le fage, l'habitude » du jeu que vous contractez par-là? « 2. Le comte de Grammont, étant encore fort jeune, étoit en voyage avec fon gouverneur, pour fe rendre à l'armée de Piémont. Il defcendit à Lyon dans une auberge. Le gouverneur, qui appréhendoit que fon élève ne trouvât quelque fujet de diffipation qui l'arrêtat trop long-tems, vouloit le faire fouper dans une chambre; mais le comte infifta à manger en compagnie. En pleine auberge ! s'écria le rigide Mentor. » Eh! monfieur, vous n'y penfez pas; ils font une » douzaine de baragouineurs à jouer aux cartes & aux » dés, qui font un bruit de diable. « A ces mots de cartes & de dés, dit le comte, qui rapporte lui-même fon aventure fentis mon argent pétiller. Je defcendis, & fus un peu furpris de trouver la falle où l'on mangeoit, remplie de figures extraordinaires. Mon Tome II. , je A que pour en hôte, après m'avoir présenté, m'assura qu'il n'y auroit que dix-huit ou vingt de ces meffieurs qui auroient l'honneur de manger avec moi. Je m'approchai d'une table où l'on jouoit, & je penfai mourir de rire. Je m'étois attendu à trouver bonne compagnie & gros jeu ; & c'étoient deux Allemands qui jouoient au trictrac. Jamais chevaux de carroffe n'ont joué comme ils faifoient; mais leur figure fur-tout paffoit l'imagination. Celui auprès duquel je me trouvois, étoit un petit ragot, graffouillet & rond comme une boule. II avoit une fraife, avec un chapeau pointu haut d'une aune. Non, il n'y a perfonne qui, d'un peu loin, ne l'eût pris pour le dôme de quelque églife avec un clocher deffus. Je demandai à l'hôte ce que c'étoit? » Un mar» chand de Bafle, me dit-il, qui vient vendre ici des » chevaux; mais je crois qu'il n'en vendra guèr s de » la manière qu'il s'y prend ; car il ne fait que jouer. »-Joue-t-il gros jeu? lui dis-je. -Non pas à préfent répondit-il; ce n'eft leur écot » attendant le fouper. Mais, quand on peut tenir le petit » marchand en particulier, il joue beau jeu. — A-t-il de » l'argent? lui dis-je. -Oh! oh! dit le perfide Cerize, » (c'étoit le nom de l'aubergifte) plut à Dieu que vous » lui euffiez gagné mille piftoles, & moi en être de moi» tié! nous ne ferions pas long-tems à les attendre. «< Il ne m'en fallut pas davantage pour méditer la ruine du chapeau pointu. Je me remis auprès de lui pour l'étudier. Il jouoit tout de travers: écoles fur écoles, Dieu fait! Je commençois à me fentir quelques remords fur l'argent que je devois gagner à une petite citrouille, qui en favoit fi peu. Il perdit fon écot: on fervit, & je le fis mettre auprès de moi. C'étoit une table de réfectoire où nous étions pour le moins vingt-cinq, malgré la promeffe de mon hôte. Le plus mauvais repas fini, toute cette cohue fe diffipa, je ne fais comment, à la réserve du petit Suiffe qui fe tint auprès de moi, & de l'hôte qui vint fe mettre de l'autre côté. Ils fumoient comme des dragons, & le Suiffe me difoit de tems en tems: » De» mande pardon à monfieur de la liberté grande; « là-deffus il m'envoyoit des bouffées de tabac à m'étouffer. Cerize, " |