fut alors que Frontazini déploya fon éloquence il ne tint pas à lui que les fpectateurs ne viffent fur mes traits, encore informes, tout ce que mon père y avoit déja vu par les yeux de la foi. Les perfonnes, non prévenues, fortirent en difant tout bas, cet enfant n'aura rien à reprocher à fes frères, la nature ne paroît pas avoir ici varié fes productions; Monfieur Zapata eft une dupe, & Frontazini un frippon.

Certain antiquaire, auffi fingulier dans fon genre que mon père l'étoit dans le fien, avoit été choisi pour me tenir fur les Fonds de Baptême; & la marraine étoit une femme qui, avec des prétentions au bel efprit, avoit encore le ridicule de détefter tout ce qui n'émanoit pas de la Capitale : ce ne fut qu'après les inftances les plus vives qu'on parvint à la réfoudre à me préfenter à l'Eglife; elle s'imaginoit que c'auroit été choquer fes prin-. cipes que d'être la marraine d'un enfant fait en province. On peut croire que ces deux perfonnages contraftoient fingulièrement avec lés autres.

Frontazini m'ayant annoncé comme devant être un grand homme, & Monfieur Ducoin, mon parrain, ne connoiffant de grands hommes que ceux qui avoient vêcu dans les fiècles éloignés, il cherchoit dans mes traits, avec beaucoup d'attention, quelque reffemblance avec les anciens dont il poffédoit les effigies. Il apportoit donc chaque jour des médailles, & cherchoit gravement les rapports qu'elles pouvoient avoir avec ma phyfionomie. Il croyoit avoir réuffi”, mais à chaque inftant l'illufion fe diffipoit; les plus légères circonftances renversoient fés conjectures; dans un inftant j'avois quelque reffemblance avec Alexandre, le moment d'après on me donnoit le profil de Socrate: j'ai eu pendant douze heures les traits de Lucien, qui furent éclipfés par la gravité de Caton. Enfin, fi l'on en croit mon père, Monfieur Ducoin, & fur-tout Frontazini, fourbe adroit qui favoit fe plier à tout, mon visage durant les premiers mois de mon enfance, donna fucceffivement une efquiffe des portraits des hommes célèbres dont l'antiquité fe glorifie.

Il n'en falloit pas autant pour faire toffner la tête à mon père; auffi dès-lors futil regardé comme un homme chez lequel le cerveau faifoit ntal fes fonctions. Il devint, en peu de jours, la fable de la ville, & notre famille fut regardée comme beaucoup d'autres, que l'on trouve d'efpace en efpace fur la furface du Globe, qui apprêtent à rire à leurs voifins, & que l'on nomme familles originales.

Ma mère, la plus tendre des mères, méritoit bien d'être exceptée. Les foins qu'elle prit de moi, les pleurs qu'elle répandit fur les ridicules de fon époux, auroient dû obtenir grace au tribunal du public, fi ce tribunal étoit toujours jufte: mais la malignité, humaine, cherche tout ce qui peut l'exercer, elle s'y attache, & ronge avec une fatisfaction cruelle les objets qui, le plus fouvent, méritent des égards. On fit courir des Vaudevilles contre les Zapata, dans lesquels Frontazini n'étoit pas épargné, & c'est ce que les méchans firent de mieux. Mon père fe fit chanter les couplets & rit beaucoup;

les chagrins de fa femme augmentèrent ; Frontazini n'ep devint en apparence ni plus gai ni plus trifte, mais en fourbe habile il crut qu'il étoit temps de quitter la fcène.

CHAPITRE III.

Converfation entre Paul Zapata & le Docteur Frontazini. Départ du Dodeur.

Q

Ue dites-vous, Docteur, de la rage des envieux, & de leur acharnement contre moi? dit un jour Paul Zapata, au Charlatan qui le jouoit; je réponds, dit celuici, que leurs mauvaises plaifanteries doivent de plus en plus vous réjouir. Si les plus grands hommes furent perfécutés àproportion de ce qu'ils s'annoncèrent prématurément, qu'il est beau, Seigneur Zapata, de voir votre fils attaqué dès fon berceau ! Vous devez être ravi, que non fatisfaits des efforts que font vos ennemis pour obfcurcir les rayons qui doivent les éblouir un jour, ils dirigent encore leurs traits fur vous.—~~ Je n'en fuis pas faché, & la joie que je manifefte en est une preuve éclatante. C'est moi que le public paroit attaquer avec