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CHAPITRE XIX..

Wifite que fait Zapata au Philofophe Bon-accord. Longue conférence. Tous les hommes: font bons.

Vous avez des préjugés qui pourroient

vous faire beaucoup de tort parmi

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les honnêtes - gens, me dit un jour M... Glainville, & il eft de la dernière impor tance de les détruire. Par tout ce que vous m'avez dit, je conçois que la manière dont vous voyez les choses provient de certaines idées fauffes que l'on vous a donné fur des objets qu'il eft cependant effentiel de bien faifir. Je pourrois combattre ces idées par des raifonnemens très-fenfés, & encore en: vous indiquant certains livres bien capables de vous éclairer l'efprit & le cœur fur tous les points où vous êtes dans l'erreur; mais cette méthode de former les jeunes gens,.,

étoit bonne autrefois; on a tout changé & particuliérement l'inftruction de la jeuneffe. Au lieu de ces longues differtations que l'on employoit pour inftruire, on parle aux yeux par des exemples frappans. Les Livres ont toujours raifon; parce que le lecteur, s'il n'eft pas du fentiment de l'auteur ne peut pas toujours le lui dire; je vous ferai voir les hommes qu'on eft convenu de regarder comme de grands Philofophes, des hommes qui à la vérité font quelquefois des livres, mais qui valent beaucoup mieux que leurs ouvrages, pour un jeune homme qui vent les entendre, leur propofer fes doutes & en avoir la folution. Vous verrez avec quelle aifance, quelle fagacité ils vous enfeigneront ce que vous devez admettre on rejeter dans vos principes. J'ai cru m'appercevoir, continua M. Grainville, que vos idées fur la fociété étoient de beaucoup trop étroites: nous irons demain chez un de ces hommes merveilleux dont je voulois vous parler, & ce fera d'après lui que vous connoîtrez exactement ce que vous devez admettre ou rejeter à ce fujet.

Je trouvai cette nouvelle méthode de former la jeuneffe affez de mon goût, & il me tardoit d'être aux prifes avec mes profesfeurs, quoique j'euffe d'ailleurs peu de propenfion pour la difpute. M. Glainville m'avoit promis qu'afin qu'il ne me reftât aucun doute fur ce qui devoit être décidé, il prétendoit faire une partie des objections, pour donner plus de poids aux décifions.

Le Philofophe chez qui je fus conduit le lendemain, avoit été prévenu fur le caractère & fur les préjugés de celui qu'on devoit lui préfenter. Nous y fûmes reçus avec toutes les démonftrations de l'amitié la plus. fincère. M. Bon-accord avoit l'air prévenant, les manières affables. Il étoit environné de plufieurs perfonnes lorfqu'on lui annonça la vifite de M. Glainville; il vint lui-même nous faire des excufes de ce qu'il étoit obligé de faire attendre fes denx bons amis, & durant une demi-heure qu'il refta: encore avec fa compagnie, il revint deux. fois nous faire de nouvelles excuses.

Comme l'on eft trompé dans le monde,

dis - je à M. Glainville; on m'avoit peint les Philofophes comme des Ours ! Vous voyez, répondit-il; à peine avez-vous mis le pied chez un Philofophe que vos yeux commancent à s'ouvrir à la lumière; vous vous appercevez que le monde peut tromper courage, mon ami, vous promettez trop pour vous laiffer en fi bon chemin.

Dès que nous fumes admis dans le cabinet du Philofophe, M. Glainville exposa les petites idées de fon néophite fur la fociété. M. Zapata, ajouta-t'il en finiffant, eft né avec de bonnes qualités, qui ont été étouffées par les préjugés, mais il ne demande qu'à s'inftruire.

Rien de mieux, s'écria M. Bon-accord, en m'embraffant avec affection. On m'a dit, continua-t'il, qu'entraîné par je ne fais quelles fauffes notions de morale, vous prétendez, par votre exemple, rompre tous les liens qui doivent unir les hommes comme autant de frères; parlez, jeune homme ! Ce n'eft pas tout-à-fait cela, répondis-. je que je voulois foutenir : on m'a dit que prefque

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prefque tous les hommes étoient faux, méchans, pervers, que par conféquent on devoit fuir la fociété, à moins que l'on ne trouve un véritable ami avec lequel on puiffe vivre heureux en regardant les autres kommes avec compaffion.

Vos idées font affez compliquées, reprit le Philofophe, mais avec les lumières d'une philofophie à laquelle vous ne pourrez réfifter, nous allons tout applanir.

On vous démontre, dites votis, que prefque tous les hommes font faux, méchans, pervers; vous en concluez qu'il faut fuir la fociété, ou qu'il faut faire tous fes efforts pour rencontrer un homme qu'on appellera fon ami, & avec lequel on fe moquera du genre humain. Je combats votre première propofition, parce qu'étant anéan fie, les autres le font également.

Les hommes font-ils faux, méchans pervers? Oui, & non; cela dépendra du point de vue fous lequel vous voudrez les regarder; mais comme j'ai fait une longue étude de la maniere de confiderer les obje J. Partie.

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