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Soins de Paul Zapata pour l'éducation de Rigobert. Voyage en Angleterre. Singularités de M. Poock.

Cependant, malgré toutes les précau

tions de mon père, j'avois quitté le fein maternel; je commençois à parler, à marcher, fans que, d'autres que lui viffent, dans mon individu., les merveilles qui devoient déjà s'y manifefter. Sur le bruit que faifoient fes extravagances, ou plutôt fa sotte crédulité, il recevoit, de temps en temps, la vifite de certains fournois, mauvais plaifans de la plus maligne efpèce, auxquels chaque fois il apprêtoit à rire. Ils flattoient les ridicules de mon père avec tant d'adreffe qu'ils avoient obtenu fa confiance. l'ouvrois. la bouche, l'oracle alloit parler. M'échappoit-il un mot au hazard, c'étoit le réfultat

de vingt combinaisons furprenantes à mon âge. Ne difois-je mot, tête penfante Is'écrioit l'un avec chaleur; il m'étonne, ajoutoit froi dement un fecond; & leur admiration fe terminoit toujours par féliciter mon père du bonheur qu'il avoit fu fe procurer..

Les regards malins & compofés de ceux qui m'approchoient, leurs acclamations fingulières, ajoutoient encore à une timidité naturelle, ou fi l'on veut, à une forte d'imbécillité dont toutes mes actions portoient l'empreinte. Néanmoins je n'étois pas dupe des louanges, & ceux qui me les prodi guoient étoient ceux que j'aimois le moins J'aurois dû, par cette raifon, chérir mes frères & fœurs qui, dès que mon père étoit abfent, s'acharnoient à me lutiner; mais leurs mauvais traitemens m'irritoient. Animés. par la jaloufie, ils cherchoient à fe venger de l'indifférence qu'on leur témoignoit, & de la préférence qui m'étoit accordée..

Je ne fais fi cette antipathie que mon père remarqua entre fes enfans lui fit une vive impreffion, ou s'il défefpéra de conduire à

bien mon éducation tant que je ferois au milieu de ma famille; ou fi le filence de Frontazini, dont il n'avoit pu fe procurer aucune nouvelle, l'inquiétoit; mais après avoir paru fort agité durant quelques jours, il déclara à ma mère qu'il avoit deffein de me confier à quelqu'un qui fe chargeroit, & fuivant fes principes, de veiller à mon édu cation. Il ne communiqua même à perfonne le lieu où il devoit me conduire, & ayant mis ordre à fes affaires, nous partîmes en dirigeant notre route vers un port de mer où l'on pouvoit s'embarquer pour l'Angleterre. C'étoit effectivement chez les Anglois que Paul Zapata avoit deffein de me conduire. Mais il eft à propos que l'on fache ce qui F'avoit déterminé à faire ce voyage.

Quoique le filence de Frontazini dût beaucoup l'inquiéter, trop aveuglé pour croire que cet homme fût un Charlatan, & comptant toujours fur fon précieux Recueil; il n'avoit rien rabattu des idées avantageufes qu'il avoit de moi. Il crut feulement qu'il étoit néceffaire que je fuffe éloigné de mes

parens, dont les tracafferies continuelles commençoient à le fatiguer. Il s'agiffoit de trouver un homme en état d'apprécier le but vers lequel je paroîtrois me diriger; il falloit de plus que cet homme, (& voilà ce qu'il y avoit de difficile) eut. la même crédulité que mon père pour les promeffes éblouiffantes de Frontazini.

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Un homme merveilleux faifoit alors beaucoup de bruit dans une province de l'Angleterre; & néanmoins cet homme, par luimême ne devoit pas en faire beaucoup, car il ne difoit au plus que fix paroles en huit jours mais la renommée s'opiniâtroit à le favorifer, & il jouiffoit d'une réputation étonnante pour une forte d'éducation qu'il donnoit aux enfans qui lui étoient confiés. C'étoit à ce Philofophe taciturne que l'on me conduifoit; mon père fur tout ce qu'on lui avoit dit touchant M. Poock, (c'eft le nom du perfonnage) le regardoit comme le fenl homme capable de feconder toutes fes vues.

Que l'on ne fcit pas furpris de ce que Paul Zapata s'étoit ainfi réfout à m'expatrier;

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il avoit tant de fois entendu déclamer contre l'éducation françoife, que s'il n'eut pas trouvé ce qu'il croyoit convenir chez les Anglois, il m'eut été peut-être chercher des Précepteurs chez les Hurons ou les Topinambours, plutôt que de me laiffer conduire par fes compatriotes.

Ce ne fut pas fans étonnement, que, dans le Paquebot qui nous conduifit à Douvres, mon père obferva qu'il étoit le feul qui conduifit un enfant en Angleterre pour être fous les yeux de M. Poock. Il s'étoit imaginé que chacun devoit s'empreffer à procurer l'éducation Angloise à fes enfans depuis que l'on favoit qu'il y avoit un homme auff habile. Voilà bien nos François, difoit-il; ils veulent tout faire chez eux; quelle préfomption ridicule ! Je fuis le feul qui vais rendre juffice aux talens de M. Poock; je vais réparer l'injure que ma nation fait à un grand homme..

Pendant la traversée mon père entretenoit les paffagers de tout ce qui me concernoit heureufement pour lui, le petit vaif

fean

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