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Je n'en fais rien; mais je fais parfaitement que de s'affliger fans néceffité eft un trèsgrand mal. .. Vous m'affurez donc que

demain je verrai Arlequin ? L'inconnu ayant fatisfait ma curiofité, me fit à fon tour quelques queftions auxquelles je répondis avec d'autant plus de complaifance qu'il répondoit aux miennes.

En terminant notre converfation, il m'invita à aller le voir le lendemain: nouvellement à Paris, me dit-il, vous paroiffez avoirBefoin d'inftructions fur plufieurs objets, & je veux abfolument faire votre connoiffance: je vous attends ; je promets de répondre à toutes vos queftions, ajouta-t'il en fouriant; & nous viendrons à la Comédie, où vous verrez le cher Arlequin.

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CHAPITRE X.

Belles réflexions de Rigobert Zapata fur ce qu'il a vu.

DE

E retour chez moi, je tâchai de rappeller mes idées, afin de me rendre raifon de ce qui m'avoit le plus frappé durant la journée. Je repaffai donc les événemens, & je m'efforçois d'en découvrir les motifs.

peu

Pourquoi, me difais-je, y avoit-t'il fi de monde à la Comédie le jour qu'on devoit s'y réjouir, & au contraire une fi grande affluence lorsqu'il falloit y pleurer? Apparemment que les habitans de cette ville font de tous les hommes les plus heureux: ils ne cherchent point à donner de l'argent pour qu'on les faffe rire, parce qu'ils rient pour rien & prefque toujours; c'eft fans doute pour varier leur manière d'exifter qu'ils viennent prendre du chagrin à la Co

médie. Par la même raifon, ceux qui vont voir Arlequin font des infortunés qui vont au spectable pour faire diverfion à leurs peines... . . . Moi, cependant, je ne fuis pas malheureux, du moins je ne m'en apperçois pas, ce qui revient au même; pourquoi donc eft-ce que j'aime beaucoup mieux rire que pleurer ? Cet honnête homme que j'irai voir demain, me paroît auffi avoir le même goût; ceux qui tantôt ont répandu tant de larmes en favourant des paroles que je n'entendois même pas, ne me paroiffoient guère y être difpofés un inftant avant; ils paroiffoient au contraire avoir beaucoup de difpofition à la gaieté: par quel enchantement, un morceau de mufique, des fanglots, des Actrices fatiguées de crier qui s'endorment, ont-ils métamorphofé toutes les perfonnes qui les écoutoient !

D'après ces réflexions, je me croyois en droit de conclure que chaque fpectateur étoit un inftrument délicat, fur lequel les Acteurs pouvoient toucher les airs qui leur plaifoient, & que l'inftrument étoit affez fen

fible pour s'affecter..... Mais je me perdois dans ma conclufion, lorfque je me rappellois que les perfonnes que j'avois vu la veille au fpectacle, c'est-à-dire, le jour que l'on y devoit rire, n'étoient pas les mêmes. qui étoient venu s'affliger avec tant de do-cilité..... De-là, je décidois que les ha bitans de Paris, ainfi que par-tout ailleurs, étoient divifés en deux claffes, relativement à leurs inclinations l'une de ces claffes cherche à rire & apparemment en a fujet, tandis que l'autre doit avoir, des raifons pour s'affliger. Au refte, concluai-je judicieufe ment, je fuis pour la joie, & fi l'honnête homme, qui m'a parlé eft de mon sentiment, comme j'ai tout lieu de le croire, nous laif ferons pleurer tout à fon aife la partie trifte des hommes, & nous ne rechercherons que celle qui rit, ou qui fait rire. La joie eft l'ame de la fanté; la trifteffe, au contraire', la détruit M. Poock a fait dire cela cent fois par fon interprête, & je fuis perfuadé que M. Poock avoit raison.

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L'imagination empreinte de ces idées,

j'attendis le jour avec beaucoup, d'impatience, tant j'avois envie de joindre M. d'Or-· feuille, & d'en tirer les éclairciffemens qui i me manquoient. Cet homme avoit gagné ma confiance, par les manières douces & affa→ bles qui avoient fuccédées à fon premier abord. Il m'avoit appellé fon ami plufieurs fois, fans que fes difcours euffent rien qui pû me mortifier.... J'avois obfervé dans le peu de perfonnes que j'avois eu occafion devoir depuis mon arrivée, que le mot d'ami «que l'on prodigue à chaque inftant, ne m'a-. voit jamais été adreffé qu'il n'eut été fuivi de quelque chofe de mortifiant ; & je redou-. tois ce mot facré comme l'on craint une.. injure. M. d'Orfeuille fut le premier qui remplit avec moi tous les engagemens auxquels le titre d'ami nous lie, lorfqu'une fois an homme a dit à un autre, je fuis votre ami

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