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CHAPITRE IV.

Suite des confeils. Comment on doit perfuader que l'on peut beaucoup auprès de fes proteceurs.

Es petits vers adreffés avec familiarité, continua M. des Roches, en fuppofent toujours beaucoup entre le Poëte & celui qu'il célèbre, & dès-lors vous êtes regardé vous-même comme un homme important. Vos oreilles feront rebattues de louanges, où l'on vous dira que vous favez réunir l'éloquence de celui-ci, l'agréable badinage de celui-là; on finit par vous demander de la protection auprès des hommes en place.

Gardez-vous bien de faire entendre que vous n'avez aucun crédit, quand même ce feroit la vérité; vous perdriez votre réputation. Il faut au contraire paroître vouloir

obliger

obliger tout le monde; contracter cet air de chaleur & d'aifance qui ne laiffe aucua doute à ceux qui réclament notre crédit, fur la facilité que nous avons à leur faire obtenir ce qu'ils demandent.

Vous paroiffez inquiet de favoir comment il eft poffible de fe conferver longtemps dans cette fituation critique? Cela, en effet, doit paroître difficile à un homme fans expérience; mais vous n'auriez pas vu trois mois un certain monde, que vous deviendriez auffi habile que beaucoup d'autres fur un point auffi effentiel. Je peux vous montrer tel homme, qui, depuis quatre ans, tient en haleine une perfonne fur un fervice qu'il doit lui rendre, & qui néanmoins ne confifte qu'à parler à un homme en place qu'il voit tous les jours; ce qu'il n'a pas encore fait, & ce que probablement il ne fera ja

mais.

Vous paroiffez étonné; oh! mon ami vous êtes encore jeune ; vous ignorez l'art délicat de favoir enchaîner les circonftances, les événemens; le moment opportun II. Partie,

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que l'on doit choifir, &c. &c. Hier, Monfieur, un tel partit pour fa terre.

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J'allois précisément pour lui parler de votre affaire; en vérité, je fuis honteux ! j'irai le trouver. Vous y allez. Eh bien ! vous voilà de retour; vous croyez être embarrassé : point du tout, c'eft Monfieur un tel qui l'étoit; environné d'importuns qui l'obfédent, & dont il n'a pu trop fe défaire. ... · parce que ce font des gens. des perfonnes même de confidération. Vous y retournez un tel jour, parce qu'on parle d'une chaffe où -tout le monde doit aller, excepté ce Monfieur un tel, qui préfère votre compagnie à toutes les chaffes poffibles. De retour; eh bien ! vous voilà muet, déconcerté. Comment vaus igno◄ rez ce qui eft furvenu? Quel malheur ! votre refpectacle protecteur est tombé malade. .... apoplexie, précifiment, à l'inftant même où il alloit donner des ordres pour votie affaire. Enfuite. Ensuite? Et! bien, (mais en confidence) la tête de Monfieur le Préfident fe reffent de fon attaque; il n'eft plus beaucoup à lui. Votre protégé fe défef

en

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père, il ne faut pas le laiffer long-temps dans cet état. Pourquoi donc tant s'affliger? Monfieur le Préfident a encore par fois de bons momens, il ne s'agit que d'en faifir un ; vous allez vous enfermer avec lui, & vous ne le laifferez qu'après avoir eu un de ces inftans lucides. Enfuite? Monfieur le Préfident eft totalement en enfance; il meurt, ou votre protégé, ou vous; ou bien une comête s'approche de notre globe, l'inonde ou T'enflamme; enfin, avec le temps, un événement vous tire d'affaire.

Voilà une efquiffe que j'ai pris au hazard, & qui peut vous fournir des idées dans mille circonftances; il ne s'agit que de favoir varier votre imagination. Dans les commencemens, je veux dire, lorfqu'on n'eft pas encore affez inftruit fur l'art dont je vous parle, il peut être dangereux de vouloir protéger tout ce qui fe préfente, mais une fois enhardi vous n'avez plus rien à refuser. De quel étonnement n'ai-je point été frappé en voyant tant d'hommes vouloir protéger tous ceux qui réclamoient leur pretection

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& fans avoir jamais pu parvenir à en obliger aucun, conferver néanmoins encore la réputation qu'ils avoient eu l'art de fe faire ! Il eft de ces hommes merveilleux qui ne peuvent paroître fans être auffi-tôt environnés de cette foule d'hommes crédules que l'efpérance attire fur leurs pas, & qu'ils parviennent à perfuader de la grandeur de leur crédit fans que jamais ils en éprouvent l'efficacité.

Pour revenir à ce que j'ai dit précédemment, vous voyez que les louanges adròitement diftribuées, feront les points effentiels fur lefquels on doit pofer les fondemens de fon bonheur. Cependant il y auroit du danger à tout louer, & je crois déjà vous l'avoir fait appercevoir. On eft alors regardé comme un vil adulateur; & votre encens, trop répandu, n'eft plus de bon aloi. Il faudroit même, pour bien réuffir, avoir dit du mal de quelqu'un avant de louer; cette conduite donne la réputation d'homme vrai & fincère, & on en trouve la louange excellente. C'eft un bon Juge

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