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de ma main, & que je me croiois affez riche pour ne devoir confulter que mon cœur dans le choix que je ferois d'une femme, j'épou fai une fille d'une beauté parfaite fans m'arrêter au peu de bien qu'elle avoit, ni à l'égalité de nos conditions. J'étois charmé de mon bonheur, & pour mieux goûter le plaifir de poffeder une perfonne que j'aimois, je la menai, peu de jours après mon mariage à une terre que j'ai à quelques lieûës de Tolede.

Nous y vivions tous deux dans une union charmante, lorfque le Duc de Naxera, dont le Château eft dans le voifinage de ma terre, vint un jour qu'il chaffoit fe räfraîchir chez moi. Il vit ma femme & en devint amoureux. Je le crus du moins & ce qui acheva de me le perfuader, c'eft qu'il rechercha bien- tôt mon amitié avec empreffement: ce qu'il avoit jufques

la fort négligé. Il me mit de fes parties de chaffe, me fit force prefens & encore plus d'offres de fervices.

Je fus d'abord allarmé de sa pas fion. Je penfai retourner à Tolede avec mon épouse, & le Ciel fans doute m'infpiroit cette pensée. Effectivement fi j'euffe ôté au Duc toutes les occafions de voir ma femme, j'aurois évité les malheurs qui me font arrivez ; mais Jaconfiance que j'avois en elle me raffura. Il me parut qu'il n'étoit pas poffible qu'une perfonne que j'avois épousée fans dot & tirée d'un état obfcur, fût affez ingrate pour oublier mes bontez. Helas!

la connoiflois mal. L'ambition & la vanité qui font deux chofes fi naturelles aux femmes, étoient les plus grands défauts de la mien

ne.

Dès que le Duc eut trouvé moien de lui aprendre fes fenti

mens, elle fe fçût bon gré d'avoir fait une conquête fi importante. L'attachement d'un homme que l'on traitoit d'Excellence,châtoüilla fon orgueil & remplit fon espric de faftueufes chimeres. Elle s'en estima davantage & m'en aima moins. Ce que j'avois fait pour elle, au lieu d'exciter fa reconnoif. fance, ne fit plus que m'attirer fes mépris. Elle me regarda commẹ un mari indigne de fa beauté, & il lui fembla que fi ce Grand Seigneur qui étoit épris de fes charmes l'eut vûë avant fon mariage, il n'auroit pas manqué de l'époufer. Ennivrée de ces folles idées & féduite par quelques prefens qui les flâtoient, elle fe rendit aux secrets empreffemens duDuc.

Ils s'écrivoient affez fouvent, & je n'avois pas le moindre foupçon de leur intelligence; mais enfin je fus affez malheureux pour fortir de mon aveuglement.Un jour je re

vins de la challe de meilleure heure qu'à l'ordinaire. J'entrai dans l'apartement de ma femme; elle ne m'attendoit pas fi-tôc. Elle veG noit de recevoir une lettre du Duc 1 & fe préparoit à lui faire réponJ fe. Elle ne pût cacher fon trouble à ma vûë. J'en fremis & voiant fur une table du papier & de l'ancre je jugeai qu'elle me trahilloit. Je la preffai de me montrer ce qu'elle écrivait; mais elle s'en defendit; deforte que je fus obligé d'emploier jufqu'à la violence pour fatisfaire ma jalouse curiofité. Je tirai de fon fein, malgré toute la résistance, une lettre qui contenoit ces paroles:

Languirai-je toûjours dans l'attentente d'une feconde entrevûë? Que vous êtes cruelle de me donner les plus douces efperances, de tant tarder à les remplir! Dontuan vatous les jours à la Chaffe ou à Toléde ; ne dévrions

nous pas profiter de ces occafions? Aiez plus d'égard à la vive ardeur qui me confume. Plaignez-moi, Madame: Songez que fi c'est un plaifir d'obtenir ce qu'on defire, c'est un tourment d'en attendre long-tems la poffeffion.

Je ne pus achever de lire ce Billet fans être transporté de rage. Je mis la main fur ma dague, & dans mon premier mouvement je fus tenté d'ôter la vie à l'infidelle épouse qui m'ôtoit l'honneur, mais faifant refléxion que c'étoit me vanger à demi, & que mon reffentiment demandoit encore úne autre victime, je me rendis maître de ma fureur. Je diffimulai. Je dis à ma femme, avec le moins d'agitation qu'il me fut poffible! Madame, vous avez eu tort d'é couter le Duc. L'éclat de fon rang ne devoit point vous ébloüir; mais les jeunes perfonnes aiment le fafte. Je veux croire que c'eft-là tout

vôtre

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