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re qu'il parloit de la fermeté qu'il avoit fait paroître, Don Fadri que fentoit évanoüir fa fureur. Enfin, ajoûta Don Juan, l'amitié l'emporta fur l'amour, je refufai la foi de Doña Théodora. Elle enpleura de dépit.Mais, grand Dieu,, que fes pleurs excitérent de trouble dans mon ame ! Je ne puis m'en reffouvenir fans trembler encore du péril que j'ai couru. Je commençois à me trouver barbare, & pendant quelques inftans Mendoce, mon cœur vous devinc infidéle. Je ne cedai pas pourtant à ma foibleffe, & je me dérobai par une prompte fuite à des larmes fi dangereufes. Mais ce n'eft. pas affez d'avoir évité ce dangers il faut craindre pour l'avenir. Il faut hâter mon départ. Je ne veux plus m'exposer aux regards de Théodora. Après cela, Don Fadrique m'accufera-t-il encore d'ingratitude & de perfidie?

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Non, lui répondit Mendoce en l'embraffant, je vous rends toute votre innocence. J'ouvre les yeux. Pardonnez un injufte reproche au premier tranfport d'un Amant qui fe voit ravir toutes fes efperances. Hélas! devois-je croire que Doña Théodora pourroit vous voir long-tems fans vous aimer, fans fe rendre à ces charmes, dont j'ai moi-même éprouvé le pouvoir? Vous êtes un véritable ami. Je n'impute plus mon malheur qu'à la fortune; & loin de vous haïr, je fens augmenter pour vous ma tendreffe. Hé quoi vous renoncez pour moi à la poffeffion de Doña Théodora! vous faires à nôtre amitié un fi grand facrifice, & je n'en ferois pas touché vous pouvez dompter vôtre amour, & je ne ferois pas un effort pour vaincre le mien. Je dois répondre à vôtre générofité, Don Juan fuivez le penchant

qui vous entraîne. Epoufez la veuve de Cifuentes. Que mon cœur, s'il veut, en gemiffe Mendoce vous en presse.

Vous m'en preffez en vain, repliqua Zarate. J'ai pour elle, je le confeffe, une paffion violente; mais votre repos m'eft plus cher que mon bonheur. Et le repos de Théodora, reprit Don Fadrique, vous doit il être indifferent? Ne nous flâtons point. Le penchant qu'elle a pour vous décide de mon fort. Quand vous vous éloigneriez d'elle, quand pour me la céder vous iriez loin de fes yeux traîner une vie déplo

rable, je n'en ferois pas mieux. Puifque je n'ai pû lui plaire jufqu'ici, je ne lui plairai jamais. Le Ciel n'a réfervé cette gloire qu'à vous feul. Elle vous a aimé dès le premier moment qu'elle vous a vit. Elle a pour vous une inclination naturelle. En un mot, elle ne fçau

roit être heureuse qu'avec vous. Recevez donc la main qu'elle vous prefente. Comblez fes defirs & les vôtres. Abandonnez-moi à mon infortune, & ne faites pas trois miférables, lorfqu'un feul peut épuiser toute la rigueur du deftin.

Afmodée en cet endroit fut obligé d'interrompre fon recit, pour écouter l'Ecolier, qui lui dit :: Ce que vous me racontez eft furprenant. Y a-t-il en effet des gens d'un fi beau caractere? Je ne vois dans le monde que des amis qui: fe broüillent, je ne dis pas pour des Maîtreffes comme Doña Théodora, mais pour des Coquettes fieffées. Un amant peutil renoncer à un objet qu'il adore & dont il eft aimé, de peur de rendre un ami malheureux ? Je ne croiois cela poffible que dans la nature du Roman où l'on peint les hommes tels qu'ils dévroient être

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plûtôt que tels qu'ils font. Je demeure d'accord, répondit le Diaible, que ce n'eft pas une chofe fort ordinaire; mais elle eft nonfeulement dans la nature du Roman, elle est auffi dans la belle. nature de l'homme. Cela eft fi vrai, que depuis le déluge, j'en ai vû deux exemples, y compris celui-ci, Revenons à mon histoire.

Les deux amis continuérent à fe faire un facrifice de leur paffion; & l'un ne voulant point céder à la générofité de l'autre, leurs fentimens amoureux demeu rérent fufpendus pendant quel ques jours. Ils cefférent de s'entretenir de Théodora. Ils n'ofoient plus même prononcer fon nom. Mais tandis que l'Amitié triomphoit ainfi de l'Amour dans la Ville de Valence, l'Amour, comme pour s'en venger, régnoit ailleurs avec tyrannie, & fe fai foit obéir fans réfiftance.

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