Imágenes de páginas
PDF
EPUB

dée, peignait plus clairement que la parole tout ce qu'elle voulait exprimer. Il eft tout naturel d'imaginer que la Tragédie - Pantomime doit être plus fortement prononcée que la Tragédie parlée. Ainfi ce qui aurait été outré dans ce dernier cas, était, dans le premier, l'expreffion jufte. Dans ce moment affreux, où la perfide Médée donne à Créüfe le bouquet empoisonné, la trahison qui refpirait dans fes yeux, & la fureur qu'ils laiffaient éclater dans les à parte faifaient un contrafte fublime.

L'adorable Mademoiselle Guimard représen tait Créüife, avec ces graces fi touchantes qui lui ont acquis une réputation immortelle. Avec combien d'efprit elle fentait le moment où Médée lui préfente le bouquet! Cette incertitude, cette défiance des dons d'une rivale, à laquelle fuccédait bientôt cette confiance naïve d'une ame innocente qui fe laiffe aisément furprendre à la perfidie. Voulez-vous du plus grand caractère ? voyez-la en proie aux douleurs aigues d'un poifon inconnu, lutter contre la mort, fe jetter dans les bras de fon Amant, s'en arracher avec effroi, y retomber & mourir ; par-tout dans cette charmante Danseuse, vous reconnaî trez une excellente Actrice.

Cij

On juge bien qu'après un intérêt fi puissant & fi étfanger à l'action principale, il refte bien peu d'attention pour le refte de la Scène. Le refte de l'Acte même s'en reffent. Examinons-le cependant, la Scène fuivante le mérite.

Toutes les Ombres diffipées, & la décoration revenue dans fon premier état, la Prêtresse se fent infpirée. Elle prononce un Oracle, qui dit que c'est à Ifmène à rétablir le calme dans le cœur d'Ifménias. C'eft-là l'épreuve qu'exige la Déeffe. Les deux Amans reftent feuls. Ifmène commence la Scène par cette question qu'elle devait naturellement faire:

Eh! par quelle fatalité

Ce cœur, que j'ai vu fi paisible,
A-t-il perdu fa liberté ?

ISMÉNIA S.

Vous frémiriez de fa témérité,

Si je nommais l'objet qui l'a rendu fenfible.
Qui croirait que le Ciel vous choifit en ce jour,
Pour m'infpirer l'indifférence?

Eh! qui choifirait-il pour fervir fà puiffance

S'il voulait m'inspirer l'amour?

C'est un aveu formel. Ifmène l'entend trèsbien & le paye d'un aveu pareil. Cette lueur de bonheur ne fert qu'à les éclairer mieux fur

leur infortune. La dignité, dont Ifménias eft revêtu, lui défend d'écouter l'amour; de fon côté, Ifmène, pour éviter l'hymenée du Roi, a promis de prononcer fes vœux aux Autels de Diane. Ils s'affligent.

Eft-ce là ce calme précieux

Que devait te rendre Ifmène.

Cette réflexion eft pleine de fentiment; la Scène l'est de pensées pareilles & d'airs charmens par lefquels elle eft coupée. Azaris les interrompt. Il preffe Ifmène; il veut entrer dans le Temple, qui s'ouvre, & la Prêtresse en fort en prononçant ces mots qu'elle adreffe à Ifmène :

To i, dont l'Amour eft vainqueur,

Porte loin de ces lieux ton ardeur crimine le.

Cours au Temple où l'hymen t'appelle;
Dans les nœuds que tu fuis vas chercher ton bonheur.

Cette phrase équivoque fait qu'Azaris croit être aimé d'Ifmène. 11 la preffe davantage, & l'emmene, presque malgré elle, aux Autels où fon hymen s'apprête. Ifménias le fuit. C'est ainfi que finit le fecond Acte.

Au troifiéme, le Théâtre repréfente le Temple de Jupiter orné de différens tableaux à la C iij

gloire de ce Dieu. On voit un Autel pour l'hymen du Roi & d'Ifmène. Cette décoration eft extrêmement belle. Il y a dix-fept ans, fi un Acte d'Opéra n'eût pas commencé par un Monologue, on aurait été fort fâché. L'Auteur a donc commencé ce troifiéme Acte par un Monologue, & le Muficien a fuivi cette route; mais il y a fcmé des fleurs. Celui-ci eft foutenu d'un accompagnement de Clarinettes, du plus joli chant. Je ne parle point des modulations; elles y font amenées d'une manière qui devait paraître bien extraordinaire dans ce temps-là. mais qui fait aujourd'hui très-grand plaifir. Ce pendant ce Monologue ne m'a pas paru faire dans le Public tout l'effet qu'on en pouvait attendre, je ne puis pas bien dire pourquoi. Le fujet de ce Monologue est la résignation forcée d'Ifmène au fort qui l'attend. Elle fort à la vue d'Ifménias, qui arrive avec Thémifthée. Ce tendre pere effaye de guérir fon fils d'une palfion inutile, en lui présentant l'infidélité d'Ifn'ène. Son Amant ne manque pas de la juftifier:

Malgré l'éclat qui déja l'environne, Un regard de l'amour ferait encor rougir Ce front que la gloire couronne.

Le Peuple fe raffemble pour célébrer la fête de Jupiter. Il eft annoncé par une symphonie. Azaris & Ifmène arrivent ensemble. Chacun préfente son offrande & fes vœux aux Autels de Jupiter. Une Bergère chante un très-joli air que nous donnerons gravé à la fin de notre Journal. Des danfes fur des airs charmans & accompagnées de très beaux Chœurs, compo. fent cette fète. Ifménias la célebre, en indiquant, dans les tableaux de Jupiter, d'abord fa gloire, & enfuite fa bienfaisance, dont il montre pour exemple l'hiftoire de Philémon & Baucis. Azaris l'interrompt en preffant Ifmène de couronner fon ardeur. Ifménias s'avance lentement, ayant les yeux baiffés vers l'Autel. Ifmène partage fa douleur & fa contrainte; elle prononce ces mots avec Azaris, en posant la main fur l'Autel, & détournant les yeux & de l'Autel & d'Ifménias:

Sur ces Autels je jure.....

Son Amant n'y peut tenir; le défespoir l'em. porte. Il interrompt Ifmène, & s'écrie en tombant entre les bras de Thémifthée :

....Ofez. vous bien, cruelle,

Pour former ces coupables nœuds,

Civ

« AnteriorContinuar »