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précisément celle où l'on nourriffait l'enfant de fon fils. Le petit enfant était dans ce moment couché fur le fein d'un homme qui cherchait à faire couler du lait dans fa bouche.

Lorsque le pere de Berville fut revenu à lui, le premier objet qui frappa fon attention fut le petit enfant pâle & mourant. Il fit remarquer au Payfan que ce qu'il faifait à cet enfant était inutile, puifqu'il manquait de nourriture. Le Payfan répondit qu'à la vérité l'enfant était en danger, parce que fa femme qui le nourriffait avait la fiévre; qu'elle ne pouvait conféquemment lui donner de fon lait, & que l'homme qu'ils avaient envoyé aux parens, pour les en avertir, n'était pas encore de retour. » Le péril me pa»raît preffant, en effet, répliqua le vieux Gen

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tilhomme; eft-ce qu'il n'y aurait pas dans le Village quelqu'autre nourrice? Je ne faurais fouffrir de voir cet enfant en cet état. -Vous le fouffririez bien moins encore, fi vous faviez quel il eft, s'écria la Payfanne, qui, couchée fur fon lit, avait entendu ce qui s'était passé. ->Et qui eft-il donc, répondit-il avec émo» tion. — Hélas, Monfieur, reprit le Paysan, j'aurais craint de vous l'avouer, puifque je fais que M. votre fils s'eft marié fans votre

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» aveu, mais, dès que ma femme vous en a » tant dit, je vais vous inftruire de tout. » Cette petite fille eft celle de M. de Berville. « Le pere refta un inftant fans parler; mais, fe remettant bientôt, il regarda l'enfant avec l'intérêt le plus tendre. Malheureuse créature, » dit-il, tu ne m'as jamais offensé. « Et alors, appellant un de fes gens, il lui ordonna de fe hâter d'aller au Château, fe rappellant que la femme de fon Concierge avait perdu la veille l'enfant qu'elle nourriffait: »Dis-lui, ajoute t-il, » d'accourir ici fur le champ, & de fe charger » de cet enfant, dont je veux moi-même pren» dre foin. <

Se fentant tout à fait foulagé de fon indifposition, il careffa la petite fille, monta dans la voiture, & pourfuivit fa route. A peine était-il forti que le jeune Berville arriva avec une autre nourrice. Le Payfan lui raconta tout ce qui s'était paffé. Le fils, pénétré des bontés de fun pere, qu'il voyait toujours tendre, quoiqu'il l'eût offenfé, fe hâta de le rejoindre, pour lui exprimer les tranfports de fa reconnaissance. Le vieux Gentilhomme, qui fe douta de fon motif, s'arrêta, dès qu'il l'apperçut. Berville se jetta à fes pieds, les larmes aux yeux, ne pouvant

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s'expliquer que par des fanglots. Je fais ce qui vous amène, lui dit le pere, touché du >> repentir de fon fils; votre fille manquait de » fecours, & je lui en ai procuré. Je ne me con» tenterai pas de cette action; je ne veux pas » laiffer mon ouvrage imparfait. Je ne veux pas » qu'une vie que j'ai donnée puiffe être malheureuse. Allez, Berville, votre fille fera la mienne; faites-la venir ici. Amenez-moi auffi > votre femme; que, dès ce jour, elle occupe » dans ce Château l'appartement que votre » mere y avait elle-même, & que ce soir à mon » retour je vous retrouve tous ici. J'ai trop > long-temps différé de changer mes difpofi»tions à votre égard; oublions tout ce qui »s'eft paffé. Adieu, je ferai bien-tôt de re>> tour. Berville, qui n'avait pas ceffé d'être à genoux, ne remerciait ce pere fi tendre qu'en preffant fes mains contre fon cœur & contre sa bouche, & qu'en les baignant de fes larmes. II n'eût jamais quitté cetre attitude, fi le vieillard ne fût enfin parti. Alors il retourna à la Ferme, y prit fon enfant, l'amena au Château, & en chargea la Concierge, tandis qu'il alla avertir fon époufe de l'heureux changement qui venait d'arriver dans leurs affaires.

Déja Berville & fa chère Isabelle attendaient au Château le retour du pere avec la dernière impatience; mais à la joie qu'ils goûtaient en se préparant à le revoir, fuccéda la scène la plus trifle & la plus terrible. Le pere de Berville arriva en effet, mais il arriva fans connaissance, & prêt à expirer, d'une attaque d'apoplexie dont il fut faifi. Berville, épouvanté de fon état, apprit de ses gens que cette maladie fubite l'avait empêché d'entrer chez fon Notaire, pour y annuller un testament qui le deshériterait. Cette nouvelle, quoiqu'accablante, toucha moins le cœur du fenfible Berville que le danger de fon pere. Les Médecins étaient avertis, & Berville, donnant les marques du plus affreux désespoir, attendait auprès de fon lit qu'il reprît connaissance. Il n'attendit pas long-temps. Le Vieillard, revenant à lui-même, oublia fon état, pour fonger à la fortune de ce fils chéri. Je fens ma der»nière heure s'approcher, lui dit il, il ne me refte qu'un moment de vie, & je te le dois. » Fais promptement venir le Notaire, & qu'il reçoive mes ordres. -O Ciel! mon pere, s't » cria Berville, c'eft plutôt à vos jours que je > dois fonger. Et que m'importent les biens, fi » mon pere m'est ravi?-Il importe à ta femme,

» & à ta fille, de n'être pas les victimes d'un » moment de courroux; exécute mes ordres. -Mon pere, les Médecins font arrivés ; leur » fecours peut vous rendre à nos vœux, & vous » voulez que je m'occupe d'un autre foin!-Oui, » je le veux. Le temps que tu perds peut t'être funefte; les hommes ne peuvent plus rien » pour moi. - Recevez-les feulement, & nous fongerons enfuite au refte. «<

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Ce combat dura quelque temps, & la prédiction du pere s'accomplit. Son attaque devint plus forte, & lui fit perdre la parole. L'art du Médecin fut inutile, & le Notaire arriva trop tard. On essayerait en vain de peindre le désespoir de Berville. Il ne fut que long-temps après en état de fentir l'horreur du fort où l'avait réduit fon imprudence & fon infortune. L'aiguillon de la mifere vint tirer fon ame de l'affoupif sement où elle était. Il fe voyait deshérité, fans état & fans fecours. Tout fon bien appartenait à fon cadet qui fervait alors chez l'étranger, & qui ne vint que long-temps après recueillir la fucceffion de fon pere.

Tombé de l'état le plus opulent dans l'état le plus abject, environné d'enfans & accablé d'infortune, Berville commençait déja à s'accou

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