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mour. Juliette, fœur de Nelson, parait, & celui-ci se détermine à lui confier fa peine.

Juliette annonce à Nelfon que Coraly veut lui parler. Sur un mot que ce jeune homme laisse échapper avec feu, fa fœur qui le devine lui chante.

Je m'y connais, mon cher frere,
Mon cher frere, vous aimez;

Quand cette jeune étrangere
Vient à vous les yeux baissés,
Elle tremble, & vous, mon frere,
Vous rougiffez.

Elle craint votre colere,
Vous craignez de l'offenfer.
On fe trahit fans y penfer.

Coraly fait trop vous plaire,

Et vous-mêine, vous lui plaisez. &c.

Cette Ariette, qui au Théatre fe chante en Duo, eft faite de la part du Muficien avec tout l'efprit, toute la grace, toute la délicateffe poffibles. Il est fâcheux que nous ne puissions pas foumettre à nos Lecteurs les penfées extraites de la Mufique, comme celles de la Poëfie; mais un trait de chant nud, n'eft pas le même que celui qui a fon accompagnement & son ensemble. Un trait de ce Duo, même le trait le plus faillant n'en donnerait qu'une idée faible.

Le reste de la Scène fe paffe en reproches de Juliette fur l'amour naiffant qu'elle apperçoit dans le cœur de fon frere, & en promesses de la part de ce dernier d'être fidele à l'amitié. Juliette fort. Nelson refté seul chante un grand air, dans lequel il déteste l'amour. On regrette que la fanté de M. Clerval, chargé de ce rôle, ne lui ait pas permis de fe livrer tout entier au chant de cet air, de le remplir de toute sa voix, Son caractere l'exige, & il aurait eu beaucoup plus d'effet. Il en a produit affez cependant pour qu'on puiffe juger que c'eft un des plus beaux de la Piece.

Coraly paraît. Son caractere eft celui de l'ingénuité. Elle aime Nelson de bonne foi, & ne fait pas feulement qu'elle devrait s'en ca cher. Elle n'avait rien de particulier à lui dire. Ce qu'elle voulait était seulement être avec lui. Plus elle témoigne d'amour à Nelson, & plus il en est allarmé. Les transports de fa tendreffe & de ses remords éclatent aux yeux de Coraly, qui les prend pour de la colere. Nelfon a peine à la raffurer.... Il est bien plus troublé quand elle lui avoue qu'elle l'aime beaucoup. Pour cacher fon défordre, il feint d'avoir des af

faires. Il fe met à fon bureau. Il veut écrire à Blanford... Il ne fait que dire. De fon côté Coraly s'affied auprès du bureau, prend un livre qu'elle ne lit point, regarde Nelson, l'écoute, & répond aux mots qu'il laiffe échapper. Cette Scène prefque muette, tout-à fait piquante & théatrale, a fait le plus grand plaifir.

Elle est toute différente dans la Piece imprimée. Nelson affis à fon bureau, difait en examinant des papiers.

Voyons donc fur quel expofé

Je puis juftifier l'Innocent accufé, &c.

Cette occupation réelle de Nelson faisait moins d'effet, & la Scène a beaucoup gagné à être changée.

Ils font interrompus par l'annonce du Maître à chanter de Coraly. Elle amene la tirade fuivante fur les talens agréables.

Une femme fouvent leur doit tout fon bonheur. Ce font prefque toujours des fecrets immanquables. Pour féduire un époux & pour fixer fon cœur. C'eft en l'attirant par leurs charmes Qu'on lui fait aimer fa maison;

Et tous les talens font des armes

Que l'amour inventa pour plaire à la raifon

Nelfon refté feul avec Juliette, lui fait part du deffein qu'il a de fuir la féduction, de quitter Londres. Sa fœur approuve ce projet, & tandis qu'ils en raisonnent, ils font interrompus par Coraly qui revient avec fon Maître pour prendre fa leçon devant Nelfon. Elle a fait apporter fon Forte-Piano & la Harpe de Juliette. Tout cela eft pour le Spectacle, car le Maître ne touche point du tout le FortePiano, & quoique ladite Juliette pince réellement fa Harpe, qu'il y ait même un accompagne. ment obligé, comme l'air eft à grand orcheftre, & outre cela couvert d'un Hautbois récitant, on n'en entend pas une corde. Cela n'empêche pas que le tableau ne foit agréable.

Cette Scène amene une autre tirade fur la Mufique, qui a été fort applaudie & que nous allons examiner un peu rigoureusement, parce qu'elle eft abfolument de notre reffort. Nelson dit:

Dites de quel Pays la Mufique fera.
Italienne, Allemande, Française?

Juliette répond:

Mon frere, là-deffus point de difcuffions.
Il eft pour en juger une regle très-fure.
Toute Mufique doit rendre les paffions,

Celle qui fait exprimer la nature

Eft de toutes les Nations.

Cette pensée fut d'autant plus applaudie, que depuis long-tems les gens qui ne pouvaient juger entre le genre Italien & le genre Français, avaient pris le parti de pacificateurs, & avaient cru terminer toute la difpute en difant que la meilleure Mufique des deux, eft la bonne Mufique, de quelque pays qu'elle foit. Ce fentiment eft devenu l'avis général, & le Public a dû être flatté de voir fes propres idées rendues d'une maniere brillante. Il s'eft laiffé éblouir par ce fophifme qui a féduit jufqu'à fon Auteur, par la conciliation apparente qu'il femble apporter entre les deux genres.

Le malheur, c'eft que cette pensée, toute exprimée qu'elle eft dans de très-jolis vers, ne fignifie abfolument rien, n'offre aucun fens réel, puifqu'elle laiffe la queftion entierement dans l'état où elle était auparavant. C'est ce qu'il faut prouver, me dira-t-on. Cela n'eft pas bien difficile.

Toute Mufique doit rendre les paffions, c'eftà-dire, la Mufique dans toutes les langues doit rendre les paffions.Car toute Mufique, voudrait dire toutes les manieres d'écrire la Musique, &

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