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lui fit perdre jusqu'à l'usage de la voix. Elle expira deux jours après fans avoir pu prononcer une parole. Son Amant pénétré d'un accident si tragique, ne vécut que cinq jours après elle, & demanda pour unique grace à fes amis de l'enterrer dans le même tombeau. Ils avaient creufé fa foffe au pied d'une forte d'autel, qu'ils avaient élevé fous le grand arbre. Ils y placerent auffi le malheureux Macham; & mettant une Croix de bois fur ce trifte monument, ils y joignirent une infcription qu'il avait compofée lui-même, & qui contenait en peu de mots fa pitoyable aventure. Elle finiflait par une priere aux Chrétiens, s'il en venait après lui dans le même lieu, d'y bâtir une Eglife fous le nom de Jéfus Sauveur.

Après la mort du Chef, le refte de la troupe ne penfa qu'à fortir d'un lieu fi défert. Tous les foins furent employés à mettre la chaloupe en état de foutenir une longue navigation ; & l'on mit à la voile, dans la vue, s'il était poffible, de retourner en Angleterre. Mais la force du vent, ou l'ignorance des matelots, ayant fait prendre la même route que le vaiffeau, on alla tomber fur la même côte, & l'on n'y effuya pas un meilleur fort.

Les prifons de Matoc étaient alors remplies d'esclaves Chrétiens de toutes les Nations, comme celles d'Alger le font aujourd'hui. Il s'y trouvait un Espagnol de Séville, nommé Jean de Moralès,

Canaries.

Canaries.

qui ayant exercé long-temps la profeffion de pilote, prit beaucoup de plaifir jau récit des prifonniers Anglais. Il apprit d'eux la fituation du nouveau pays qu'ils avaient découvert, & les marques de terre auxquelles il pouvait être reconnu.

Dès qu'il fut libre, il offrit fes fervices à Don Juan Gonzalvo Zarco, Gentilhomme Portugais, chargé par le Prince Henry de faire des découvertes dans la mer d'Afrique, & qui, deux ans auparavant, avait mouillé à Puerto-Santo, dans le voifinage de Madere, & y avait laiflé quelques Portugais. Ce fut-là qu'il dirigea fa route avec Moralès. Les Portugais de Puerto-Santo lui raconterent comme une vérité conftante, qu'au Sud-ouest de l'Ifle on voyait fans ceffe des ténèbres impénétrables, qui s'élevaient de la mer jufqu'au ciel; que jamais on ne s'appercevait qu'elles diminuaflent, & qu'elles paraiffaient gardées par un bruit effrayant qui venait de quelque cause inconnue. Comme on n'ofait encore s'éloigner de la terre, faute d'astrolabe & d'autres inftrumens dont l'invention eft poftérieure, & qu'on s'imaginait qu'après avoir perdu la vue des côtes, il était impoffible d'y retourner, fans un fecours miraculeux de la Providence, cette prétendue obfcurité passait pour un abîme fans fond, ou pour une des bouches de l'enfer.

Les exhortations de Moralès firent méptifer à Zarco ces fauffes terreurs. Ils jugerent tous deux que

cesténèbres dont on voulait leur faire un fujet d'épou vante, étaient au contraire la marque certaine de la Canaries. terre qu'ils cherchaient. Cependant, après quelque délibération, ils convinrent de s'arrêter à PuertoSanto jufqu'au changement de la lune, pour obferver quel effet il produirait fur l'ombre. La lune changea, fans qu'on s'apperçut de la moindre altération dans ce phénomène. Alors tous les aventu riers furent faifis d'une fi vive terreur, qu'ils auraient abandonné leur entreprise, fi Moralès n'était demeuré ferme dans fes idées, foutenant toujours, d'après les informations qu'il avait reçues des Anglais, que la terre qu'on cherchait, ne pouvait être bien loin. Il faifait comprendre à Zarco que cette terre, étant sans ceffe à couvert du soleil par l'épaiffeur de fes forêts, il en fortait une humidité continuelle, qui produifait cette nuée épaisle, l'objet de tant de craintes & de fauffes imaginations.

il

Enfin Zarco, ne confultant que fon courage mit à la voile un jour au matin, fans avoir com muniqué fa résolution à d'autres qu'à Moralès; & pour ne laiffer rien manquer à fa découverte, i tourna directement la proue de fon vailleau vers J'ombre la plus noire. Cette hardielle ne fit qu'aug menter les alarmes de fon équipage. A mesure qu'on avançait, l'obfcurité paraiffait plus épaiffe. Elle devint fi terrible, qu'on ofait à peine en foutenir

Canaries.

la vue. Vers le milieu du jour, on entendit un bruit épouvantable qui se répandait dans toute l'étendue de l'horizon. Ce nouveau danger redoubla fi vivement la frayeur publique, que tous les matelots poufferent de grands cris, en fuppliant le Capitaine de leur fauver la vie, & de changer de route. Il les affembla d'un visage ferme, &, par un discours prononcé avec le même courage, il leur infpira une partie de fa réfolution. L'air étant calme & les courans fort rapides, il fit conduire fon vaisseau le long de la nuée par deux chaloupes. Le bruit fervait de marque pour s'avancer ou fe retirer, suivant qu'il paraissait plus ou moins violent. Déjà la nuée commençait à diminuer par degrès. Du côté de l'Eft, elle était fenfiblement moins épaifle. Mais les vagues ne ceffaient point de faire entendre un bruit effrayant. On crut bientôt découvrir au travers de l'obscurité quelque chofe de plus noir encore, quoiqu'à la diftance où l'on était, il fût impoffible d. le diftinguer. Quelques matelots allurerent qu'ils avaient apperçu des géans d'une pro digieuse hauteur. Ce n'étaient que les rochers qu'on vit bientôt à découvert. La mer s'éclairciffant enfin, & les vagues commençant à diminuer, Zarco & Morales ne douterent plus qu'on ne fût peu éloigné de la terre. Ils la virent prefqu'auffi-tôt, lorfqu'ils n'ofaient encore s'y attendre. La joie des matelots fe conçoit plus aifément qu'elle ne peur

s'exprimer. Le premier objet qui frappa leurs yeux, fut une petite pointe, que Zarco nomma la pointe Canaries. de Saint-Laurent. Après l'avoir doublée, on eut

au Sud la vue d'une terre qui s'étendait en montant; & l'ombre ayant tout-à-fait difparu, la perfpective devint charmante jusqu'aux montagnes.

Ruy Paes fut envoyé dans une chaloupe, avec Jean de Moralès, pour reconnaître la côte. Ils entrerent dans une baie, qu'ils trouverent conforme à la description que Moralès avait reçue des Anglais. Etant defcendus au rivage, ils découvrirent fans peine le monument de Macham, & les autres marques qu'ils s'attacherent à diftinguer. Après avoir fatisfait leur piété au tombeau des deux Amans, ils porterent ces heureuses nouvelles au vaiffeau. Zarco prit poffeffion du pays au nom du Roi Jean, & du Prince Don Henry, Chevalier & Grand-Maître de l'Ordre de Chrift. Enfuite rapportant fes premieres vues à la Religion, il fit élever un nouvel autel près du tombeau de Macham. La date de ce grand événement est le 8 de Juillet, jour de Sainte Elifabeth l'an 1421.

Le premier foin des Aventuriers Portugais fut de chercher, dans le pays, des habitans & des beftiaux. Mais ils n'y trouverent que des oiseaux de diverses espèces, & fi peu farouches qu'ils fe laiffaient prendre à la main. On réfolut de fuivre les côtes dans la chaloupe. Après avoir doublé une

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