était fort commun parmi les habitans. L'attention que fes Gardes avaient continuellement fur lui, l'a- Roberts. vait empêché de prendre des informations. ikapprit d'eux-mêmes qu'ils avaient ordre de lui ôter toutes les occafions d'acquérir trop de lumieres, & de le conduire par les routes les plus désertes, mais fur tout de ne pas lui laiffer la liberté d'écrire. Le Prince Thome avait eu foin de lui prendre tous fes papiers, fous prétexte de les conferver jufqu'à fon retour; mais les Nègres étant perfuadés que les Blancs font autant de Fittazars ou de Sorciers, s'imaginent que le diable ou quelque Génie eft toujours prêt à leur fournir les commodités dont ils ont befoin. Enfin il était arrivé à la Cour du Roi de Bembolu, où la vue du bâton d'Etat l'avait fait recevoir avec beaucoup de civilité & d'affection. Il y avait fait l'admiration du Roi & de tout fon peuple, qui n'avaient jamais vu d'Européens dans leur Ville. Roberts ayant remarqué, pendant le discours de Franklin, que les Nègres qui étaient autour de lui l'écoutaient fort attentivement, leur demanda s'ils avaient compris quelque chofe à fon récit. Ils lui dirent que non; mais qu'ils admiraient que le Seigneur Carolow (ils donnoient ce nom à Franklin) eût trouvé le moyen de lui parler dans une langue qu'ils n'entendaient pas. Franklin leur apprit alors qu'il était du même pays que Roberts. Une Tome I. nouvelle fi surprenante fut répandue auffi-tôt dans Roberts. toute l'affemblée. Ils venaient tous prier Roberts de la confirmer de fa propre bouche, parce qu'ils ont pour principe de ne pas s'en rapporter au té moignage d'autrui, lorfqu'ils peuvent employer celui de leurs propres fens. L'impatience de Roberts était de voir leur Ville. Franklin lui en avait repréfenté le chemin comme inacceffible, par la multitude de rochers efcarpés & pointus qu'il fallait traverser. Les Nègres qu'il interrogea auffi, confirmerent la même chofe, & lui firent une defcription extravagante de leur Ifle. Cependant comme le Gouverneur & le Prêtre l'avaient fait inviter à les aller voir chez eux, il réfolut de furmonter toutes les difficultés, d'autant plus que dans le lieu où il était, il se voyait exposé le matin & le foir à périr par la chûte des pierres, qui roulaient du fommet de la montagne. Les Nègres lui dirent que ces mouvemens venaient des chèvres fauvages qui fe retiraient le foir fous les rocs. En effet, l'Auteur observe que l'Ile entiere n'eft qu'un compofé de montagnes qui s'élevent en monceau, & que le fommet de l'une étant comme le pied de l'autre, elles forment ensemble une espèce de dôme. Lorfqu'il fe fut déterminé à partir, Domingo voulut lui fervir de guide, avec la précaution de le liet derriere lui, pour le foutenir dans fa marche. La premiere partie du chemin fe fit assez facilement ; & l'on s'arrêta pour prendre quelques momens de repos. Mais, en avançant plus loin, Roberts s'apperçut bientôt qu'il lui ferait fort difficile de continuer. Quelques Nègres s'écartant pour chercher une meilleure route, firent tomber une groffe pièce de roc, qui mit en danger tous ceux qui les fuivaient. Domingo déclara qu'il n'expoferait pas le Capitaine Anglais pendant le jour, parce que l'ardeur du foleil rendait les rocs moins capables de confiftance, & les pierres plus faciles à fe détacher; au-lieu que l'humidité de la nuit formait une espèce de ciment qui les arrêtait. Sur ce raifonnement, dont Roberts ajoute qu'il reconnut la vérité par fon expérience, on ne pensa qu'à retourner au lieu d'où l'on était parti. Domingo propófa de faire venir une barque pour gagner la Ville par la voie de la mer. Quoique ce deflein demandât plufieurs jours, Roberts fe vit forcé d'y confentir par les premieres atteintes d'une fièvre violente. Tant de chagrins & de fatigues, joints à l'ardeur exceffive du foleil qu'il fallait effuyer continuellement, avaient épuisé fes forces. Il tomba dans une maladie fi dangereufe, que pendant plus de fix fêmaines fon Matelot & Franklin défefpérerent de fa vie. Les Nègres lui rendirent plus de fervices & de foins, qu'il n'aurait pu s'en promet tre dans la région la plus polie de l'Europe, & Roberts. la plus affectionnée aux Anglais. Enfin, lorsqu'il Roberts. fut en état d'entrer dans la barque, les Negres qui fe chargerent de le conduire avec Domingo, ches. Roberts pafla deux mois dans la maison du Seigneur Antonio Gomers, fans pouvoir le réta blir; mais, ayant commencé à reprendre fes forces, il fe fit un amusement de la pêche. Il employait fouvent trois ou quatre jours entiers à cet exercice. Les Nègres portaient le bois dont ils avaient befoin pour allumer du feu & faire cuire le poiffon. Ils trouvaient du fel fur les rocs, où la chaleur du foleil le formait naturellement de l'eau de la mer. Dans la familiarité où Roberts vivait avec les Nègres, il s'informa quels vaiffeaux ils avaient vus dans leur Ifle depuis quelques années. Il n'en était arrivé que deux dans l'efpace de fept ans ; l'un d'Angleterre, qui avait acheté des porcs; l'autre, Portugais, qui transportant des efclaves de SaintNicolas au Bréfil, avait relâché à Saint-Jean pour faire de l'eau, mais s'était vu enlever de deffus. fes ancres par une violente tempête. L'intention de Roberts était de pafler dans l'Ile Saint - Philippe, où il favait que les vaiffeaux abordaient plus fouvent, Après de longues réflexions, il prit le parti de rassembler tous les débris de fa felouque, & d'en compofer une barque, avec le fécours des Nègres. Il lui donna vingt-cinq pieds de long, fur dix de largeur & quatre pieds dix pouces de profondeur. Il la calfata de coton & de mouffe, avecun enduit de fuif mêlé de fiente d'âne. Cette compofition acquit tant de dureté en féchant au foleif, que non-feulement la chaleur n'était pas capable de la fondre, mais que l'eau de la mer ne pou Roberts |