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Grand-Seigneur ! Car les droits de la douane de Moka étaient évalués à près de 40000 liv. fterlings par an.

terre,

L'Aga propofa à l'Amiral d'écrire aux Com mandans de fes vaiffeaux qu'ils defcendiffent à & qu'ils y débarquaflent leurs marchandifes. Croyez-vous, lui dit l'Amiral, que les Anglais foient des infenfés, & qu'ils viennent fe précipiter volontairement dans l'esclavage? La réponse de l'Aga fait voir quelle idée on a de l'obéiffance dans les pays defpotiques. N'êtes-vous pas leur Chef? Ils viendront, fi vous leur écrivez. — Je ne veux pas leur écrire, dit fierement l'Amiral. L'Aga le menaça de lui faire couper la tête. Sir Henry répondit qu'il était tout prêt, & que les fatigues de la navigation & les traitemens qu'il éprouvait, lui rendaient la vie infupportable. On le chargea de nouvelles chaînes aux pieds & aux mains, & & on l'enferma dans une étable à chiens. On ne fait quel terme auraient eu toutes ces barbaries, file Conful des Banians, nommé Thermal, & un riche Négociant, nommé Toukar, intéreflés par état à ce que les Négocians étrangers ne fuffent pas maltraités à Moka, ne s'étaient réunis pour protéger les Anglais avec Hamed Vadi, riche Marchand qu'on appellait le Marchand du Bacha, parce qu'il était l'ami du Bacha de Zénan, & lui avait même rendu de grands fervices avant fon

élévation. Ces trois hommes mirent dans les inté rêts des Anglais le Kiaia ou Secrétaire du Bacha, en lui faifant efpérer une fomme d'argent pour récompense de ses foins. Le Bacha informé par les lettres de l'Aga de l'arrivée des vaisseaux Anglais, & de tout ce qui s'était paffé, avait ordonné qu'on amenât les prifonniers à Zénan, éloigné de Moka de quinze jours de route. Le peuple qui n'avait jamais vu d'hommes de leur Nation, s'affemblait en foule pour les regarder. Par-tout où l'on paffa la nuit, ils n'eurent point d'autre lit que la terre. C'était à la fin de Décembre, & fans les robes fourrées que Sir Henry fit acheter dans la route, & dont il n'aurait pas cru avoir befoin à feize degrés de la ligne, la plupart feraient morts du froid qui fe fait fentir dans les montagnes d'Arabie, malgré leur fituation entre le Tropique & l'Equateur. La terre était couverte de frimats tous les matins, & la nuit la glace avoit un pouce d'épaiffeur. C'est une obfervation atteftée par le Journal de Sir Henry.

A quelque diftance de la Ville, on rencontra un Officier du Bacha à la tête de deux cens hommes. avec leurs trompettes & leurs tỳmbales. Ils fe partagerent en deux lignes entre lefquelles on plaça les Anglais, à qui l'on fit quitter leurs robes & leurs chevaux, & qui marcherent à pied. A la premiere porte, ils trouverent une garde nome

breuse. La feconde était défendue par deux groffes pièces d'artillerie fur leurs affuts. Les Soldats qui les avoient escortés, firent une décharge de leurs moufquets à la premiere porte, & fe mêlerent avec le refte de la garde. L'Amiral & fes gens attendirent quelque temps dans une cour fort fpacieuse, où quelques Officiers vinrent les prendre pour les conduire devant le Bacha. C'étoit un jour de Divan ou de Confeil. Ils monterent un efcalier au fommet duquel deux hommes d'une taille extraordinaire prirent l'Amiral par les bras, en les

ferrant de toute leur force, & l'introduifirent dans une longue galerie où le Confeil était affemblé. Il y avoit de chaque côté un grand nombre de fpectateurs affis; mais le Bacha était dans l'enfoncement feul fur un fopha, avec un certain nombre de Confeillers qui étaient à quelque distance de lui. Le plancher était couvert de tapis fort riches, & tous ces objets formaient un coup-d'œil impofant.

A cinq ou fix pas du Bacha, les deux guides l'arrêterent brufquement. Il demeura pendant quelques minutes expofé aux regards de l'affemblée. Enfin le Bacha lui demanda d'un air fombre & dédaigneux de quel pays il était, & ce qu'il venait chercher dans celui des Turcs. L'Amiral répondit qu'il était un Marchand Anglais, & que fe croyant ami du Grand-Seigneur, en vertu des

traités du Roi fon Maître, il était venu pour exer

cer le commerce. Il n'eft permis à aucun Chrétien, lui dit le Bacha, de mettre le pied dans cette contrée. Sir Henry lui expofa comment on l'avait trompé par de fausses assurances, & comment on l'avait traité. Le Bacha répondit que l'Aga n'était que fon efclave, qu'il n'avait pu rien promettre fans fon ordre, & qu'il avait suivi celui du Grand-Seigneur, en châtiant des Infidèles qui avaient ofé venir près de la Ville Sainte. Enfin il ajouta qu'il allait écrire au Sultan pour favoir fa volonté, & que l'Amiral pouvait écrire de fon côté à l'Ambaffadeur, que les Anglais avaient à Conftantinople; qu'en attendant ils demeureraient prifonniers. L'Amiral fut congédié après cette explication, & conduit avec cinq ou fix de fes gens dans une prifon affez commode, tandis que tous les autres furent jetés dans un noir cachot, & chargés de chaînes. Un jeune homme de fa fuite, qui s'était imaginé en se voyant conduire devant le Bacha, qu'il allait recevoir la mort, & que tous les Anglais n'attendraient pas long-temps le même fort, tomba dans un évanouiffement fi profond, qu'il n'en revint que pour expirer peu de jours après.

Mais dès le lendemain Sir Henry fut fort étonné de recevoir un Meffager du Kiaia qui l'invitait à déjeuner avec lui. C'était l'effet des recommanda

tions de l'honnête Banian & du Négociant Hamed. Un Maure du Caire, fameux par les richeffes, & qui même avait prêté de groffes fommes à ce Bacha, ofa lui dire qu'il s'expofait par ces violences à ruiner tout le commerce du pays. Ce Maure avait un vaiffeau dans la rade de Moka, & craignait le reffentiment des Anglais qui en effet ne tarda pas à éclater. L'Amiral encouragé par ces protections puiffantes, & par les promeffes du Kiaia qui paroiffait lui être dévoué, fit préfenter au Bacha une requête affez hardie, par laquelle il lui déclarait qu'en quittant la rade de Moka il avait donné ordre aux Commandans de ses vaiffeaux de suspendre les hoftilités pendant vingt-cinq jours, & d'en ufer enfuite à leur gré, si dans cet espace de temps ils ne recevaient aucune nouvelle de lui; que ce terme étant expiré il prenait la liberté d'en avertir le Bacha, afin qu'il daignât se hâter de terminer fon affaire, ou de lui donner quelques favorables affurances qu'il pût communiquer à fes Officiers, fans quoi il ne pouvait répondre que se voyant fans Chef, ils ne fe portaffent à la violence. Cette requête qui renfermait une menace que l'on favait pouvoir être effectuée, fit impreffion fur le Bacha. Deux jours après l'Amiral eut l'aflurance de fa liberté prochaine, & l'on n'attendit pour le renvoyer à Moka que l'arrivée de quelques autres Anglais qui avaient été arrêtés à Aden. Sir Henry

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