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vit une seconde fois le Bacha qui, dans cet intervalle, avait été nommé Vifir. Il en reçut un accueil affez flatteur. On lui dit que lorfqu'il ferait arrivé à Moka, la plus grande partie de fes gens pourrait retourner auffi-tôt fur leur bord, mais qu'il serait retenu dans la Ville avec quelques Officiers jufqu'à ce que les vaifleaux qu'on attendait de l'Inde fuflent arrivés dans le port. Cette précaution montrait la crainte qu'avaient les Turcs que les Anglais, pour se venger, n'arrêtaffent les vaiffeaux commerçans de l'Inde qui viendraient fe rendre à Moka, & qui n'étaient pas de force à fe défendre contre trois vaiffeaux d'Europe. Le Bacha joignant les menaces aux promefles, & vantant beaucoup fa clémence, lui répéta qu'il eût à fe fouvenir que l'intention du Grand-Seigneur était qu'aucun vaisseau Chrétien n'entrât dans la mer d'Arabie. L'épée du Sultan eft longue, lui ditil. L'Aga avait tenu déjà le même difcours à Sir Henry, & cet Anglais lui avait répondu avec une juste fermeté : Vous ne m'avez pas pris par l'épée, mais par trahifon. Je n'aurais craint ni votre épée, ni celle de perfonne. Mais il n'ofa pas faire la même réponse au Bacha. Il apprit depuis que premier deffein de ce Turc avait été de lui faire la tête, & de faire tous les compagnons

couper

efclaves.

le

Comme il connaislait les mauvaifes intentions

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de l'Aga à l'égard des Anglais, il demanda au Bacha, avant de le quitter, une lettre pour cet Officier, de peur qu'il ne recommençât fes injuftices. Alors le Bacha irrité de fes defiances, lui dit avec cet orgueil des defpotes barbares, dans lequel il entre beaucoup plus de férocité que de grandeur: Un mot de ma bouche n'est-il pas fuffant pour renverser une ville de fond en comble? Si l'Aga vous fait tort je le ferai écorcher jufqu'aux oreilles, & je préfent de fa tête. N'est-il pas clave ?

?

vous ferai

mon ef

Mais tout le fafte du defpotifme Turc ne raflurait point l'Amiral contre la perfidie de cette Nation & les méchancetés de l'Aga. Il profita du peu de liberté qu'on lui laissait à Moka, pour s'échapper de cette ville, & regagner fes {s vailleaux. Une partie de fes gens ne put se sauver avec lui, & l'Aga, dans le premier transport de fa colere, avait menacé de leur faire couper la tête; mais Sir Henry lui fit déclarer que s'il continuait à les retenir malgré l'ordre du Bacha, il allait brûler tous les vaiffeaux qui étaient dans, port, & qu'il étendrait fa vengeance jufques fur la ville. Cette menace y jeta la confternation Un Capitaine de vaideau Indien nommé Moham méd offrit fa médiation, & vint demander à l'Amiral quelle fatisfaction il exigeait. Sir Henry

le

demanda qu'on lui rendît fa pinace & ses marchandises, que le Bacha de Zénan prétendait devoir être confifquées pour le profit du GrandSeigneur, & qu'il avait exceptées de ce qui devait être rendu aux Anglais; qu'on lui ramenât tous fes gens, & même un jeune homme qu'on avait circoncis par violence, & que le Bacha voulait retenir comme Mahometan; qu'enfin on lui payât foixante-dix mille pièces de huit, pour le dédommager de tout ce qu'il avait fouffert. Il en obtint vingt mille par accommodement. Il était temps qu'il s'éloignât de cette mer; quoique fes vaisseaux euffent été se rafraîchir sur la rive oppofée, à la côte des Abyffins, les maladies n'avaient pas laiffé de fatiguer l'équipage. Les démêlés avec l'Aga avaient été longs. On était au commencement de Juin, & les vents brûlans qui regnent à certaines époques fur la mer Rouge, étaient devenus fi infupportables, que les Anglais furent obligés, pendant plufieurs jours, de se tenir renfermés fous leurs écoutilles. On raconte des effets étranges de ces vents enflammés qui coupent la refpiration, & ne portent dans les entrailles une chaleur mortelle que rien n'eft capable d'éteindre. Des obftacles & des fléaux fi dangereux forcerent l'Amiral de renoncer au projet qu'il avait formé d'attendre le grand vaiffeau qui vient tous les ans de Suès à Moka, chargé des richeffes de

l'Egypte; mais il s'en dédommagea par des prifes confidérables qu'il fit l'année fuivante lorfqu'après avoir inutilement tenté de commercer à Surate & à Cambaye, où les Portugais s'étaient rendus les plus forts, il revint dans la mer. Rouge avec Sarris, autre Capitaine Anglais qu'il avait rencontré. Ils convinrent de faifir & de dépouiller, tous les vaiffeaux Indiens qui entreraient dans le golfe, & de partager le butin. Il fut immenfe. Ils prirent entr'autres un bâtiment très-confidérable qui appartenait au grand Mogol, & qui était chargé pour la mere de ee Monarque. L'équipage était de 1500 perfonnes. Ils allerent partager leur proie dans la baie d'Affab fur le rivage des Abyffins. Delà menant en triomphe tous les bâtimens qu'ils avaient pris, ils revinrent dans la rade de Moka. Le Bacha leur envoya des préfens qui furent rejetés avec hauteur & indignation. Les Capitaines Anglais déclarerent qu'ils n'étaient venus que fe pour venger des outrages qu'ils avaient reçus, & qu'ils ne laifferaient entrer navire Indien dans la rade pendant toute la mouffon. C'était priver les Turcs des avantages & dés richeffes qu'ils retiraient du commerce de l'Inde. Le Bacha fit demander quelle fatisfaction, quel dédommagement ils exigeaient. Ils demanderent cent mille pièces. La chofe

la plus difficile à obtenir des Turcs, c'est l'argent. Mais ils s'y prirent très-adroitement pour éluder le paiement de cette fomme. Ils eurent la permiffion d'entretenir les Nakadas ou Capitaines de vaiffeaux Indiens qui arrivaient en foule pour commercer & qui fe trouvaient arrêtés à la rade de Moka. Ils les déterminerent à payer pour avoir la liberté du commerce. Chaque vaiffeau fe taxa à quinze mille pièces. Les Anglais contens d'être payés fe retirerent quand ils virent approcher le moment où ils ne pourraient plus faire aucun mal aux Turcs, & prirent la route de l'Europe. Dounton, l'un des Capitaines Anglais, était deftiné à n'être pas mieux traité par fes compatriotes que par les Turcs. Il aborda en affez mauvais équipage fur les côtes d'Irlande. Un de fes matelots, qu'il avait renvoyé pour quelque faute, l'accufa de piraterie auprès du Commandant de Waterford. L'accufation n'était pas fans fondement, & fut d'autant mieux écoutée que c'était un beau prétexte pour faifir les richesses immenfes de Dounton. Il fut mis en prifon. Mais il trouva moyen de faire parvenir ses plaintes à l'Amirauté. Comme après tout il avait fait redouter le nom Anglais dans les mers d'Orient, & humilié une Nation infolente & perfide, on lui pardonna d'avoir rançonné les Sujets du GrandMogol. On lui rendit la liberté & les tréfors.

Nous

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