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féverement les gens de mauvaise foi. Il leur rendit le compte le plus fidèle qu'il put trouver dans fa mémoire. Aux questions qu'on lui fit fur le deffein de fa navigation préfente, il ne répondit pas moins fincerement. Mais voyant qu'on était inftruit d'avance fur-tout ce qu'il répondait, il demanda de qui on tenait tous ces éclairciffemens. On répondit que c'était du Capitaine Scot. Mais vous êtes donc de fes amis, reprit Roberts? Pius qu'il ne mérite, répliqua le Corfaire; car nous nous fommes contentés de brûler fon vailfeau & nous l'avons mis à terre dans l'Ile de Buona-Vista.

On fit enfuite paffer les Anglais fur le vaisseau la Rofe, de 36 pièces de canon, commandé par Edmond- Lo, Chef - général des Pirates.

A leur entrée dans le vaiffeau, tous les Pirates vinrent les faluer fucceffivement & les affurer qu'ils étaient touchés de leur infortune. Cette cérémonie fe fit fi gravement, que les prifonniers ne purent diftinguer fi c'était une infulte. On leur dit du même ton qu'il fallait rendre leurs refpects au Commandant. Un Canonnier fe chargea de lui préfenter Roberts. Il trouva Lo affis fur un canon, quoiqu'il y eut des chaifes près de lui Mais un héros de cet ordre ne pouvait paraître que dans une pofture martiale. Ayant ordonné qu'on le laiffat feul avec Roberts, il lui dit qu'il prenait

Roberts.

Roberts.

part

à fa perte, qu'étant Anglais comme lui, il ne fouhaitait pas de rencontrer les compatriotes, excepté quelques-uns dont il était bien aife de châtier l'arrogance: mais que la fortune le faifant tomber entre les mains, il fallait qu'il prît courage & qu'il ne marquât point d'abattement. Roberts répondit qu'au milieu de fon chagrin il fe flattait encore qu'ayant affaire à des gens d'hon neur, fa disgrace pourrait tourner à fon avantage. Le Corfaire lui confeilla de ne pas se flatter trop, parce que fon fort dépendait du Confeil & de la pluralité des voix. Il ne defirait point, répéta-t-il, de rencontrer des gens de fa Nation; mais comme lui & fes compagnons n'attendaient rien que de la fortune, ils n'ofaient marquer de l'ingratitude pour fes moindres faveurs, dans la crainte que s'en offenfant, elle ne les abandonnât dans leurs entreprises. Enfuite prenant un ton fort doux il prefla Roberts de s'affeoir, mais fans lui faire Phonneur de quitter lui-même fa posture. Roberts s'affit. Alors le Général lui demanda ce qu'il voulait boire. Il répondit que la soif n'étaiz pas fon befoin le plus preffant; mais que par reconnaisfance de tant de bontés, il accepterait volontiers tout ce qui lui ferait offert. Lo lui dit encore qu'il avait tort de fe chagriner & de s'abattre; que c'était le hafard de la guerre, & que le chagrin était capable de nuire à la fanté; qu'il ferai

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beaucoup mieux de prendre un visage riant, &
c'était inême la voie la plus sûre pour mettre
que
tout le monde dans fes intérêts. Tous ces confeils
étaient donnés d'un ton d'ironie, & Roberts
fut furpris de trouver cette figure fi familiere à
des Corfaires. Allons, reprit Lo vous ferez
plus heureux une autre fois; & fonnant une clo-
che, qui fit venir un de fes gens, il donna ordre
qu'on apportât du punch; & dans le grand baf
fin, ajouta-t-il. Il demanda auffi du vin. L'un
& l'autre fut fervi avec beaucoup de diligence,
En buvant avec Roberts, il lui promit tous les
fervices qui dépendraient de lui. Il regrettait
beaucoup, lui dit-il, qu'il n'eût pas été pris dix
jours plutôt, parce que fa troupe avait alors en
abondance diverfes fortes de marchandises qu'elle
avait enlevées à deux vaiffeaux Portugais qui fai
saient voile au Bréfil, telles que des étoffes de soiè
& de laine, de la toile, du fer & toutes fortes
d'uftenfiles; il aurait pu engager fes compagnons
à lui en donner une partie, qu'ils avaient jetée
dans la mer comme un bien fuperflu; que s'il le
rencontrait quelque jour dans une occafion auffi
favorable, il lui promettait de le dédommager de
fa perte; enfin qu'il faifait profeffion d'être fon
ferviteur & fon ami. Quand j'aurais ofé lui faire

ne réponse outrageante, dit Roberts, tant de

Roberts.

careffes feintes ou finceres, m'en auraient ôté la Roberts. force, & m'obligeaient de le remercier.

Il reconnut parmi les Pirates, trois Anglais qui avaient fervi fous lui, & qui lui apprirent, fous la foi du fecret, que Ruffel avait propofé de le garder dans leur troupe, parce qu'on avoit fu de fon Pilote qu'il connaisfait parfaitement la côte du Bréfil, où les Corfaires avaient deffein de fe rendre; mais qu'il avait un moyen de s'en garantir en difant qu'il était marié, parce que les Pirates s'étaient engagés par un ferment inviolable à ne jamais employer parmi eux d'homme marié; que cependant Ruffel préférant l'intérêt général au refpect du ferment, propofait de paffer pardessus cette loi, mais que Lo & les autres s'y oppofaient.

A peine s'étaient-ils retirés, que le Général parut fur le tillac, pour ordonner qu'on assemblât le Confeil avec le fignal ordinaire. C'était un pavillon de foie verte, que les Pirates appellaient the green Trumpeter, c'est-à-dire le Trompette verd, parce qu'il portoit la figure d'un homme avec la trompette à la bouche. Tout le monde s'étant rendu fur le vaiffeau du Général, & s'étant placé, les uns dans fa chambre, les autres fur les ponts, & dans les endroits que chacun voulut choisir, il leur déclara qu'il ne les savait fait affembler que pour déjeûner avec lui. Cependant il se tourna vers

Roberts, à qui il demanda publiquement s'il était marié. Sa réponse fut qu'il l'était depuis dix ans, & qu'en partant de Londres il avoit cinq enfans, fans compter un fixieme dont fa femme était grosse. On continua de lui demander s'il avait laillé fa famille à fon aife. Il répondit qu'ayant autrefois effuyé plufieurs difgraces, la cargaifon de fa felouque compofait une grande partie de fon bien, & que s'il avait le malheur de la perdre, il n'espérait guères de pouvoir donner du pain à fes enfans. Lo regardant Ruffel, lui dit qu'il fallait y renoncer: Renoncer à quoi ? répondit l'autre en blasphémant. Vous m'entendez, reprit le Général; & jurant à fon tour, il répéta qu'il y falloit renoncer. Ruffel, s'échauffant beaucoup, prétendit que la premiere loi de la Nature était, pour chacun, le foin de fa confervation, & rapporta plufieurs propropre

de

verbes pour prouver que la néceffité n'a pas
loi. Lo répliqua doucement qu'il n'y consentirait
jamais; mais
mais que
fi la pluralité des voix était con-
traire à fon fentiment, il fe réduirait à la patience.
Il ajouta que tout le monde étant affemblé, c'était
une affaire qui pouvait être décidée fur-le-champ.
Alors il donna ordre à tout le monde de fe rendre
fur les ponts, & Roberts fut averti de demeurer
dans la chambre.

Le Confeil dura deux heures. Lo & Ruffel étant defcendus les premiers, demanderent à Roberts

Roberts.

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