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du moins fut plus refpectée dans leur troupe. Cette variété de propos fut fuivie de quelques momens de filence. Mais Ruffel le rompit, pour prouver à Roberts par quantité de fophifmes, qu'en fuppofant même que la piraterie fut un crime, ce n'en pouvait être un pour lui de recevoir ce que les Pirates auraient enlevé, parce qu'il n'aurait pas de part à leurs prises, & qu'il était prifonnier malgré lui. Supposez, lui dit-il, que nous ayons pris la réfolution de brûler notre butin, ou de le jeter dans la mer; que devient le droit du propriétaire, lorsque fon vaisseau & fes marchandises font brûlés? L'impoffibilité de fe les faire jamais reftituer, anéantit toutes fortes de droits. Dites-moi, conclut Ruffel, fi nous ne faifons pas la même chose, lorsque nous vous donnons ce qu'il dépend de nous de brûler.

Lo & tous les spectateurs femblaient prendre plaifir à cette difpute; mais Roberts s'appercevant que le ton de fon adverfaite devenait plus aigre, brifa tout-d'un-coup, en déclarant qu'il reconnaissait à la troupe, le pouvoir de difpofer de lui, mais qu'ayant été traité jufqu'alors avec tant de générofité, il ne faifait pas moins de fond fur leur bonté à l'avenir; que s'il leur plaifait de lui rendre fa felouque, c'était l'unique grace qu'il leur demandait, & qu'il efpérait par un

Roberts.

travail honnête, de réparer fes pertes préfentes. Roberts. Lo, touché de ce difcours, fe tourna vers l'affem

blée: Meffieurs, dit-il, je trouve que ce pauvre homme ne propose rien que de raisonnable, & je fuis d'avis qu'il faut lui rendre fa felouque: Qu'en pensez-vous, Meffieurs? le plus grand nombre répondit oui, & le différend fut ainfi terminé.

Vers le foir, Ruffel voulut traiter Roberts fur fon bord, avant leur féparation. La converfation fut d'abord affez agréable. Après le fouper, on chargea la table de punch & de vin. Le Capitaine prit une rafade, & but aux fantés de la troupe. Roberts n'ofa refufer cette santé. On but enfuite à la prospérité du commerce, dans le fens des avantages qui devait en revenit aux Pirates. La troifieme fanté fut celle du Roi de France. Enfuite Ruffel propofa celle du Roi d'Angleterre. Tout le monde la but fucceffivement jufqu'à Roberts; mais Ruffel ayant mêlé dans le punch quelques bouteilles de vin pour le fortifier, Roberts qui avait de l'aversion pour ce mêlange, demanda qu'il lui fût permis de boire cette fanté avec un verre de vin. Ici Ruffel fe mit à blafphêmer, en jurant qu'il lui ferait boire une rafade de la même liqueur que la compagnie. Hé-bien, Meffieurs, reprit Roberts, je boirai plutôt que de quereller, quoique cette

liqueur foit un poison pour moi. Tu boiras, g répondit Ruffel, fût-elle pour toi le plus affreux Roberts. poifon, à moins que tu ne tombes mort en y portant les lèvres. Roberts prit le verre, qui tenait prefqu'une bouteille entiere, & porta la fanté qu'on avait nommée. La fanté de qui? interrompit Ruffel; mais, dit l'autre, c'est la fanté qu'on vient de boire, celle du Roi d'Angleterre ; & qui eft-il, le Roi d'Angleterre ? demanda Ruffel. Il me femble, lui dit Roberts, que celui qui porte la couronne eft Roi, du moins pendant qu'il la porte. Et qui la porte? insista Ruffel. C'est le Roi Georges, répondit Roberts. Alors Ruffel entra en furie, s'emporta aux dernieres injures & jura que les Anglais n'avaient pas Roi. Il est surprenant, lui dit Roberts, que vous ayez propofé la fanté d'un Roi, dont vous ne reconnaissez pas l'existence. Le furieux Corfaire. fautant fur un de fes piftolets, l'auroit tué, s'il n'eût été retenu par fon voifin. Il fauta fur l'autre en répétant plufieurs fois que l'Angleterre n'avait pas d'autre Roi que le Prétendant. Ses voisins l'arrêterent encore. Le Maître Canonnier, qui était à table, homme confidéré dans fa troupe, fe leva d'un air ferme, & s'adreffant à la compagnie ; Meffieurs, leur dit-il, fi notre deffein eft de foutenir les loix qui font établies & jurées entre nous, comme je vous y crois obligés par les

de

Roberts.

plus puiffans motifs de la raifon & de notré propre intérêt, il me femble que nous devons empêcher Jean Ruffel de les violer dans les accès de fa fureur. Ruffel, qui n'était pas encore revenu à lui-même, entreprit de défendre fa conduite; mais le Canonnier s'adreffant à lui du même ton, lui déclara qu'on ne lui avait pas donné le pouvoir de tuer un homme de fangfroid, fans le confentement de la troupe, qui avait les prifonniers fous fa protection. Je vois, ajouta t-il, que ce qui vous irrite eft de n'avoir pu violer nos articles au fujet de Roberts; on faura mettre un frein à vos emportemens, & garder le prifonnier jufqu'à demain, pour le mener à bord du Général, qui ordonnera de fon fort avec plus d'équité. Toute la compagnie paraiffant approuver ce difcours, Ruffel à qui l'on avait óté les armes, reçut ordre de demeurer tranquille s'il ne voulait offenfer la troupe, & fe voir traiter comme un mutin. Le Canonnier dit à Roberts qu'on l'aurait conduit fur-le-champ au Général, s'il n'eût été défendu par un ordre exprès, de recevoir les chaloupes après neuf heures du foir.

Le lendemain, il fut tranfporté fur le vaiffeau de Lo, qui lui promit fa protection. Dans l'après midi, Ruffel vint à bord, accompagné de François Spriggo, Commandant du troifieme vaiffeau

des Pirates. Il dit au Général que le Pilote &

les Matelots de Roberts voulaient entrer au fer- Roberts.

vice de la troupe en qualité de volontaires. Lo répondit que rendre la felouque à Roberts fans aucun de fes gens, c'était le livrer à la mort; & qu'il valait autant lui caffer la tête d'un coup de pistolet. Je ne m'y oppofe pas, répliqua Ruffel; mais ce que je propose est pour l'utilité de la compagnie; & je voulais voir qui ferait affez hardi pour me contredire. Il ajouta qu'en qualité de Quartier-Maitre, & par l'autorité que lui donnait cet emploi, il voulait que le Pilote & les Matelots fuffent reçus fur-le-champ dans la troupe; que, graces au ciel, il foutenait la juftice & l'intérêt public, comme il y était obligé par fon pofte; & que fi quelqu'un avait la hardieffe de s'y opposer, il avait un pistolet à fa ceinture & une poignée de balles pour le faire raifon. Enfuite fe tournant vers Roberts, mon ami, lui dit-il, la compagnie t'a rendu ta felouque, & tu l'auras. Tu auras deux hommes, & rien de plus. Pour les provifions, tu n'auras que ce qui elt actuellement dans ton vailleau. Il m'eft revenu, continua-t-il, que plufieurs de nos gens le propofent de te former une cargáifon; mais je leur en fais défenfe, en vertu de mon autorité, parce qu'il n'eft pas sûr que les marchandifes qu'ils veulent te donner ne nous foient pas bientôt

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