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ne m'étendrai point davantage ni fur cette Piece, ni fur les autres Pieces critiques du même Auteur; mais je vous dirai en general qu'elles me paroißent très-propres à former ce goût fain & délicat qu'on aime dans les Ouvrages.

F'oubliois à vous dire, Monfieur, qu'une des chofes qui fera le plus de plaifir dans l'Edition de votre Recueil, eft le nombre de Pieces en vers Marotiques qui s'y trouve, & qui en fait près de la moitié. C'est une espece de Poësie qui eft fort à la mode aujourd'hui, quoiqu'on ne convienne pas generalement de ce qui doit faire & de ce qui fait réellement fon veritable caractere. Marot étoit un Poëte qui penfoit naivement, & qui écrivoit d'une maniere très-naturelle; mais il vivoit dans un tems où l'on ne parloit pas auffi bien qu'on parle aujourd'hui. Son langage, quoique fort poli pour le Siecle de François I. ne l'eft plus pour le nôtre, la langue a vieilli ; mais malgré ce defavantage, Marot non feulement s'eft confervé à la faveur du vrai & du naturel qui. regnent dans fes Poëfies, mais il a fait en quelque forte la fortune de beaucoup de vieux mots qu'on emprunte volontiers de lui; & il les a fr bien mis en honneur, que loin de les éviter, on les recherche, & qu'on les employe même à titre d'a

der fur cela, & je crois qu'on ne doit ufer de cette efpece de licence qu'avec quelque réferve. Ce qu'il y a de vrai, c'est que comme il est bien plus aife de limiter dans ce qui regarde le langage, que dans la fineffe & la naïveté des penfées, bien des gens ont plus donné dans le premier que dans le fecond. Pour l'Auteur de votre Recueil il paroit fe borner à imiter Marot dans ce qui regarde le tour & l'ordonnance de fes Pieces, & la fimplicité naive de fes pensées, & il est d'ailleurs fort réfervé à l'imiter dans le langage. Je ne vous dilimulerai point que le parti qu'il a pris eft fort de mon goût, & que fi je voulois écrire dans le file de Marot, je fuivrois le même plan. Car il me paroit que pour imiter ce Poëte, il faut écrire comme il auroit écrit dans ces derniers tems, IL n'eft pas bien de mettre le Lecteur dans la neceffité de confulter les anciens Dictionnaires François pour entendre ce qu'on lui dit: ceux qui croyent être Marotiques en employant des termes furannez & aujourd'hui inintelligibles, fe trompent felon moi, & je leur dirois volontiers ce qu' Armande dit à fa fœur dans les Femmes Sçavantes de Moliere au fujet de leur mere:

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Et ce n'eft point du tout la prendre pour modele,

Ma fœur, que de touffer & de cracher comme elle.

Ce n'est point non plus prendre pour modele Marot, que d'affecter des termes vieillis qu'il a employez dans fon tems, parce qu'ils avoient cours alors, mais qu'il fe donneroit bien de garde d'em. ployer aujourd'hui que l'ufage les a en quelque forte dégradez L'Auteur de votre Recueil a bien marqué dans fon Apologie à quoi il s'en tenoit fur cela, lorfqu'il dit en parlant de cet ancien Poëte François :

Et fi j'en ai quelque chofe herité,

C'est un vernis de fa naïveté.

Entre celles de fes Pieces qui n'ont jamais été imprimées, la nouvelle Eve eft une des meilleu res, & qui fuffiroit feule pour faire rechercher votre Edition; car cette Picce eft bien plus rare que les autres, & je ne fçais comment vous avez pù l'avoir. L'Auteur y fait voir, auffi.bien que dans l'Epitre fur les Patez & dans la Piece addreßée à M. le Dauphin au fujet de fon avanture avec le petit de Brancas, que l'art de nar rer n'est pas un de fes moindres talens. Il paroit n'être pas moins entendu à donner une louange fine & délicate. Celles qu'il fait entrer dans fes vers font prefque toujours indirectes, & fe ren contrent fi naturellement fur fon chemin, que quelque peine que notre malignité naturelle nous falle trouver à entendre louer autrui, on tņi par

donne aifement celles qui lui échapent, je dis qui lui échapent, parce qu'il les place fi à propos & avec tant d'art, qu'elles femblent veritablement lui échaper.

Mais je ne m'apperçois pas que le goût que je me fens pour cet Auteur, & l'envie que j'ai que vous imprimiez le Recueil que vous avez de fes Pieces, me fait allongerma Lettre plus que je ne le voulois. Ainfi fans entrer fur cela dans un plus grand détail, je vais finir en vous faifant le caractere de fes. Ouvrages, du moins tel que je l'ai conçû. Je vous dirai donc que les penfees en font juftes & vraies, communes pour le fonds, mais toujours expofees fous des jours qui leur donnent un air de nouveauté & quelque chofe de piquant ; jufques-là que les proverbes les moins relevez y font mis en œuvre, & enchassez fi agréablement, que loin de choquer, ils y font une beauté. Ce que j'aime encore dans ces Pieces, c'est que l'Auteur y parle toûjours raifon, & que ce qu'il dit dans fes vers eft fi fenfe, & même fi moral, que quand ce feroit de la profe, l'efprit ne laißeroit pas d'être content. F'appuye d'autant plus volontiers fur ce point, qu'il me paroit que plufieurs de nos Poëtes pechent parcet endroit, & que quand on vient à examiner le fond de leurs Pieces, & à les dépouiller des ornemens que la cadence, la

rime & la magnificence des termes leur prètent, elles ne peuvent prefque plus fe foûtenir. Cellesci au contraire ayant tout ce qu'il faut pour fe foutenir d'elles-mêmes, font d'ailleurs embellies par une verfification aifee, naturelle, coulante, accommodée au fujet, & par une fécondité, une recherche, une délicateffe, une netteté d'expreffion, & fi j'ofe le dire, une legereté de pinceau qui plait infiniment. Mais ce qui fait le principal agrément des Ouvrages de cet Auteur, c'est l'enjouement qui y domine, & perfonne de ce côté-là n'a mieux profitè de la leçon qu'a donné feu M. Defpreaux dans fon Art Poëtique, quand il a dit :

Imitez de Marot l'élegant badinage. Il limite effectivement dans fes vers, mais avec une nobleffe & une dignité qu'il fait répandre jufques fur les chofes qui en paroiffent le moins fufceptibles, & en même tems avec une difcretion, une réferve une retenuë qu'on ne sçauroit affez eftimer. Aulli puis-je vous dire par avance, qu'un des endroits qui fera le plus rechercher ces Pieces, eft l'agrément innocent qui y regne ; c'est en effet un des genres de. Poësie qui nous manque le plus. La plupart des Poëfies enjouécs que nous avons font pour l'ordinaire fi licentieufes, qu'il y a toujours beaucoup de danger à les

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